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COVID-19 comparaison des taux de létalité entre le Maroc, la Tunisie et Jordanie après 3 mois de pandémie

COVID-19 comparaison des taux de létalité entre le Maroc, la Tunisie et Jordanie après 3 mois de pandémie

Saïd EL KETTANI, Cabinet de Médecine Interne. Settat, Maroc

 

 

Introduction

La maladie COVID-19 est due au virus SARS-CoV-2 identifié pour la première fois en Chine le 7 janvier 2020. Les premiers cas ont été rapportés le 31 décembre 2019 dans la ville de Wuhan [1]. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le 30/01/2020 l’épidémie actuelle du SARS-CoV-2 comme une urgence de sante publique de portée internationale. Puis après propagation rapide et accélération des cas au niveau mondial, l'OMS a officiellement déclaré, le 11 mars 2020, que l'épidémie de COVID-19 était une pandémie [2, 3]. 

Méthodologie

Dans ce papier, j’essaie de comparer la létalité liée à la COVID-19 entre le Maroc, la Tunisie et la Jordanie. Les données brutes pour chaque pays ont été prises du site Worldometers relatifs aux trois pays [4] et des circulaires et Bulletins épidémiologiques du Ministère de la santé [5-10]. Les données cliniques et thérapeutiques ne sont pas disponibles. La population marocaine est 3 fois plus nombreuse que la population en Tunisie ou en Jordanie. Donc nous nous focaliserons dans la comparaison sur les incidences et sur l’évolution mensuelle des chiffres. Certes les politiques, les systèmes de santé et les capacités de prise en charge et de dépistage, varient entre le Maroc et ces deux pays mais les différents chiffres permettent de suivre les trajectoires du SARS-CoV-2.

Les chiffres reflètent deux déterminants essentiels : les mise à jour des définitions épidémiologiques des cas suspects [6, 7] et le nombre de tests virologiques RT-PCR réalisés.

Pour pallier à la complexité de l’analyse des chiffres quotidiens, du fait de la variabilité plus ou moins importante selon le pays, je vais analyser les chiffres mensuels. L’instabilité des chiffres entre un jour et l’autre réside dans la notion de variabilité qui est une constante universelle dans les sciences humaines. On dit « Il n’y a pas de vie sans variabilité ». C’est ce que nous constatons sur les graphes journaliers, par les dents de scies. Pour pallier à cela, certains chercheurs calculent les moyennes mobiles sur 3 ou 7 jours.

Le taux de létalité apparent, en anglais case facility rate (CFR) est le rapport entre le nombre de décès imputés à une maladie et le nombre de cas confirmés de celle-ci. Il est facile à calculer. Il sert à évaluer la gravité de la maladie et la qualité de la prise en charge thérapeutique des patients. Certains pays ne comptabilisent que les décès survenus dans les structures de traitement. C’est pour cela que certains épidémiologistes préfèrent le TL global qui combine les décès survenus dans les structures de traitement et dans la communauté. Il est suivi pendant toute la durée de l’épidémie et donne une indication de l’adéquation de la réponse en termes de prévention des décès évitables. En épidémiologie comparative, il serait plus judicieux encore de calculer ou plus tôt d’estimer le TL réel, ou infection facility rate (IFR). Il s’agit du rapport entre le nombre de mort et le nombre estimé de tous ceux qui ont été infectés par le virus.

Situation épidémiologique globale

Selon le décompte tenu par le site Worldometers [4] on a recensé au 02 juillet au niveau mondial un TL apparent de 4,78 %. Le 24 juin ce taux était de 5,14 % [4]. Le 07 mai il était de 7,0% [5]. Mais si l’on regarde le détail par pays, on constate des différences énormes, passant de moins 1% à 18,5 % et plus. Au niveau de certains pays arabes, au 30 juin, les taux variaient entre 6,56% en Algérie, 4,32% en Egypte, 4,26% en Tunisie, 1,82% au Maroc et 0,80% en Jordanie [4]. Pour autant, cela ne veut pas dire que le système de soins dans un pays est bien meilleur qu’un autre, ou que les ressortissants d’un pays sont plus résistants. Donc on ne peut pas facilement comparer entre les pays.

Au Maroc, le premier cas de la COVID-19 a été déclaré le 02 mars 2020 et le 1er décès le 11 mars 2020. A la date du 30 juin, un total de 12 533 cas confirmés a été enregistré, sur un total de 681 191 prélèvements. L’incidence cumulée étant de 34,0/100.000 habitants (avec une incidence quotidienne moyenne aux alentours de 103,6 ± 95,6 cas [1-563]). L’évolution a été caractérisée par 228 (1,82%) décès et 8 920 guérisons. Parmi les cas dépistés, 3 385 (27%) sont encore actifs et constitueraient un risque de transmission si les mesures de prévention n’étaient pas bien respectées (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Situation épidémiologique de la COVID-19, au 30 juin 2020 au Maroc et en Jordanie et en Tunisie

 

Maroc

Jordanie

Tunisie

Nombre d’habitants

36 909 144

10 202 906

11 817 969

Nombre total des cas Covid 19

12 533

1132

1174

Incidence cumulée pour 100 000 habitants

34,0

11,1

99,0

Nombre total des décès 

228

9

50

Taux de létalité 

1,82%

0,80%

3,66%

Total des tests RT-PCR réalisés à visée diagnostique

681 191

385 638

69 527

Incidence des taux de tests pour 100 000 habitants

184,56

377,97

58,83%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Evolution mensuelle des décès

L’analyse de l’évolution temporelle des décès liés à la COVID-19 doit prendre en considération qu’il y a un décalage entre la notification des nouveaux cas et la notification des décès. Ceux-ci surviennent plusieurs jours après. Donc certains malades décédés par exemple pendant le mois d’avril ont été déclarés pendant le mois de mars !

Le 30 juin 2020, les TL au Maroc, en Tunisie et en Jordanie étaient respectivement 1,82%, 3,66% et 0,80%.

Figure 2 : Evolution mensuelle des décès liés au COVID-19 au Maroc, en Tunisie et en Jordanie

 

Evolution mensuelle des taux de létalité

Le 30 juin 2020, les TL au Maroc, en Tunisie et en Jordanie étaient respectivement 1,82%, 3,66% et 0,80%. Les évolutions mensuelles des TL sont globalement similaires au Maroc et en Jordanie (la létalité a diminué avec les mois). Au Maroc la chute est toujours constante (ainsi le TL est passé de 5,8% en mars à uniquement 1% pendant le mois de mai.). Alors qu’en Jordanie il y a eu une légère baisse en avril pour en juin il n’y a plus eu de décès. Alors qu’en Tunisie le TL a constamment augmenté entre mars et mai puis a diminué en juin. Les TL records ont été enregistrés respectivement au Maroc, en Tunisie et en Jordanie pendant mars (5,83%) et mai (7,95%) et mars (1,82%) (figure 7).

Figure 3 : Evolution mensuelle des taux de létalité liés au COVID-19 au Maroc, en Tunisie et en Jordanie

 

Discussion, Conclusion

La population marocaine est trois fois plus nombreuse que la population en Tunisie et en Jordanie. Au niveau des trois pays le premier cas de la COVID-19 a été déclaré le même jour soit le 02 mars 2020. Au Maroc, le 1er décès est survenu le 11 mars, en Tunisie 07 jours après (18 mars) et en Jordanie 16 jours après celui du Maroc (27 mars).

Rapporté au total de la population le Maroc a effectué trois fois plus de tests qu’en Tunisie et deux fois moins de tests que la Jordanie, 184,5 versus 377,9 pour 100 000 habitants. Le Maroc a enregistré une incidence cumulée pour 100 000 habitants des nouveaux cas de la COVID-19 trois fois moins qu’en Tunisie (34,0 versus 99,0) et trois fois plus que la Jordanie (34,0 versus 11,1). Le Maroc a enregistré un TL deux fois moins qu’en Tunisie (1,82% versus 3,66%) et deux fois plus que la Jordanie (1,82% versus 0,8%).

Il est logique de penser que les systèmes de santé et les moyens mis en œuvre dans les trois pays soient différents. Mais, quelles explications doit-on donner au fait que les TL soient aussi différents, que dans les trois pays la majorité des décès soient survenue pendant les deux premiers mois et que les TL soient en constante baisse avec le temps au Maroc et en Jordanie ?

La comparaison des TL entre pays doit prendre en considération le nombre réel des malades. Ce chiffre dépend des définitions épidémiologiques des cas [5, 7] et essentiellement du nombre de tests virologiques réalisés. Plus le nombre de tests effectués est grand, plus on enregistre de cas confirmés, et donc plus le TL apparent baisse. Le Maroc a effectué plus de tests que la Tunisie et moins de tests que la Jordanie. La comparaison doit également prendre en considération le sexe, l’âge et la santé globale du malade, la gravité de la maladie à l’admission, le lieu du traitement (hôpital, à domicile ou ailleurs), la qualité de la prise ne charge et les protocoles thérapeutiques particulièrement des formes graves et les critères de recensement des morts. L’OMS estime que La véritable mortalité du Covid-19 mettra du temps à être pleinement connue. Le TL en fin de pandémie, sera significatif des politiques de santé publique menées dans chaque pays.

Au Maroc, quelle explication doit-on donné à cette baisse constante des TL ? S’agit-il de formes clinques plus bénignes, de terrains pathologiques (âge, sexe et comorbidités) moins problématiques avec le temps, d’une maitrise plus importante du traitement des formes graves, de l’efficacité du traitement intensif des formes bénignes et même asymptomatiques [10], d’une souche virale moins agressive ou d’autres facteurs qui seront objectivés par des études scientifiques sérieuses des cas marocains.

En effet parmi les cas détectés, la proportion des asymptomatiques, stables depuis 3 semaines, représentait 7% des hospitalisés pendant la semaine du 16 au 22 mars, ce chiffre est passé à 71,6% lors de la semaine du 04 au 16 juin [9]. Les patients admis initialement dans un état sévère à critique ne représentaient (le 24 mai) que 2,84% [8] au 16 juin ils étaient 1% [9]. L’autre explication plausible de la baisse du TL concerne l’âge moyen de tous les patients qui avait significativement chuté, du 16 mars au 04 mai, il était passé de 54,8 ans à 34,5 ans [5]. L’analyse des causes de décès liés à la COVID-19, avait révélé le 07 mai sur un total de 2521 cas que le TL était de 7,34% et que les facteurs les plus significatifs (p<0,005) étaient l’âge ≥ 65ans, le sexe masculin, l’obésité, l’hypertension artérielle et le diabète sucré [5].

Et en Tunisie pourquoi le TL a constamment augmenté entre mars et mai ? Est-ce que les formes cliniques à l’admission étaient plus graves, les terrains et comorbidité plus graves ou la souche virale plus agressive ? Il serait illogique de penser que les médecins tunisiens n’ont pas su bien traiter leurs malades graves. Là aussi, les études scientifiques des séries apporteront les réponses à ces questions.

La baisse du TL observée au Maroc peut être partiellement expliquée par la baisse de l’âge moyen des malades et l’augmentation des formes asymptomatiques.

Les études scientifiques sérieuses décortiquant les particularité cliniques, biologiques et thérapeutiques permettront de répondre à de multiples questions. La Covid 19 et son virus le SARS-Cov2 n’ont pas encore délivré tous leurs secrets.

 

Références

(1) Lu H et al. Outbreak of pneumonia of unknown etiology in Wuhan, China: The mystery and the miracle. J Med Virol. 2020;92:401-2.

(2 COVID-19 – Chronologie de l’action de l’OMS,https://www.wo.int/fr/news-room/detail/27-04-2020-who-timeline---covid-19 (dernier acces le 18 juin 2020

(3) Sohrabi C et al. World Health Organization declares global emergency: A review of the 2019 novel coronavirus (COVID-19). Int J Surg.  2020;76:71-6.

(4) https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries

(5) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°5 du 11/05/2020, Direction de l’Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc

(6) Ministère de la Santé. Plan national de veille et de riposte à l’infection par le coronavirus 2019-nCoV version du 27/01/2020.

(7) Mise à jour de la définition de cas et du Protocole de prise en charge des cas de COVID-19 et leurs contacts. Circulaire N.Réf : 038  /DELM/00 du 20/05/2020

(8) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°6 du 25/05/2020, Direction de l’Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc

(9) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°7 du 17/06/2020, Direction de l’Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc

(10) Ministre de la Santé. Prescription et dispensation de la Chloroquine er de l’Hydrochloroquine. Circulaire N°022 : 23 mars 2020

 

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