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«La solidarité entre les pays et la volonté de faire des sacrifices pour le bien commun sont déterminantes»

La journée de l’Europe, célébrée ce samedi 9 mai, intervient dans une conjoncture exceptionnelle marquée par une crise sans précédent. Mais cette conjoncture ne fait que réaffirmer et appuyer les valeurs véhiculées par cette célébration, à savoir la solidarité, l’union et l’entraide. Des valeurs qui ont toujours marqué les relations entre le Maroc et l’Union Européenne et qui se vérifient pleinement dans cette crise. Eclairages avec Claudia WIEDEY, Ambassadrice de l’Union européenne au Maroc.

«La solidarité entre les pays et la volonté de faire des sacrifices pour le bien commun sont déterminantes»

Le Matin : La crise sanitaire continue de frapper le monde. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Claudia Wiedey : Cette crise sanitaire mondiale est inédite. Inédite en raison de la propagation foudroyante du virus, compte tenu de la très grande mobilité des populations à travers le monde. Inédite en termes de mobilisation, de solidarité et d’appuis financiers, que ce soit au sein de l’Union européenne ou en dehors de ses frontières. Au sein de l’Union européenne, après la première vague au cours de laquelle les autorités nationales ont occupé le devant de la scène, l'UE est désormais au premier plan avec des actions conjointes sur toutes les pistes dans lesquelles les États membres lui ont donné les moyens d'agir : avec l'approvisionnement conjoint en équipements médicaux vitaux, avec un stimulus économique conjoint et un assouplissement nécessaire des règles fiscales et des aides d'État. Dès le mois d’avril, l’Union européenne a lancé son programme «Team Europe» pour soutenir les pays partenaires dans la lutte contre la pandémie de coronavirus et ses conséquences. L'objectif de l'approche «Team Europe» est de combiner les ressources de l'UE, de ses États membres et des institutions financières, en particulier la Banque européenne d'investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Toutes ces ressources mises ensemble totalisent 22 milliards d’euros. L'UE aide les pays les plus vulnérables d'Afrique, ses voisins – les Balkans occidentaux, les pays partenaires de l'Est, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, certaines parties de l'Asie et du Pacifique, l'Amérique latine et les Caraïbes.
Par ailleurs, le 4 mai, la Commission européenne a réussi à mobiliser, à travers une conférence internationale, de nombreux dirigeants internationaux, de gouvernements et chefs d'entreprise qui ont annoncé leurs engagements pour le développement et le déploiement universel de diagnostics, traitements et vaccins contre le coronavirus, totalisant des dons de 7,4 milliards d’euros. L'urgence Covid-19 ne peut pas être résolue dans un seul pays, ou en faisant cavalier seul. Cela remet en avant l’importance et les avantages du multilatéralisme, l’importance de la coopération internationale entre scientifiques, économistes et décideurs. Pour l’Union européenne, la solidarité n'est pas une expression vide de sens. La solidarité entre les pays et la volonté de faire des sacrifices pour le bien commun sont déterminantes. Ce n'est qu'en se ressaisissant et en coopérant au-delà des frontières que nous pourrons vaincre le virus et en contenir les conséquences.

L’UE a salué les mesures prises par le Maroc pour gérer la pandémie du Covid-19. Comment avez-vous appuyé cette stratégie ?
Dès le 27 mars, M. Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, et M. Oliver Varhelyi, commissaire à l'Élargissement et à la politique européenne de voisinage, ont eu un entretien téléphonique sur l’évolution de la pandémie du Covid-19. Le commissaire a annoncé que l’Union européenne appuiera le budget marocain en réallouant immédiatement 150 millions d’euros, spécifiquement dédiés aux besoins du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie Covid-19 créé à l’initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. En plus, la Commission utilisera toute la flexibilité possible pour réorienter 300 millions d’euros des fonds alloués au Maroc vers la réponse à la pandémie, en accélérant leur mobilisation pour répondre aux besoins budgétaires exceptionnels du pays. Cela a commencé à se concrétiser par la signature d’une convention de financement pour l’éducation pour 140 millions d'euros, de deux avenants aux programmes santé et justice réallouant un total de 47 millions d'euros, un appui à la Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion, et va se poursuivre dans les semaines qui viennent avec des réallocations de fonds et de nouvelles signatures de conventions de financement, dont un nouveau programme de 100 millions d'euros en appui à la santé dans les tous prochains jours. Il existe une coordination très étroite et continue avec les autorités marocaines dans la mise en œuvre de la réponse au Covid. Nous maintenons également une coordination étroite avec les acteurs de la société civile et le secteur privé. Dans les programmes en appui à la société civile que nous finançons au Maroc, nous avons également entamé des réorientations budgétaires pour répondre aux besoins de la lutte contre le Covid-19, en particulier pour les populations les plus vulnérables.

Quelles sont les actions prioritaires pour une relance de l’économie et quelle coordination avec les autorités marocaines ?
En réponse à la crise sanitaire du Covid-19, le Maroc a mis en place avec une rapidité remarquable un ensemble de mesures sanitaires, économiques et sociales permettant de minimiser l’impact de la crise sur la population, les entreprises et les ménages. Il s’agit de mesures nécessaires à court terme pour maintenir la cohésion du pays. Comme en Europe, iI est nécessaire maintenant de développer des mesures à plus long terme pour accompagner les entreprises dans la relance et minimiser les pertes d’emploi. Des mesures plus structurelles, moins liées à la liquidité à court terme et plus au besoin de (re)financement des entreprises à moyen/long terme seront nécessaires, ainsi que des mesures importantes pour lutter contre le chômage. Dans l’ensemble, avec cette crise, nous avons pu voir avec quelle rapidité les institutions, entreprises, écoles se sont mises au télétravail. La nécessité a permis d’expérimenter sur tout le territoire ce nouveau mode de fonctionnement. Certains y trouveront sûrement un argument de poids pour transformer durablement leur manière de travailler. Les autorités marocaines devraient saisir l’opportunité de digitaliser davantage l’administration pour la rendre plus efficace, accessible et transparente.

Les priorités discutées jusqu’à aujourd’hui entre l’UE et le Maroc restent tout à fait valables. Je dirais même que les besoins mis en évidence par la crise du Covid les renforcent :

  1. Mise en place d’un programme universel de protection sociale et renforcement du système de santé.
  2. Lutte contre les inégalités sociales et territoriales avec une attention particulière aux femmes, aux jeunes et aux populations vulnérables et à leur intégration économique.
  3. Renforcement du tissu économique en misant sur l’innovation, la formation et la petite et moyenne entreprise.
  4. Relance économique en exploitant les opportunités offertes par l’économie verte et durable et en accélérant la reconversion de l’économie.
  5. Digitalisation et décentralisation.

Le Maroc et l’UE préparent une nouvelle phase du programme de partenariat 2021-2027. Quels en seront les axes sur fond de crise et de relance économique ?
Dans la déclaration conjointe qui a suivi le Conseil d’association du mois de juin 2019, six axes de partenariat ont été retenus :

  • Convergence des valeurs (État de droit, droits de l’Homme, justice, efficacité et transparence de l’administration).
  • Convergence économique et cohésion sociale et territoriale. Comme déjà indiqué, cet axe sera très important pour répondre aux défis de la crise et saisir toutes les opportunités que l’après-crise offrira.
  • Espace de connaissances partagées. Sans connaissances, le développement se construit sur le sable. Éducation, formation, recherche sont à la base de l’innovation. Sans innovation, il ne peut pas y avoir de développement à long terme.
  • Concertation politique et dialogue sur la sécurité.
  • Protection de l’environnement et changement climatique. Axe central pour la reprise.
  • Migrations et mobilité. Mise en œuvre du partenariat pour la mobilité. Appui à la stratégie nationale de migration et asile. Lutte contre le trafic et la migration irrégulière.

Dans ce contexte, la cohésion sociale et territoriale et un développement économique plus durable et équitable doivent être au cœur de la réponse de moyen terme au Covid-19. Ces priorités sont cohérentes avec la réflexion en cours sur le nouveau modèle de développement dont nous attendons les premiers résultats pour le mois prochain. C’est une occasion importante pour revoir les priorités de l’action publique et remodeler l’économie sur les nouvelles opportunités offertes par l’économie verte et la lutte contre le changement climatique.

L’UE a réaffirmé son approbation des réformes fiscales entreprises par le Maroc. Est-ce une issue pour une sortie définitive de la liste grise de l’Union ?
Le commissaire européen en charge de l’Économie, M. Paolo Gentiloni, a réaffirmé en février dernier l’appréciation des efforts entrepris par le Maroc pour éliminer toute contradiction entre les normes internationales et le système fiscal marocain. La coopération entre l’UE et le Maroc reste très étroite sur ce point. La loi de Finances 2020 a amendé trois régimes fiscaux préférentiels qui avaient été considérés dommageables par l’Union européenne. La sortie du Maroc de la liste grise de l’UE est suspendue à la finalisation de l’évaluation par l’OCDE du régime fiscal de Casablanca Finance City. La Commission européenne attend toujours la conclusion de la procédure par l’OCDE avant de formaliser sa décision, et si l’OCDE conclut sa procédure comme prévu, il est fort probable que l’Union européenne sorte le Maroc définitivement de la liste grise lors de sa prochaine mise à jour en octobre.


Vous célébrez, ce 9 mai, la journée de l’Europe. Dans cette conjoncture particulière, quel est le message à transmettre au monde et au Maroc ?
Notre devise «Unis dans la diversité» et notre hymne, l’hymne à la joie de Beethoven, portent en eux tous les messages de solidarité, d’humanisme et de fraternité, qui font le socle du projet européen porté par les pères fondateurs de l’Europe. Aujourd’hui plus qu’hier, nous réaffirmons au Maroc et au monde notre solidarité face à l’adversité que nous subissons tous. Il est important de mettre en avant au niveau international l’unité, la force, l’entraide, la résilience, valeurs qui doivent nous rassembler et se perpétuer après la crise que nous connaissons. Le Covid-19 va remodeler notre monde. Nous ne savons pas encore quand la crise prendra fin. Mais nous pouvons être sûrs que d'ici là, notre monde sera très différent. La différence dépendra des choix que nous faisons aujourd'hui.
 

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