Le Matin: Contexte oblige, la pandémie a changé énormément de choses dans nos vies. Après une longue période de confinement, la maison est devenue le centre des préoccupations. Quelle lecture faites-vous de ce changement de votre point de vue d’architecte d’intérieur ?
Hind Magoul : Se retrouver confiné, c’est redécouvrir son intérieur et son pouvoir. Le contexte sanitaire déstabilisant et cet impératif de revoir nos habitudes quotidiennes ont conféré à nos intérieurs une dimension de refuge. Pendant ces longs mois, nous avons donc renoué avec le foyer, cet intérieur crucial. Il est devenu central, avec cette envie partagée par beaucoup de le réinventer, de le transformer en lieu de vie, en lieu de rêve. Le confinement nous a réorientés vers la reconsidération de nos priorités, et de ce qui est essentiel.
Au-delà du matériel, l’amour, la famille, et le foyer ont retrouvé leurs places prépondérantes. De mon point de vue, nous assistons à une revalorisation de l’intérieur. Car, chez soi, c’est le cœur du mieux-être. La décoration incarne un élément indissociable du confort, du bien-être, d’une paix. Le Beau n’est définitivement pas accessoire. Il apaise, réchauffe, réconforte. Un intérieur qui vous ressemble, un espace qui vous procure une sérénité salvatrice quand tout autour n’est qu’incertitude.
En matière de conception d’espaces à proprement dit, cette révision des priorités par tout un chacun a changé également les envies architecturales. On repense des espaces à vivre dédiés au partage, imaginés pour la famille, comme des lieux d’échange, de réunions joyeuses. De la même manière que cette crise a révolutionné notre approche égoïste en insufflant de la solidarité, la maison délaisse son caractère individualiste d’espaces compartimentés pour plus de convivialité, plus de douceur, plus d’intimité, plus de pratique aussi, tout en conservant une organisation et une fonctionnalité optimales.
Enfin, dernière révélation de cette crise, l’habitat réinvesti au quotidien a montré les limites de sa conception actuelle. Après des mois confinés dans des appartements en milieu urbain, ces envies de vert, ces envies d’espaces extérieurs qui paraissaient auparavant superficielles deviennent des objectifs.
La nature a retrouvé ses droits, sa vocation, et l’habitat devra être désormais appréhendé dans une approche durable et éco responsable car nous avons compris le plus important : la santé n’est plus un acquis.
L’architecture d’intérieur a tendance à évoluer avec l’évolution des sociétés. Qu’est-ce qui caractérise cette évolution dans le contexte actuel ?
La surconsommation a été pointée du doigt, la pandémie a été le miroir de tous nos travers. Nos « besoins » excessifs, leurs conséquences sur la planète, nos voyages au bout du monde, tout cela a été remis en question.
Aujourd’hui, nous vivons une métamorphose de nos modes de vie. Achats compulsifs laissent place à une réflexion plus aboutie, traçabilité des produits, impact écologique de nos décisions, tout cela est désormais pris en considération. Car, pendant ces longs mois nous avons constaté que nous pouvions vivre plus simplement, acheter localement, soutenir les artisans et les commerçants à quelques encablures de chez nous, et redécouvrir des talents qui reflètent tout notre patrimoine décoratif national.
Finalement, avons-nous besoin de toutes ces choses, venues de si loin, qui causent non seulement des dommages écologiques, mais aussi des dépenses superflues quand on pense aux droits de douane qui ont considérablement augmenté par exemple ? Nos habitudes ont été secouées, jusqu’à notre manière de travailler. Ce qui était impensable, de délaisser nos open spaces pour le home office est arrivé. Une carrière qui a du sens, travailler et voir ses enfants au quotidien plus que 10 minutes avant le coucher, revoir son espace pour qu’il soit propice au travail à la maison, sont autant de nouvelles préoccupations largement partagées.
Cette crise, c’est celle du paraître. Une quête de sens. Il ne s’agit plus de sembler ou donner à voir, il s’agit d’être et de vivre. Et, cela se reflète dans les aspirations en matière de décoration et de design.
Ainsi, les éléments essentiels qui font la qualité d’un intérieur reprennent tous leurs droits : la luminosité, l’espace. On recherche un lieu sain et protecteur, aéré, bien isolé, un lieu confortable, aménagé de manière intelligente en accord avec cette nouvelle vie. Une circulation fluide et des usages multiples : cuisine, sport, études scolaires, télétravail, dans un espace de vie qui marie esthétique, pratique et réel confort.
Et, c’est tout mon pari aujourd’hui en tant qu’architecte d’intérieur, redonner à la maison son caractère de refuge tout en l’adaptant aux besoins versatiles de ceux qui y vivent. Des espaces beaux à voir, mais surtout à vivre.
Le monde post-pandémie sera digital. C’est une évidence également pour votre métier. Où en est-on à ce niveau ?
Comme dans la mode et de nombreux autres secteurs, le digital a donné une visibilité aux produits, et a uniformisé les envies et les goûts en rendant également disponibles mondialement les créations des marques. Il a également donné une place prépondérante, notamment avec Instagram et Pinterest, à l’esthétique et à l’exposition de son intérieur aux likes d’inconnus. Le résultat ? Tout le monde veut un intérieur Instagrammable !
Affirmer son identité à travers son intérieur a engendré toutes sortes de nouveaux services en ligne, que cela soit des enseignes de décoration, des brocantes en ligne, ou encore des services personnalisés de travaux. Pour faire simple, la déco, c’est la nouvelle mode !
Le digital a donc banalisé la décoration, lui permettant d’être non pas réservée à une élite, mais bien à tout un chacun. Le message ? Tout le monde a le droit au Beau. Les internautes comprennent aujourd’hui que les services de professionnels (architectes, décorateurs…) sont également à leur portée. Il existe, par exemple, aujourd’hui, des plateformes web automatisées, permettant de mettre en relation clients et architectes ou décorateurs d’intérieur, afin de proposer un répertoire de professionnels qualifiés, de clarifier l’offre et d’assurer une transparence des prix.
Dans mon métier au quotidien, le digital est un outil, pour plus de fluidité, de rapidité, d’efficacité, de suivi, de sécurité, de confiance et de lien avec mes clients.
Je peux ainsi présenter un projet à travers des outils et des logiciels qui me permettent d’offrir au client une visibilité quant au résultat, tout au long du processus. Par ailleurs, les réseaux sociaux sont une vitrine qui nous permet de mettre en lumière ce que nous faisons, comment nous le faisons, et de partager une vision. En ce qui me concerne, j’essaye au maximum de communiquer des émotions à travers mes posts, mes stories et les projets publiés, même si, quand on travaille pour des particuliers, il n’est pas souvent évident de communiquer sur notre travail qui se fait dans la confidentialité. Je dévoile mes inspirations, les étapes de réalisation de mes projets, mes voyages, mes coups de cœur. Les réseaux sociaux sont pour moi la version digitale de ce qu’est Hind Magoul Interiors, un prolongement en images du quotidien. Et, cette authenticité est récompensée avec une communauté qui s’élargit de jour en jour !
Originaire de Casablanca, vous avez été imprégnée par les trésors architecturaux de la ville ? Quelles sont les autres influences qui façonnent votre art ?
Casablanca ? Un écrin de courants architecturaux, un laboratoire architectural à l’air libre. Arabo-andalou, art nouveau, art déco, néo-mauresque, fonctionnalisme, cubisme, brutalisme, tout ici se heurte et se côtoie. J’y ai grandi et pourtant chaque jour je la redécouvre comme un mystère infini. Si ma ville natale m’interpelle, mes voyages nourrissent mon inspiration. Voyager est un art pluriel. Chacun le conçoit avec ses propres rêves et y trouve des réponses, y découvre de nouvelles possibilités. J’aime m’imprégner des travaux d’Oscar Niemeyer, Carlo Scarpa, Gio Ponti, et créer ainsi de vraies expériences.
Pour moi, le design d’intérieur : C’est raconter une histoire inédite avec des matières, des formes, des styles, des ombres, de la lumière, des époques. C’est pourquoi elle est toujours différente, toujours unique et toujours le miroir du personnage central, mon client.
Quelles sont vos ambitions ?
Hind Magoul Interiors c’est concevoir et créer des solutions clés en main d’espace à vivre, pleinement. Esthétique et fonctionnel se marient certes, mais mon approche se distingue dans ma manière d’appréhender ce que mon métier doit apporter au client. Je ne conçois pas un lieu, je crée un mode de vie en cohérence avec ce qu’est mon client, ce qu’il expérimente chaque jour, ce qu’il aime, ce qu’il désire. Je raconte son histoire, je la mets en scène. J’imagine et je réalise là où il va évoluer chaque jour.
C’est ce que je fais aujourd’hui, pour des résidences privées, pour des espaces commerciaux de luxe, pour des hôtels ou des complexes résidentiels.
Demain ? J’aimerais capitaliser sur toute l’expérience acquise auprès des différents designers auprès desquels j’ai été formée, des maisons auprès desquelles j’ai forgé mon savoir-faire, pour créer ma ligne de mobilier, d’accessoires et linge de maison.
Tout de suite ? Je planche sur un projet en collaboration avec un jeune artiste marocain… Mais, chut, c’est un secret !
Un message aux jeunes architectes qui devront commencer leur carrière dans un contexte exceptionnel…
Nous sommes tous en mutation aujourd’hui. Bouleversés, en proie à des doutes. Pour moi, c’est aussi l’occasion d’optimiser ce flou pour se questionner sur nos ambitions, la place que nous accordons à notre travail, à notre famille, à nos passions. C’est une introspection.
Et, c’est souvent dans la douleur et l’incertitude que les artistes se révèlent. Pour de jeunes architectes qui souhaitent se lancer, c’est une occasion en or de clarifier sa vision en observant le monde. De quoi a-t-il besoin ? Comment pouvez-vous y contribuer ?
Le moment aussi de libérer sa créativité, de laisser libre cours à son imagination.
Mon message ? Ce ralentissement est salutaire. C’est le moment de faire de ce que l’on ne fait jamais. Se reconnecter à soi, prendre conscience de ses aspirations, s’ancrer dans le « maintenant ». Se cultiver, lire, comprendre, réfléchir, pour nourrir sa vision d’architecte d’intérieur et ainsi composer son identité d’artiste, sa signature et proposer une vraie différence au client.
Apprenons, en fait !