On en sait un peu plus sur les essais cliniques en cours au Maroc. Pour démêler le vrai du faux, l’Info en Face, engagée depuis le début de la pandémie avec les experts de santé pour mieux informer les citoyens, a fait appel au Pr. Kamal Marhoum El Filali, au premier rang dans cette lutte contre la covid-19. Ainsi, l’on sait qu’après la validation des phases 1 et 2 du processus des essais du vaccin anti-covid, le Maroc est arrivé à la phase 3 qui se déroule actuellement dans trois unités hospitalières, deux à Rabat et une à Casablanca, avec la participation de 600 volontaires. Mais le vaccin prêt à l’emploi ne pourrait être validé que dans plusieurs mois, soit pas avant 2021 !
Le jeudi 20 août 2020, le Maroc annonce la conclusion de deux accords de coopération en matière d’essais cliniques du vaccin anti-Covid-19, avec le laboratoire chinois CNBG (China National Biotec Group Company Limited). Mais depuis, c’est le flou sur ce processus qui, s’il arrive à bout avec succès, représente un espoir de sortie de cette crise sanitaire qui bouleverse le monde. Où en est le Maroc dans ce processus d’essais cliniques ? Combien de volontaires ont adhéré à ce programme ? Comment se fait le suivi et la coordination avec le laboratoire chinois ? Qu’en est-il du mémorandum d’entente pour l’acquisition de vaccins produits par R-Pharm, et développé à Oxford ? L’Info en Face a voulu en savoir plus et a invité Pr. Kamal Marhoum El Filali, Chef de service des maladies infectieuses et Membre du comité de veille Covid19 au CHU Ibn Rochd, pour un éclairage sur le sujet.
De prime à bord, l’invité de Rachid Hallaouy a voulu clarifié la notion, parfois utilisée à tout bout de champ, de phases de ces essais. « Lors de l’élaboration d’un vaccin, ou de tout autre médicament, il existe un certain nombre de phases à respecter pour prouver son efficacité », note le professeur de médecine. Il s’agit au départ de l’étape préclinique durant laquelle le vaccin est testé sur des animaux. S’il montre un intérêt dans le traitement de la pathologie en question, on passe à l’étape dite clinique qui elle-même comporte plusieurs phases :
1-Tester le produit sur le plan tolérance : on injecte le vaccin chez un certain nombre de personnes adultes, totalement sains, puis on observe la, ou les réactions éventuelles.
2-Si le produit est toléré par l’organisme, on passe à la phase qui consiste à quantifier le bénéfice à tirer de ce produit (vaccin ou médicament). Il s’agit ici d’observer la réponse immunologique de l’organisme, c’est-à-dire s’il a développé des anticorps. Cette phase permet également d’identifier le dosage nécessaire.
3-Dans le cas où les deux premières phases sont validées et favorables pour le produit étudié, il faut passer à la phase 3, qui est en cours actuellement au Maroc. Lors de cette phase, le vaccin est testé sur une catégorie beaucoup plus large de bénévoles, voire plusieurs milliers de personnes, note l’expert. « Le Maroc compte 600 volontaires pour cette phase 3 », indique le professeur. Un nombre qui est bas comparé aux chiffres annoncés par d’autres pays qui mènent les mêmes essais que le Maroc. « Il a été pressenti que notre capacité de recruter des volontaires n’est pas très importante, particulièrement pour des tests de vaccin. On sait tous qu’il existe une défiance par rapport aux vaccins, même ceux connus depuis longtemps. Aussi, il faut reconnaitre que le Marocains n’a pas une culture de bénévolat. On s’est donc rendu compte d’aller chercher 1.000 ou 2.000 bénévoles allait être un exercice très difficile », indique le chef de service des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd. Et de préciser que l’essentiel c’est que ce soit accepté par la partie chinoise et que ça remet pas en cause la fiabilité des résultats des essais. Par ailleurs, il indique que ces volontaires ne reçoivent aucune indemnité, sauf pour rembourser les frais de déplacement ou des dédommagements pour frais provoqués par ce processus précis.
Qu’en est-il justement des résultats ? Et bien il va falloir attendre, répond l’invité de Rachid Hallaouy. « On ne peut pas encore se prononcer sur les résultats. Ce que je peux vous dire c’est que nous allons effectuer deux injections, la première au démarrage du protocole, et la deuxième, 3 semaines plus tard. Après il faut observer le niveau de production des anticorps ainsi que le taux de tolérance. Ce qui rend également les prévisions difficiles, c’est le suivi des éventuels effets indésirables du vaccin. Cependant, l’expert affirme qu’à ce jour, il n’y a pas eu des effets secondaires graves chez les bénévoles.
Pour mener à bien ces essais, des équipes spécialisées ont été formées au sein du CHU Ibn Rochd à Casablanca, CHU Ibn Sina et l’Hôpital militaire à Rabat qui font le suis chacun, de 200 bénévoles. «C’est une activités que nous menons à part. Toutes les équipes ont reçu une formation ciblée et des structures ont été créés pour ces essais cliniques », explique l’expert. Par ailleurs, certains bénévoles sont suivis chez eux, et disposent d’un contact téléphonique direct avec leur médecin traitant dans le cadre de ce processus. « Les équipes assurent un suivi régulier, et jusqu’à aujourd’hui, tout se passe bien Hamdolilah », confie Pr. Marhoum qui tient aussi à rassurer sur les précautions prises lors de ce programme, il en va de l’éthique du métier. « Le processus est suivi par un comité d’éthique qui assure la mise en place de mesures de sécurité, l’anonymat des bénévoles et la confidentialité des données », affirme le professeur.
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Placébo et vaccin, quel intérêt ?
Lors de la phase 3 des essais cliniques, les volontaires sont divisés en deux groupes : pour le premier, on injecte le vrai vaccin en test, alors que le deuxième va recevoir le placébo, c’est-à-dire une substance sans principe actif mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique sur le patient. C’est une pratique très importante pour définir la tolérance et éviter le phénomène psychologique relatif à l’interprétation, parfois incorrecte, des effets du médicament. Pr. Marhoum indique que ni le médecin, ni le patient ne connait la nature du vaccin qu’il reçoit, c’est « l’essai contre-placébo double aveugle ».
Pourquoi le vaccin d’Oxford ?
Après la chine, le Maroc a signé, le 18 septembre 2020, un mémorandum d’entente pour l’acquisition d’un vaccin anti Covid-19 produit par la société russe R-Pharm et développé à Oxford par la compagnie pharmaceutique AstraZeneca. Une initiative louable selon le Pr. Marhoum. « En période de pandémie, il est plus sage de miser sur plusieurs chevaux et de ne pas se contenter d’une seule alternative », note l’expert. Certes, ce sont des produits différents, du fait de la méthode scientifique utilisée au départ, mais ça permettra au Maroc de se procurer l’un des deux vaccins selon les résultats prévus, dans les deux cas, dans des mois.