Dans les campagnes arides du sud marocain, beaucoup d’agriculteurs ont cessé de semer. Le sol ne retient plus l’eau, les saisons sont devenues imprévisibles et les récoltes, souvent trop faibles, ne justifient plus l’investissement. Mais depuis peu, une nouvelle variété de blé dur commence à faire parler d’elle dans les régions d’Essaouira, Tiznit et Safi. Son nom : Jawahir.
Cette variété a été développée au Maroc pour répondre à un défi bien concret : continuer à produire dans des conditions de sécheresse extrême. Elle est le fruit de plus d’une décennie de recherche menée par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA), avec le soutien du projet BOLD, coordonné par le Crop Trust. En 2023, elle a été officiellement inscrite au catalogue national des variétés.
Jawahir n’a pas été conçue en laboratoire à l’écart du terrain. Elle a été testée directement chez des agriculteurs, dans une démarche participative. Ces essais, réalisés depuis 2020, ont confirmé son potentiel : dans des zones très arides, Jawahir a permis d’obtenir jusqu’à 15 quintaux par hectare, alors que les variétés classiques dépassaient rarement les 10. C’est ce que rapporte le communiqué officiel du Crop Trust, publié le 17 juin 2025.
Mais au-delà des chiffres, ce sont les retours du terrain qui retiennent l’attention. Les agriculteurs parlent de racines plus profondes, de grains plus denses, et surtout d’une stabilité inédite malgré des pluies rares. À Essaouira, Omar El Hroud a testé cette variété dans le cadre du projet BOLD. Son constat est clair : « En seulement trois mois, les rendements sont très bons. La prochaine saison, nous allons continuer à planter Jawahir dans nos fermes pour accélérer sa multiplication, car ces graines ont besoin d’arriver rapidement sur le marché »
Pour transformer l’essai, il fallait passer à la vitesse supérieure. Le ministère de l’Agriculture a accordé une dérogation spéciale pour accélérer la multiplication des semences. L’INRA, aux côtés de la SONACOS, de l’Association Marocaine des Multiplicateurs de Semences (AMMS) et de la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Semences (FNIS), a lancé la production dans des fermes agréées, notamment à Marchouch. L’objectif est clair : rendre la variété disponible à l’échelle commerciale dès 2027, deux ans plus tôt que prévu, affirment les responsables du programme.
Le développement de Jawahir s’inscrit aussi dans une vision nationale plus large : celle de Génération Green 2020–2030, qui vise à moderniser l’agriculture marocaine et à renforcer sa résilience. « Nous avons réussi à développer une variété adaptée aux conditions très sèches, et nous l’avons fait avec les agriculteurs à nos côtés. Le défi désormais est de la diffuser à grande échelle. C’est ainsi que nous changerons réellement leur quotidien », affirme Filippo Bassi, scientifique principal à l’ICARDA et responsable du projet BOLD pour le blé dur.
Même détermination du côté de l’INRA. « Atteindre le stade commercial seulement quatre ans après la mise sur le marché serait un record pour nous », indique Moha Ferrahi, directeur de la sélection végétale et des ressources génétiques à l’Institut. « Mais grâce au soutien de notre gouvernement et de tous nos partenaires semenciers, je suis convaincu que c’est possible»