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Cryptomonnaies sonnantes et trébuchantes

Cryptomonnaies sonnantes et trébuchantes

Kamal El Alami, Directeur Général Adjoint Groupe Le Matin

 

Au moyen âge, les pièces d’or représentaient une monnaie d’échange à valeur intrinsèque car émanant d’un métal rare et communément reconnu comme précieux. Le changeur, banquier de l’époque, assurait le contrôle desdites pièces à travers deux tests. D’abord, celui du son émis lors d’un choc contre une surface dure, et qui tinte de manière particulière bien identifiée par une ouïe experte. Ensuite, par une pesée de précision sur un trébuchet, une sorte de balance d’orfèvre. Les pièces ayant passé ces tests sont sûres et qualifiées de sonnantes et trébuchantes.

Sous sa forme la plus évoluée, la monnaie a été digitalisée grâce à une personne, ou collectif de personnes, sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto. Ce nouveau concept monétaire appelé aussi monnaie virtuelle, annoncé en 2008 a généré deux nouveaux termes, aussi populaires que difficiles à cerner, à savoir, le bitcoin et la blockchain.

Le fondement de l’approche réside dans la volonté de reproduire l’effet pièces à valeur intrinsèque, mais sans le contrôle d’une banque centrale.

En effet, comme pour l’extraction de l’or, pour obtenir un bitcoin, il faut déployer un dispositif de minage. Cette opération nécessite des moyens et du travail à travers la mobilisation d’ordinateurs à forte capacité de calcul pour résoudre des algorithmes complexes. Le travail du mineur réside en l’utilisation de logiciels de cryptage pour le hachage des données. En de termes plus simples, il est question de prendre un document et de lui associer une signature courte, unique et sensible à la moindre modification. Cette signature ne permet pas de reconstituer le document source mais permet de le certifier.

Ensuite, à la place d’une banque centrale, l’authenticité est assurée par la blockchain, une succession de blocs de données, construits élément par élément. Chaque maillon de la chaine est élaboré en trois phases : Premièrement, l’enregistrement et le cryptage d’un objectif de transactions et d’opérations au sein d’un nouveau bloc. Ensuite, après réalisation des tâches cibles, le travail est certifié par l’ensemble des mineurs sur le réseau. Enfin, le bloc est scellé et intégré à la chaine. La rémunération du travail effectué pour la construction du bloc est assurée en cryptomonnaie et au prorata de la contribution de chaque mineur.

La blockchain est donc une sorte de grand livre comptable crypté et distribué sur tous les acteurs, où toute nouvelle écriture nécessite un consensus de la communauté des mineurs. Cette architecture distribuée rend toute tentative de manipulation illicite très difficile, voire impossible  et extrêmement couteuse.

Ceci représente tout l’intérêt et l’engouement envers cette technologie quasi inviolable par les hackers. Ainsi, le bitcoin a été l’initiateur de toute une génération de cryptomonnaies qui dépassent aujourd’hui 5.000 devises, avec une valeur totale d’environ deux trillions de dollars. Cependant, même avec une telle évolution, la cryptomonnaie peut-elle vraiment être une valeur refuge comparable à l’or ? De même, quelle pérennité peut-elle avoir hors souveraineté des Etats ?

Selon une lecture réservée, même si le bitcoin représente presque la moitié de la valorisation des cryptomonnaies, ce n’est que grâce à l’effet « ruée vers l’or » et non un accroissement intrinsèque. Quelquefois, la mine peut être vendue à plus que la valeur des réserves de son gisement. En d’autres termes, l’appréciation du bitcoin est le résultat de la spéculation des investisseurs et non de son adoption dans l’utilisation quotidienne des consommateurs.

Concernant la pérennité, la cryptomonnaie n’a pas encore trouvé sa formule sonnante et trébuchante, la plupart des Etats la rejettent et s’orientent vers leurs propres crypto-valeurs afin de garder le contrôle et surtout la traçabilité, étant précisé qu’elle peut concerner des opérations financières liées à des activités criminelles comme le trafic de drogue, la traite des humains ou le terrorisme. L’évènement survenu il y a quelques jours, de la fuite du fondateur d’une plateforme d’échange de cryptomonnaies en Turquie avec 2 milliards de US$ donne une idée sur l’ampleur des dégâts possibles. Il est en outre difficile aux régulateurs monétaires de reproduire le concept blockchain, basé sur un nombre important d’acteurs externes qui effectuent un travail couteux et qui doivent être rémunérés en conséquence. Par contre, il est tout à fait possible de rendre lucratif toutes les solutions que cette technologie permet, notamment, dans la sécurisation et la fluidification des échanges de données, des transactions, d’authentification des marques, des origines, des contrats, etc.

A ce titre, la blockchain représente un véritable enjeu économique et technologique que personne ne peut ignorer. Ainsi, même s’il est sage d’interdire la spéculation et l’investissement bitcoin, il est temps d’encourager la recherche universitaire pluridisciplinaire. Il faudrait ouvrir des mines digitales et développer l’expertise dans les algorithmes de minage. A préciser aussi que, un dispositif mondial par exemple sous l’égide du FMI pourrait ériger les banques centrales de chaque pays  en régulateurs, dans une architecture mixte avec une approche distribuée mais sous contrôle par des hubs multisites pour une sécurisation et une supervision optimales.

A noter aussi que les évolutions technologiques à venir, permettront de dépasser la plupart des contraintes de la blockchain : consommation excessive d’énergie, complexité du processus, capacité de calcul, etc... D’ailleurs, de nouveaux algorithmes de minage « plug-and-play » sont déjà disponibles et permettent de démocratiser le processus et d’assurer un revenu mensuel non négligeable à travers du travail et non de la spéculation (cf site bitwats).

Ainsi, pourquoi ne pas autoriser les valeurs produites par le minage et n’interdire que sa capitalisation ?

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