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Fiscalité : Comment atteindre un système plus équitable et plus efficace

Le système fiscal marocain traverse une période de profondes mutations, marquée par des réformes ambitieuses et des défis persistants. Lors du numéro du 16 janvier de l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin», Mohamed Rahj, expert en fiscalité, a livré son analyse des récentes évolutions, notamment l’amnistie fiscale.

Mohamed Rahj
Mohamed Rahj
Le système fiscal marocain a connu plusieurs réformes ces dernières années, dont celle relative à l’Amnistie fiscale mise en place récemment par le gouvernement. Une décision qui suscite des interrogations : est-ce une opération politique sans impact économique ? Dans son numéro du jeudi 16 janvier 2025, l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin» a reçu Mohamed Rahj, professeur émérite, ancien doyen d’université et spécialiste en fiscalité, pour répondre à cette interrogation. Élargissement de l’assiette fiscale, amélioration de la collecte des recettes fiscales, respect des exigences de transparence et d’équité, enjeux pour l’économie... Mohamed Rahj livre sa vision d’un système fiscal plus efficace.

Quel bilan faire des réformes fiscales ?

Les réformes fiscales, comme la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), ont eu des effets positifs sur l’attractivité du Maroc, mais des défis demeurent, estime notre invité.

La problématique majeure reste l’assiette fiscale, trop étroite, selon notre expert. De nombreux acteurs, opérant notamment dans l’informel, échappent encore à l’impôt par des pratiques de fraude ou de non-déclaration. Un système fiscal plus inclusif est nécessaire, insiste-t-il. En attendant, l’État reste privé de recettes importantes.



Quels leviers mettre en place alors pour améliorer la collecte des impôts ? Il est tout d’abord essentiel de digitaliser le système fiscal. Une telle initiative pourrait réduire les erreurs humaines et les fraudes, tout en facilitant la vie des contribuables, notamment des petites entreprises. Cela pourrait augmenter l'efficacité du système tout en offrant plus de transparence et de contrôle. La mise en place de plateformes numériques pour les déclarations fiscales et les paiements est donc un impératif, soutient Rahj.



Cependant, il est important aussi que l’administration fiscale accompagne cette transition avec des programmes de sensibilisation pour que tout le monde, en particulier les petites entreprises, puisse en bénéficier. En attendant, les PME continuent de se heurter à un système fiscal «complexe». Bien que la réforme ait allégé certaines charges fiscales, la réalité est que ces entreprises restent submergées par des formalités administratives trop lourdes, estime l’invité de l’émission. La simplification des démarches fiscales est donc essentielle pour favoriser leur développement. Car bien que réformé, le système fiscal marocain reste un frein pour de nombreuses PME, qui se retrouvent noyées sous les formalités administratives. La simplification des démarches fiscales serait un levier important pour encourager la formalisation et le développement de ces entreprises.

Et concernant la fiscalité indirecte, notamment la TVA ?

Il s’agit d’une source importante de recettes pour l’État, mais qui a un impact direct sur les consommateurs. Les classes populaires sont les plus touchées par cette taxe, qui frappe les biens de consommation courante. Il serait pertinent de différencier les taux de TVA en fonction des produits, notamment pour les produits de première nécessité. Ainsi, l’invité suggère de revoir la structure des taux de TVA, afin de mieux protéger les classes les plus vulnérables, tout en garantissant un financement adéquat pour l’État. Une telle mesure permettrait de rendre le système plus équitable, en réduisant l'impact de la TVA sur les produits essentiels.

Pour notre invité, l’un des principaux problèmes réside aussi dans les niches fiscales dont bénéficient certaines grandes entreprises. Les petites entreprises et les citoyens supportent une lourde charge fiscale tandis que ces grandes structures profitent de nombreux avantages. Une réforme des niches fiscales et une approche plus progressive de l’impôt sur le revenu seraient des solutions pour améliorer l’équité du système. Ainsi, une révision des exonérations fiscales permettrait de garantir une distribution plus équitable des charges fiscales. Une fiscalité plus progressive sur le revenu pourrait également mieux tenir compte des capacités financières des contribuables.

Plus globalement, la fiscalité marocaine devra se réformer pour mieux intégrer les nouvelles réalités économiques, notamment la digitalisation et les plateformes en ligne. Le secteur des cryptomonnaies et des entreprises numériques, par exemple, pose un véritable défi. L’État devra mettre en place des mécanismes pour encadrer ces nouvelles formes d'activité et s'assurer qu'elles contribuent à la fiscalité nationale. En gros, notre expert souligne la nécessité d’adapter la fiscalité aux nouvelles tendances économiques.

Amnistie fiscale : quel impact économique ?

Si cette démarche semble temporairement gonfler les recettes de l’État, son impact sur la croissance économique reste discutable. Malgré des recettes fiscales record atteignant 299 milliards de dirhams en 2024, soit une hausse spectaculaire par rapport aux 199 milliards de 2020, la croissance économique plafonne à 2 ou 3%. Plus alarmant encore, le taux de chômage poursuit sa montée. Comment expliquer cette contradiction ? Pour notre expert, la hausse des recettes fiscales provient principalement de l’inflation et de la flambée des prix, plutôt que d’une réelle expansion économique : «Prenez un produit qui coûtait 100 dirhams l’an dernier et qui coûte aujourd’hui 150 dirhams. La TVA étant proportionnelle au prix, l’État collecte plus sans que la consommation n’augmente. Cela crée une illusion de prospérité fiscale, mais pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des citoyens».

Autre inégalité systémique pointée lors de l'émission : le poids des impôts directs repose majoritairement sur les salariés, laissant d’autres secteurs largement épargnés. Une situation qualifiée de «grave injustice fiscale» qu’il faut résorber : les salariés, qui représentent plus de 76% des contribuables, supportent une charge fiscale disproportionnée. Parallèlement, «des secteurs comme les professions libérales ou certains revenus immobiliers restent sous-taxés. Prenons l’exemple des dividendes, soumis à un taux fixe de 20%, contre un taux progressif pouvant atteindre 38% pour les salariés», explique l'expert.

Le système libératoire est également pointé du doigt, car il permet à certains revenus de contourner l’imposition progressive. C’est pourquoi l'expert plaide pour une fusion des revenus dans un barème unique, garantissant ainsi une équité fiscale réelle.

Les impôts indirects : une solution à double tranchant

Près de 60% des recettes fiscales marocaines proviennent aujourd’hui des impôts indirects, comme la TVA. Une stratégie que Mohamed Rahj juge à la fois efficace à court terme et socialement régressive à long terme. «Les impôts indirects sont plus faciles à collecter, mais ils pèsent uniformément sur tous les citoyens, riches comme pauvres. Cette dépendance croissante aux impôts indirects révèle une faiblesse structurelle de notre système fiscal», indique-t-il. Il est donc clair que le potentiel fiscal du Maroc reste largement sous-exploité, avec une marge d’amélioration estimée entre 8 et 12 fois les recettes actuelles. Une perspective qui met en évidence la nécessité d’une réforme fiscale ambitieuse.

Quels seraient les principaux axes de cette éventuelle réforme ?

Pour plus d’équité, le professeur Rahj a appelé à une refonte complète du système fiscal marocain.

Il plaide donc pour une stratégie en trois axes :

• Réduire la dépendance aux impôts indirects pour alléger la pression sur les classes populaires.

• Élargir l’assiette fiscale en luttant contre l’évasion et la fraude fiscale.

• Supprimer les exonérations injustifiées et instaurer un système progressif plus juste.

«L’amnistie fiscale peut offrir un répit temporaire, mais elle ne résout pas les problèmes structurels. Le Maroc doit revoir son système fiscal pour garantir une fiscalité plus juste, plus efficace, et capable de soutenir une croissance durable», conclut-il.
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