Thami EL OUAZZANI, Docteur en sciences économiques, Université de Paris X
Au lendemain de la publication d’un rapport d’une institution internationale, les plumes s’activent à le commenter et à l’analyser en se focalisant bien évidemment sur les parties consacrées au Maroc. Les avis sont souvent départagés entre ceux pour qui le Maroc fait du surplace, voir même il recule et ceux pour qui le Maroc, bien qu’il ait des défis à relever, enregistre quand même des avancées à ne pas occulter. Le rapport que je souhaiterais discuter dans cette contribution est celui relatif à l’indice du capital humain de 2020 publié récemment par la Banque mondiale. Pour traiter cette question, j’ai eu recours aux données contenues dans le rapport de Messieurs M. BENKASSIMI et de T. ABDELKHALEK « Building Human Capital, Morocco : achievements and challenges » paru en juin 2020.
J’entame ma contribution par une déclaration du président du Groupe de la Banque Mondiale, David MALPASS qui soulignait : « Protéger les populations et investir dans leur avenir sont deux mesures cruciales pour jeter les bases d’un redressement durable et sans exclus et d’une croissance dynamique ». Certes, on ne peut que souscrire à cette vision dans la mesure où, en effet, un capital humain renforcé constitue la fondation solide d’une croissance dynamique et inclusive.
Il me semble, à cet égard, que notre pays est sur la bonne voie. Au Maroc, on note avec satisfaction les progrès importants réalisés au niveau de plusieurs indicateurs du capital humain et ce, aussi bien au niveau urbain qu’en niveau rural, comme en témoigne récemment ledit rapport de la banque mondiale. Cette performance s’est traduite par une amélioration du score de l’indice qui est passé de 0,45 en 2010 à 0,50 en 2020.
Pour la Banque mondiale, l’indice du capital humain quantifie la contribution de la santé et de l’éducation à la productivité de la main-d'œuvre future d'un pays. Ainsi, pour notre pays l’indice du capital humain de 0,5 signifie que si les conditions d’éducation et de santé persistent, un enfant né aujourd’hui ne sera que deux fois moins productif qu’il aurait pu l’être s’il avait bénéficié d’une éducation et d’une santé complètes. Une lecture critique de cette performance consiste à dire qu’on est encore loin du notre potentiel et qu’il faudra redoubler les efforts pour y arriver. En d’autres termes, on ne peut aller de l’avant avec une telle productivité qui « entrave la capacité des entreprises à faire face à la concurrence internationale tant sur les marchés intérieurs qu’extérieurs ».
En effet, bien qu’il y ait des progrès notables réalisés à travers les différentes initiatives et programmes et en dépit de l’engagement des pouvoirs publics qui se traduit par les investissements dans l’éducation et la santé (autour de 6% du PIB, depuis 2000), il n’en demeure pas moins que notre pays accuse encore certaines insuffisantes auxquelles il faut apporter une réponse progressive et efficace. Il s’agit notamment du préscolaire, de la qualité de l’enseignement, de la déperdition scolaire, de la mortalité maternelle et la santé des enfants et des disparités persistent encore aussi bien au niveau de l’éducation que de la santé.
- Préscolaire : L’éducation de la petite enfance n’est pas encore considérée parmi les priorités nationales. Les données disponibles révèlent que le taux net d’inscription préscolaire pour les enfants âgés de 4 à 5 ans reste inférieur à 50% dans l’ensemble du pays. Plusieurs institutions internationales recommandent de renforcer l’investissement dans le préscolaire qui permet « à long terme non seulement de réduire les formes d’exclusions, les inégalités sociales mais également d’augmenter l’efficience économique et la productivité » ;
- Qualité de l’enseignement : Certes, des avancées importantes ont été enregistrées en ce sens. Aussi, nous semble-t-il que les efforts déjà initiés doivent se poursuivre. C’est un défi que le système éducatif doit constamment relever en veillant à l’adapter aux exigences du monde moderne et aux compétences requises par le marché du travail ;
- Déperdition scolaire : Bien que le taux d’inscription scolaire au primaire soit proche à 100%, le nombre d’abandon reste relativement élevé et ce, en dépit du programme TAYSSIR qui a joué un rôle important dans son atténuation. Dans ce cadre, nous avons un grand espoir que le renforcement des filets sociaux que le gouvernement mettra en œuvre à la suite des Hautes orientations royales contenues dans le Discours du trône contribueraient à la réduction d’une manière significative de ce nombre, en particulier dans le monde rural ;
- Mortalité maternelle et la santé des enfants : Nous espérons que la généralisation de la couverture sanitaire obligatoire et la mise à niveau de l’offre sanitaire impacteront la baisse de la mortalité maternelle et amélioreront l’accès des enfants aux services de la santé dans les zones péri-urbaines, en milieu rural et dans les zones défavorisées ;
- Disparités persistent encore aussi bien au niveau de l’éducation que de la santé selon le milieu, la région ou le niveau socio-économique. A cet égard, nous estimons que l’activation du mécanisme de contractualisation entre l’État et les régions qui s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la régionalisation avancée est une urgence face à la montée de telles inégalités. De même, nous avons la conviction que l’opérationnalisation bientôt du Registre Social Unifié (RSU) contribuera indubitablement à la rationalisation de toutes les dépenses sociales sur la base des critères clairs et transparents.
Certes, toutes ces suggestions sont intéressantes mais elles restent circonscrites aux domaines de la santé et de l’éducation et ne peuvent donner les résultats escomptés qu’au cas où elles sont inscrites dans un cadre « de politiques multisectorielles intégrées avec un large éventail de secteurs notamment le transport, l’infrastructure, le logement, le marché de travail et la protection sociale ».
Pour conclure sur une note positive, notre souhait est que les femmes et les hommes de notre pays ne doivent plus faire, comme le soulignait le Représentant de l’OMS au Maroc, « le terrible choix entre leurs besoins de santé, et d’autres besoins fondamentaux comme la nourriture, un logement décent ou la scolarisation de leurs enfants (dans la mesure où) ce choix n’est pas un choix mais un dilemme, une impasse, une souffrance ».
Enfin, cette modeste contribution aurait atteint son objectif si vous donniez libre cours à vos plumes pour me corriger, m’informer et me compléter.
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