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Pandémie du Coronavirus en Afrique : Les 5 leçons pour le Continent

Pandémie du Coronavirus en Afrique : Les 5 leçons pour le Continent
Ph. SHUTTERSTOCK

Thami EL OUAZZANI, docteur en économie de l’Université Paris X.

On dispose d’une pléthore de littérature sur la problématique du développement en Afrique. Cette question à différentes dimensions a été traitée sous plusieurs angles, en long et en large et on s’en réjouit parce que le besoin se fait toujours sentir « la récurrence des thématiques ne signifie pas une avancée dans le traitement ». Ce processus se poursuit et on s’en félicite. Depuis l’avènement de la pandémie de Coronavirus, on assiste à une prolifération d’études, d’articles et de rapports sur les conséquences de la pandémie sur les économies des pays africains.  

De prime abord, le constat prédominant dans ces réflexions, est que la crise actuelle pourrait anéantir des années de progrès sur le plan du développement. Cette pandémie a, en effet, révélé au grand jour la situation alarmante des systèmes de santé africains, la dépendance économique des pays africains et l’absence ou la fragilité des filets de protection sociale.     

Certes, cette pandémie affecte ces pays de différentes manières, selon leurs forces et leurs faiblesses. Au regard des perspectives économiques en Afrique 2020 de la Banque Africaine de Développement (BAD), les économies les plus touchées du continent devraient être celles qui dépendent fortement du tourisme, des transferts des migrants, du commerce international et des exportations de produits de base, et celles qui subissent de lourds fardeaux de la dette et une forte dépendance à l’égard de flux financiers internationaux volatiles.  Ainsi, on peut en déduire que la crise actuelle s’explique par un manque de ressources qui est la conséquence, respectivement, de la fermeture des frontières, du chômage qui frappe les travailleurs africains à l’étranger, de l’atonie de la demande extérieure, des dépenses liées aux services de la dette et de la baisse des flux d'IDE allant de 25% à 40% en 2020 selon la CNUCED.   

Ainsi en scrutant les économies africaines, il en ressort que dans l’ensemble, elles se trouvent dans l’une ou l’autre situation et de ce fait, il y a un besoin d’une injection de ressources pour répondre à la pandémie et aux retombées économiques qui en résultent. Selon les estimations de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), l’Afrique aura besoin de mobiliser au moins $300 milliards pour faire face à la double crise sanitaire et économique. A cet égard, la communauté internationale s’est mobilisée en multipliant les initiatives bilatérales et multilatérales. D’ailleurs, l’Union Africaine a appelé les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux à accélérer leur appui financier et technique et alléger la dette des pays africains. Dans ce cadre, les Banques Multilatérales de Développement (BMD) ont mis en place des mécanismes de décaissements rapides. Les agences de développement européennes se sont mobilisées activement pour ne pas laisser le champ libre aux asiatiques qui, selon Mr. Jacques ATTALI, guettent l’opportunité de substituer aux européens. Les pays de G20, de leur côté, ont donné leur aval pour la suspension de la dette des pays pauvres ($12 milliards, 73 pays éligibles, dont une quarantaine en Afrique subsaharienne). Il s’agit d’une initiative à laquelle tous les créanciers officiels bilatéraux y participeront.

Maintenant, la question légitime et fondamentale qui se pose et s’impose, au-delà du montant alloué ou à allouer, est-ce- que cet appui va servir lesdits pays ou plutôt les desservir ? Sans équivoque, « étant les sources de revenus financiers intérieures comme extérieures s’étant taries », ce soutien est indispensable dans l’immédiat dans la mesure où il contribue à donner aux gouvernements africains, pris au dépourvu, un espace budgétaire leur permettant de mettre en œuvre le plan de riposte au COVID-19 (atténuer la crise sanitaire et appuyer les PME, les ménages et les travailleurs informels). Néanmoins, si on se projette à moyen terme, on se rendra compte, que certaines de ces initiatives risquent d’aggraver l’endettement de plusieurs pays qui sont déjà dans une situation de détresse de la dette dans la mesure où la plupart desdites initiatives ne prévoient pas une annulation de la dette mais juste une suspension temporaire des services de la dette (jusqu’à fin 2020 et les discussions sont en cours pour une extension de la suspension jusqu’au 2021), qui un jour ou un autre seront remboursés (principal et intérêt) avec des majorations des intérêts. Comme disaient les américains, il n’y a pas de repas gratuit « There is no free lunch », pourtant il y a des voix qui s’élèvent et « cherchent des moyens de réduire le montant de la dette des pays pauvres plutôt que de simplement retarder les paiements et ce, pour attirer plus d’investisseurs à la suite de la pandémie mondiale et de la récession ».

L’autre face cachée de l’iceberg de l’initiative de suspension est que les pays qui y ont souscrit et qui, font siens le proverbe africain qui dit que “poisson attrapé avec la main est plus sûr que poisson sous le pied”, risquent de voir leur notation se déprécier par les agences de notation, ce qui rend indéniablement leur sortie ultérieure sur les marchés internationaux plus onéreuse. S’agissant des BMD, il me semble que les pays africains y gagneraient beaucoup à solliciter outre l’appui financier, celui en assistance technique pour bénéficier du know-how dont dispose ces institutions étant donné les expériences qu’elles ont pu accumuler dans le temps et dans l’espace.

La première leçon importante à tirer de cette pandémie est que les pays africains, comme l’a souligné Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’Assiste, doivent désormais « compter sur eux-mêmes en faisant usage des potentialités dont ils disposent pour venir à bout du sous-développement ».

La deuxième leçon est que « La pauvreté et l’instabilité ne sont pas une fatalité à laquelle l’Afrique serait condamnée mais plutôt le résultat de processus » qu’il est possible d’enrayer en consacrant « la démocratie, la bonne gouvernance (…) le règlement des différends par des voies pacifiques et consensuelles, fondées sur le respect des principes de bon voisinage et de fraternité » et l’investissement dans les services sociaux de base.

La troisième leçon est que d’aucuns diront qu’il est une lapalissade d’avancer que l’investissement dans le capital humain est un préalable indispensable pour le décollage de l’Afrique. Certes, c’est une redondance mais qui mérite d’être réitérée à chaque fois que l’opportunité se présente. En effet, faute d’investissement dans l’éducation de qualité, y compris la formation technique et professionnelle, pour tous, filles et garçons, sans aucune distinction de genre, le continent n’avancera point, il fera de surplace, point de salut.  

Ainsi, tout en poursuivant la mise en œuvre de la stratégie continentale d’éducation pour l’Afrique (2016-25), qui vise à « offrir au continent africain des ressources humaines performantes adaptées aux valeurs communes africaines », il est nécessaire comme le soulignait le Souverain, « de mettre sur pied des programmes et plans de développement adaptés à la situation spécifique de chaque pays et portant notamment sur la santé et l'éducation ».

L’avenir de l’Afrique est dans l’éducation à l’image de l’intitulé du dernier ouvrage de Monsieur l’ambassadeur Fathallah Sijilmassi, « L’avenir de l’Europe est au Sud ». En lisant cet intéressant ouvrage dont la préface est rédigée par Mr. Huber Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères et dans laquelle il souligne que « les responsables, au nord et au sud, trouveraient beaucoup de profit à se nourrir des réflexions et propositions de Fathallah Sijilmassi ». En effet, cet ouvrage de référence est une source d’inspiration. L’auteur nous rappelle qu’« en septembre 2018 dans le prolongement des orientations du sommet UA-UE d’Abidjan de novembre 2017 », « une nouvelle alliance Afrique-Europe pour des emplois et des investissements durables a été proposée par l’UE » au titre de laquelle un partenariat est à instaurer entre les deux parties notamment dans les domaines de l’éducation et des compétences. Je suppose que d’autres Accords ou conventions établis entre l’Afrique et d’autres entités prévoient une disposition similaire en la matière et qu’il suffit de les ressortir des tiroirs, les actualiser et créer toutes les conditions pour leur implémentation.   

D’ailleurs, je saisis cette opportunité pour féliciter les auteurs du rapport susmentionné de la BAD d’avoir opté pour le thème « l’éducation et le développement des compétences de la main-d’œuvre africaine de demain ». Dans ce rapport, il y est précisé que les politiques publiques devraient inclure des mesures pour améliorer à la fois la quantité et la qualité de l’éducation ainsi que la diversification des cursus. Selon la BAD, dans toute l’Afrique, on recense que moins de 4 % de la population est diplômée universitaire et que l’éducation est restée concentrée dans les sciences sociales et humaines accusant ainsi un retard dans les domaines de la technologie, ingénierie et mathématiques.

La quatrième leçon est que les pays africains doivent travailler davantage les uns avec les autres pour être moins dépendants, tout en veillant à approfondir l’intégration régionale. La nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), que SA MAJESTE a qualifié « d’acte majeur de notre volonté commune de construire l’Afrique de demain », peut servir de tremplin aux Communautés Economiques Régionales d’Afrique pour stimuler l’intégration régionale. Sa mise en œuvre prévue, en janvier 2021, suscite beaucoup d’espoirs (stimulation de la croissance, augmentation de 81% des exportations intracontinentales, création de chaines de valeur afro-africaines, 30 millions de personnes sortiront de l’extrême pauvreté d’ici 2035).

Enfin, la cinquième leçon est la coopération Sud-Sud, dont le Royaume en a fait une de ses priorités de sa politique étrangère, doit être constamment renforcée et rénovée qu’il s’agisse des dimensions politique, économique, technique ou humanitaire. Pour ce dernier point, le Maroc a démontré encore une fois qu’il ne s’agit pas uniquement d’un vœu pieu mais c’est une réelle volonté qui se traduit par des actes concrets. En effet, Sa Majesté le Roi « a donné Ses Très Hautes Instructions pour l’acheminement d’aides médicales à plusieurs pays africains frères. Cette aide vise à fournir du matériel médical préventif, afin d’accompagner les pays africains frères dans leurs efforts de lutte contre la pandémie du COVID-19 ».

Cette liste n'a pas la prétention d'être exhaustive, mais juste un point de vue que les plus versés rectifieront et complèteront. Enfin, n’est-il pas envisageable de mettre en place une commission qui examinera les différentes formes et possibilités d’engagement africain du Maroc pour une Afrique solidaire à l’instar de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement. Comme à l’accoutumée, cet article aurait atteint son objectif si des plumes s’activent pour me corriger, m’informer et me compléter.

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