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Crise sanitaire : revisiter le dispositif de protection sociale en temps du Coronavirus

Crise sanitaire : revisiter le dispositif de protection sociale en temps du Coronavirus
Ph. Shutterstock

Thami El Ouazzani, docteur en Economie de l’Université de Paris X

La pauvreté est une notion complexe et insaisissable. D’ailleurs, une multitude d’études ayant abordé cette question ont fait l’objet de plusieurs reproches en fournissant des explications qui prêtent à équivoque. Ceci pour dire que cette notion ne manque pas d’ambiguïté, laquelle ne peut être levée qu’en se penchant sur les travaux des spécialistes en la matière qui expliquent en long et en large, les forces et les faiblesses des différentes approches qui traitent cette notion. Bien qu’il y ait différentes approches pour la définir, il n’en demeure pas moins que les deux « principales approches » partagent l’idée que la pauvreté est une notion pluridimensionnelle, ne pouvant être réduite à une expression monétaire comme le déclarent les experts respectivement du PNUD et de la banque mondiale, « la pauvreté n’est pas un phénomène unidimensionnel » et « la pauvreté à des dimensions multiples ».

D’une manière générale, la pauvreté se manifeste notamment par la faiblesse ou l'absence d'un revenu, par la sous-alimentation, par un logement précaire, par une mauvaise santé ou par une éducation insuffisante. Ainsi, malgré les différentes définitions de la pauvreté, une chose est certaine, il s’agit d’un problème qui touche les deux sexes et toutes les catégories d’âges et requiert, ainsi, l’attention de tous.

Cette brève mise en garde étant faite, il y a lieu de constater qu’au niveau mondial des progrès importants ont été enregistrés dans la réduction de la pauvreté ces dernières décennies. Mais cette tendance risque infailliblement de s’inverser en 2020, notamment en raison de la crise provoquée par la pandémie de Coronavirus. Les deux institutions susmentionnées prévoient que la crise du Covid-19 pourrait entraîner 100 millions de personnes supplémentaires dans l'extrême pauvreté à travers le monde et que ce nombre augmenterait si la pandémie se prolongeait.

La population pauvre est indéniablement et doublement la plus touchée par le Coronavirus tant du point de vue du nombre des contaminés que celui des laissés-pour-compte. Pour ce qui est du premier point, certaines études révèlent que le niveau d'exposition à la maladie est plus élevé chez cette population. Elle occupe, le plus souvent, des emplois moins qualifiés qui requiert le contact avec la population et de ce fait est susceptible de contracter le virus. En outre, cette population vit souvent dans des quartiers surpeuplés et dans des petits logements qui constituent deux autres facteurs additionnels de risque pour la transmission. S’agissant du deuxième point, les conséquences de la pandémie se manifestent par les suppressions d'emplois en particulier l’emploi informel qui constitue une part importante des activités génératrices de revenu de cette population, la baisse des envois de fonds des travailleurs émigrés qui généralement servent à couvrir les besoins de base notamment ceux liés à la nourriture, au logement, à la santé et la hausse de prix aussi bien des produits que ceux des services.

A l’instar des autres pays du monde, notre Royaume a été également touché par cette pandémie. De la même manière et faute de filets sociaux de protection adéquats, ce sont les franges de la population en situation de précarité qui ont été les premiers à en subir les conséquences néfastes de cette crise qualifiée à la fois de sanitaire et d’économique. En juillet 2020, dans une note stratégique réalisée dans le cadre d’une collaboration entre le Haut-Commissariat au Plan (HCP), le Système des Nations Unies au Maroc (SNUD) et la Banque mondiale (BM), il y a été indiqué que « l'impact socioéconomique de la crise sera sans doute ressenti en premier lieu et durement par les travailleurs du secteur informel qui représentent une grande majorité des marocains actifs (…) et qui sont généralement employés dans des  secteurs particulièrement vulnérables à la crise, comme le secteur du tourisme ou des transports, la vente au détail, ou encore la « gig économie » mais également par tous ceux dont le travail ne peut pas se faire à distance » auquel il me semble adéquat d’y ajouter le secteur agricole.

Dans ce cadre, il y a lieu de souligner que les subventions financières directes du Fonds spécial Covid-19, créé à l'initiative des Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, ont été d’une grande aide à 5,1 millions de ménages. Nombre indiqué par le Ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération Africaine, et des Marocains Résidant à l’Etranger dans son discours lors du Sommet du Groupe de Contact du Mouvement Non-Alignés, tenu le 4 mai 2020.

Maintenant, quel enseignement peut-on tirer à ce stade de l’évolution de la pandémie ? Il me semble que la crise du Coronavirus constitue une opportunité de revisiter notre dispositif de protection sociale, d’en relever ses faiblesses structurelles et en apporter les réponses qui s’imposent.

Lors du Discours Royal à l’occasion du 21ème anniversaire de la Fête du Trône, le Souverain a réitéré son appel à « une prompte refonte du dispositif de protection sociale, qui est encore marqué par un éparpillement des interventions et par un faible taux de couverture ». Ainsi, outre la généralisation de la protection sociale (généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire, allocations familiales, retraite et indemnité pour perte d’emploi), il a appelé à « une réforme rigoureuse des systèmes et programmes sociaux déjà en place, notamment à travers l’opérationnalisation du Registre social unifié (RSU) ».

Dans ce cadre, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) rappelle que faute de meilleur ciblage, les différents programmes sociaux existants, comme notamment le RAMED, TAYSSIR, le soutien aux veuves, les subventions de la compensation, la bourse des étudiants, ne parviennent pas à couvrir toutes les catégories pour lesquelles ils ont été conçus. A cet égard, M. Larbi Jaidi corroborait le même constat qu’« un meilleur ciblage permettrait de concentrer les ressources sur ceux qui en ont le plus besoin et de maximiser, ainsi, l’impact des programmes sociaux ».

Alors, le Registre social unifié, de quoi s’agit-il ? C’est un outil qui vient en réponse à l’inefficience du système d’authentification des personnes bénéficiaires qui demeure, d’ailleurs, une des problématiques majeures relatives aux aides sociales. Il est inutile de rappeler que des programmes d’appui social ou de subvention éparpillés ou mal ciblés ne réussiront jamais à extraire les ménages et les individus de la pauvreté.

Selon le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, le RSU est un mécanisme technique pour la notation des familles eu égard aux données socio-économiques actualisées de manière périodique selon les résultats des enquêtes de terrain réalisées par le HCP « Nous ne demandons pas d’informations sur le revenu ou sur les biens possédés. On leur demande le lieu d’habitation, le nombre de personnes composant le ménage, les dépenses d’eau et d’électricité, celles du téléphone ou celles du gaz. On prend comme base les dépenses et non les revenus, car rares sont les ménages qui déclarent la vérité de leur revenus ».

Aujourd’hui, il parait que l’Inde soit à la pointe de la technologie d’identification numérique qui inspire plusieurs pays en développement dont le Maroc et, à ce titre, notre pays a tout à gagner à s’ouvrir sur les expériences et bonnes pratiques en la matière.

Pour conclure, il semble à priori, que les questions techniques ne posent guère un obstacle pour que l’opérationnalisation de ce dispositif de ciblage soit soldée par une réussite et atteindre les objectifs escomptés. En fait, l’un des défis majeurs qui pourrait se poser ce sont les ingérences politiques et Sa Majesté l’a bien souligné « ce dispositif devra prévenir tout dérapage ou toute instrumentalisation de ce noble projet sociétal à des fins politiques ».  A bon entendeur, salut !

Enfin, comme à l’accoutumée, cet article aurait atteint son objectif si des plumes s’activent pour me corriger, m’informer et me compléter. Ainsi, Mesdames et Messieurs, je vous saurais gré de bien vouloir donner libre cours à vos plumes !!!!!

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