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Maître Abdelkébir Tabih : «Le retrait du projet de Code pénal est tout à fait logique, mais le ministre de la Justice aurait pu temporiser»

La décision du ministre de la Justice de retirer le projet de Code pénal du Parlement a donné matière à polémique. Si certains mettent ce retrait sur le compte d’une volonté d’enterrer les dispositions relatives à l’enrichissement illicite, d’autres estiment qu’il s’agit d’une démarche logique visant à refléter une conception de la réforme de la justice portée par le nouveau gouvernement. Le point avec maître Abdelkebir Tabih, avocat au barreau de Casablanca et ancien membre du bureau politique de l’USFP.

Maître Abdelkébir Tabih : «Le retrait du projet de Code pénal est tout à fait logique, mais  le ministre de la Justice aurait pu temporiser»
Abdelkébir Tabih.

La décision du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, de retirer le projet de Code pénal pour réexamen au niveau du gouvernement tombe sous le sens. Ici, il s’agit d’un nouveau gouvernement, et ce projet de loi est censé refléter sa conception de la réforme de la justice, dont le volet pénal constitue l’ossature. Et la décision de M. Ouahbi aurait tout aussi bien pu être prise par ses prédécesseurs, Mohamed Aujjar et Mohamed Ben Abdelkader, sous les deux gouvernements El Otmani I et II. Cette mise en évidence nous vient du Maître Abdelkebir Tabih, avocat au barreau de Casablanca et ancien membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
Les dispositions du Code pénal s’appliquent à l’ensemble de la société, des simples citoyens aux grands hommes d’affaires, en passant par les hauts fonctionnaires et les personnalités politiques et publiques. Elles concernent aussi bien la sphère civile que militaire, les libertés individuelles et collectives et les personnes physiques comme les personnes morales. Y apporter des modifications implique donc une pondération rigoureuse de tout un tas de facteurs, explique Me Tabih.

Il faut bien évaluer la propension actuelle de la société à accepter certaines dispositions portant par exemple sur l’abolition de la peine de mort, la liberté de conscience ou la dépénalisation de l’avortement. Il est également impératif que les arguments qui motivent chaque modification et qui en explicitent les enjeux soient bien élaborés et mis à la disposition du public. De même, il ne faut pas perdre de vue que le Maroc fait activement partie de la communauté internationale et jouit du statut de partenaire privilégié auprès de plusieurs puissances telle l’Union européenne, souligne l’avocat qui précise que cette réflexion sur la réforme du Code pénal remonte aux années 2000. «Retirer ce projet pour le réexaminer est dès lors logique si on tient compte du changement de gouvernement et de toutes les évolutions survenues entretemps», affirme Me Tabih, réitérant que le Code pénal ne peut être réduit à certaines dispositions, mais qu’il s’agit de tout un système à prendre en considération.

Une volonté de faire tomber la criminalisation de l’enrichissement illicite ?
Cette controverse n’a pas lieu d’être. D’autres lois dont la portée est plus large et plus conséquente sont déjà en vigueur, fait savoir Me Tabih. «N’avons-nous pas vu des présidents de communes, des magistrats et de hauts fonctionnaires traduits en justice pour des affaires de corruption ?» rappelle-t-il. Et de faire remarquer que la loi n°46.19, adoptée en mars dernier, renferme un dispositif fort important en matière de lutte contre la corruption. Cette loi relative à l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption confère à cette autorité de vastes prérogatives.
Les rapporteurs de cet organe sont habilités, par exemple, à se rendre dans toutes les administrations, les établissements publics et les sièges des collectivités locales et des personnes de droit public, les locaux professionnels des personnes physiques ou morales de droit privé et les sièges sociaux des personnes morales de droit privé, dans le cadre de l’examen d’un dossier ou d’une affaire relative à un cas de corruption pour mener les enquêtes et les investigations nécessaires. Ils peuvent également demander l’audition de toute personne concernée par les affaires dont ils sont saisis.
Aussi, le procureur général près la Cour des comptes est en mesure de saisir le ministre de la Justice de faits qui paraissent de nature à justifier une sanction pénale, de sa propre initiative ou à la demande du premier président, en vue de prendre les mesures qu’il juge appropriées. Il peut, en cas de découverte de faits susceptibles de justifier une sanction disciplinaire, signaler ces faits à l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire sur la personne concernée. Il existe plusieurs lois et organismes qui peuvent permettre d’agir contre la corruption et l’enrichissement illicite, estime M. Tabih, ajoutant que la perspective d’enterrer les dispositions relatives à l’enrichissement illicite dans le projet du Code pénal ne peut être envisageable.

Question de timing
La controverse autour du retrait du projet de Code pénal s’explique aussi par le moment où celui-ci survient. Le gouvernement en est à ses débuts et ce projet ne fait pas partie (en bonne logique) de ses priorités. Pour l’heure, son attention se porte sur le projet de loi de Finances 2022 et sur les moyens de surmonter les répercussions négatives de la pandémie sur l’économie. Au regard de Me Tabih, le ministre de la Justice se devait de temporiser. «Rien ne vient expliquer ce retrait à l’heure actuelle, à moins que M. Ouahbi n’ait déjà préparé le nouveau projet», estime l’avocat. «C’est un homme très actif, certes, mais si sa copie se fait attendre, il aura à subir une forte pression», affirme-t-il.
Nous rappelons que le ministre de la Justice avait déclaré à propos de ce retrait, à l’occasion de son passage dans l’émission «Confidences de presse» sur la chaîne 2M, qu’il avait proposé au Chef du gouvernement de retirer le projet modifiant le Code pénal et que cette démarche s’inscrivait dans une volonté de réformer l’ensemble du Code afin de le rendre cohérent et complémentaire. Le pire danger qui pèse sur une loi consiste à la soumettre à un traitement sélectif en choisissant des articles à réformer et en laissant d’autres intacts pour des motifs idéologiques ou autres, avait-il précisé.
L’enrichissement illicite figurera dans le nouveau texte avec des garanties qui protègent les personnes et leurs libertés, a assuré M. Ouahbi, tout en soulignant que l’essentiel est que les dispositions relatives à ce crime soient efficaces. Et d’ajouter que les réformes doivent porter sur de nombreuses autres questions telles que les peines alternatives ou encore les procédures ayant trait à des aspects liés aux droits de l’Homme. 

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