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Kamal Mokdad : «Il faut faire du développement de la Bourse de Casablanca une priorité nationale»

Le potentiel de mobilisation de l’épargne via la Bourse pour financer la relance et le nouveau modèle de développement se chiffre en dizaines de milliards de DH. C’est ce qu’assure Kamal Mokdad, président du conseil d’administration de la Bourse de Casablanca, dans cet entretien accordé au «Matin». Pour lui, le développement du marché boursier doit être érigé en priorité nationale et mobiliser toutes les parties prenantes. Et ce développement ne peut se faire sans dynamisation du marché primaire, celui des introductions en Bourse et des levées de capitaux par les entreprises. Dans ce sens, la société gestionnaire de la Bourse change de paradigme, s’allie à de nombreux partenaires et compte aller au plus près des chefs d’entreprises. Elle interpelle également tout l’écosystème concerné : groupes bancaires, régulateur et gouvernement pour agir de concert et réussir le redécollage du marché.

Kamal Mokdad : «Il faut faire du développement  de la Bourse de Casablanca une priorité nationale»
Kamal Mokdad, président du conseil d’administration de la Bourse de Casablanca

Le Matin : La Bourse de Casablanca vient d’organiser la cérémonie de première cotation du groupe TGCC. Quelle lecture peut-on faire de cette introduction en Bourse : contexte et résultats de l’opération, signal envoyé au marché, enseignements à tirer… ?
Kamal Mokdad
: Une lecture très positive et un message très clair : les investisseurs sont demandeurs de nouvelles entreprises qui s’introduisent en Bourse, et la Bourse de Casablanca reste l’une des meilleures sources de financement des investissements, très complémentaire des financements bancaires. Cela est encore plus vrai dans le contexte actuel de relance post-pandémie. Les résultats de cette opération sont, à ce titre, éloquents et le démontrent parfaitement. Pas loin de 12.000 investisseurs ont fait confiance à la fois à TGCC et à la Bourse de Casablanca, dont 11.223 petits porteurs. Le montant souscrit a dépassé de loin la demande de l’entreprise : 13,4 milliards de dirhams contre 600 millions de dirhams sollicités, soit un taux de sursouscription de 22 fois…
Le fait qu’on ait obtenu ce résultat en décembre 2021, avec une telle mobilisation, est un message de confiance très fort à l’endroit de notre pays et de notre Bourse. Mais ce résultat doit également nous interpeller et interpeller l’ensemble des acteurs et décideurs économiques sur le plein potentiel de la Bourse qui gagnerait à être pleinement saisi.
L’engouement des personnes physiques pour cette opération est aussi porteur de plusieurs enseignements, qui concourent tous à démontrer que notre marché est liquide et constitue un instrument puissant pour la mobilisation massive et rapide de l’épargne, tant nécessaire au financement agile des entreprises championnes qui avancent et font avancer notre pays.
Cette nouvelle introduction doit donc être un point d’inflexion. La Bourse de Casablanca est en mesure de jouer un rôle central dans la relance de l’économie marocaine, mais aussi dans l’accompagnement des deux initiatives phares lancées par Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, que sont le nouveau modèle de développement et le nouveau Fonds Mohammed VI pour l’investissement.

Une seule introduction en Bourse par an, c’est le rythme moyen sur la place depuis dix ans, alors que le marché regorge de liquidités et que les besoins de financement de l’économie sont importants. Qu’est-ce qui coince ?
Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. D’abord, le facteur culturel. Historiquement, les banques représentent par excellence la source de financement la plus répandue au Maroc, notamment pour les PME. D’autres sources sont également exploitées par ces entreprises, notamment les apports personnels et les crédits inter-entreprises. Les mécanismes de la Bourse demeurent très peu connus, et plusieurs chefs d’entreprise avec lesquels nous avons échangé nous ont confié que, par méconnaissance, ils ont l’impression que la Bourse est inaccessible, voire intimidante.
Il y a aussi la crainte des dirigeants de perdre le contrôle de leurs entreprises en s’exposant au marché. Alors qu’au contraire, la Bourse est le moyen de financement le plus libre à la disposition des entreprises, et vient renforcer les fonds propres, augmentant de facto leur capacité à lever de nouveaux financements bancaires pour accompagner leur développement. Sans oublier que le pourcentage du capital introduit initialement en Bourse dépasse rarement les 20%. Par ailleurs, le moteur essentiel de la Bourse reste la confiance ! Il faut souvent beaucoup de pédagogie et de proximité pour que les chefs d’entreprise comprennent ce marché simple, certes, mais tellement différent des autres mécanismes de financement avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. Une fois cette logique établie, toutes les discussions autour de la gouvernance et la communication financière ne sont plus perçues comme des contraintes mais plutôt comme une réelle opportunité pour se développer sereinement et établir une relation de partenariat dans la durée avec les investisseurs boursiers.

La dernière incompréhension qui doit être levée concerne les mécanismes de bonne gouvernance. Nous devons passer le temps nécessaire avec les entreprises pour leur expliquer que ces mécanismes demandés par nos investisseurs sont salutaires pour toute société souhaitant croître et se pérenniser. Et je souhaite fortement recommander à toute entreprise qui nous lit de s’en inspirer et de les appliquer, qu’elle souhaite s’introduire en Bourse ou non. Nous avons vu beaucoup de belles entreprises familiales disparaître dès que le père fondateur décède. Une bonne gouvernance, c’est avant tout une source de création de valeur dans la durée !
Toutes «ces craintes» n’entament pas une vérité qui est que la Bourse représente une précieuse source de levée additionnelle de capitaux, une façon certaine d’institutionnaliser et de pérenniser son entreprise, un moyen d’offrir de la liquidité aux actionnaires historiques, une belle carte de visite internationale et un gage de crédibilité et de visibilité accrues auprès des financiers et des partenaires commerciaux.

Est-ce qu’on a une idée sur le potentiel de financement qui existe sur le marché boursier marocain ?
Il se chiffre en plusieurs dizaines de milliards de dirhams ! Pour une seule opération, on parle déjà de 13 milliards de dirhams mobilisés. Cela démontre que le potentiel est énorme et que l’appétit est là. Nous devons bien communiquer sur la confiance pour attirer les entreprises et leur expliquer la valeur ajoutée d’une introduction en Bourse. Dans le contexte actuel, le véritable enjeu pour la Bourse de Casablanca est d’arriver à accompagner la dynamisation de tout l’écosystème qui l’entoure pour pouvoir en faire 
une priorité nationale.

Quelles sont les actions que la société gestionnaire de la Bourse a entreprises ou prévoit de lancer pour encourager les entreprises à s’introduire en Bourse ?
La loi 19-14 a permis de donner un cadre d’intervention beaucoup plus agile à la Bourse de Casablanca. Nous avons ainsi initié un certain nombre de projets qui ont abouti à la structuration des marchés et des compartiments de cotation. Nous disposons notamment d’une offre dédiée aux investisseurs qualifiés à travers un marché qui leur est réservé, et qui permet de financer des projets à long terme, des projets de partenariat public-privé et des projets d’infrastructures. Nous avons également créé un compartiment dédié aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui a permis d’accueillir la cotation d’Aradei Capital fin 2020. Nous avons aussi le marché alternatif, réservé aux PME, qui offre des conditions d’introduction très allégées avec la possibilité de lever des fonds à partir de 5 millions de dirhams, et de revenir plus tard pour faire des levées de fonds complémentaires.

Nous menons par ailleurs, depuis plusieurs années, de nombreuses actions pour encourager les entreprises à franchir le pas de la Bourse. Parmi les actions phares, on peut citer la mise en place du Programme ELITE qui a pour vocation d’aider les entreprises à exprimer leur véritable ambition de croissance, et à disposer des prérequis nécessaires pour faire appel au marché des capitaux, en particulier sur des thématiques clés telles que la planification et le pilotage stratégiques, l’organisation, le contrôle interne et la gouvernance.
Maintenant vous l’aurez compris, une plus grande action de proximité est nécessaire et vous avez certainement commencé à voir un changement structurel dans notre approche. La Bourse de Casablanca doit être plus accessible et plus proche des entreprises. Dans ce cadre, nous avons initié, en collaboration avec la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) et avec l’appui de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), la création de l’Association des entreprises faisant appel public à l’épargne (APE), dont l’un des objectifs est justement de pouvoir mieux dialoguer avec les sociétés cotées, mais aussi les engager comme références, référents, voire mentors pour les entreprises non cotées. Par ailleurs, nous avons signé en novembre dernier un protocole d’accord avec AMMC, Maroclear et l’Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB) qui facilite l’accès à la Bourse aux PME grâce au nouveau Marché alternatif. L’offre comprend une réduction des frais de cotation, une formation et un accompagnement ciblés, ainsi qu’un guichet unique. Nous investissons aussi dans l’éducation financière à travers l’École de la Bourse et nous envisageons d’élargir très prochainement son périmètre d’action afin de couvrir les petits porteurs. La Bourse de Casablanca va également partir à la rencontre des entreprises dans les régions pour une meilleure proximité, en forte synergie notamment avec les présidents des régions, les Centres régionaux d’investissement, les associations professionnelles, les CGEM-Régions et l’Ordre des experts comptables. Pour cela, la Bourse de Casablanca a renforcé ses équipes de développement pour pouvoir organiser davantage d’événements et de rencontres avec les entreprises, en particulier dans les régions. Vous l’aurez donc compris, la Bourse de Casablanca est au service de la relance et se mobilisera énergiquement pour que les entreprises comprennent tout l’intérêt qu’elles ont à considérer ce marché !

Nous avons entendu parler d’un nouveau plan stratégique en cours de finalisation par la Bourse de Casablanca, axé sur les chefs d’entreprise. Vous confirmez ?
Effectivement, nous travaillons sur une vision stratégique de la Bourse de Casablanca à l’horizon de 2025, qui est en phase de finalisation. Nous travaillons selon une logique de priorisation en fonction de l’impact et de l’utilité de nos actions pour l’économie nationale, ainsi que les opportunités et challenges que nous impose le contexte actuel de relance. Notre nouvelle stratégie à l’horizon 2025 devrait s’articuler autour des priorités suivantes, toutes cohérentes avec notre cahier des charges :
• La redynamisation du marché primaire, axe majeur de notre future feuille de route et qui sera déclinée vis-à-vis des émetteurs domestiques et des étrangers.
• Le parachèvement de l’infrastructure de marché ainsi que l’amorçage des nouvelles filiales, la chambre de compensation et le marché à terme, avec le projet d’intégration en Holding des infrastructures de marché qui comprennent notamment les activités cash, dérivés, compensation et dépositaire central.
• La diversification et le développement à l’international. Un seul paradigme nous guide dans cet exercice : une Bourse utile, porteuse de sens et pertinente pour la relance économique de notre cher pays.

La Bourse de Casablanca a fait sa mue technologique et amélioré son offre technique. Mais à elle seule, elle ne peut réussir le challenge d’attirer les futurs émetteurs. Plusieurs parties prenantes sont impliquées. Commençons par les groupes bancaires avec toutes leurs institutions (banques classiques, banques d’affaires…). Quelle contribution peuvent-ils apporter ? Quel message pouvez-vous leur adresser ?
Nous avons réalisé en effet une mue technologique très importante ces dernières années. Notre plateforme technologique est l’une des plus performantes et des plus sécurisées au monde. Elle est aux meilleurs standards internationaux : éprouvée, résiliente et évolutive. Cela a été particulièrement démontré par le bilan très satisfaisant que nous avons accompli avec nos partenaires : 5 ans de disponibilité à 100% et une haute performance pendant la crise sanitaire où la volatilité et les pics des volumes ont fortement challengé l’ensemble des systèmes boursiers de par le monde… De quoi donc rassurer émetteurs et investisseurs. Il est à retenir que cette performance est le fruit de l’implication de l’ensemble des intervenants du marché.
Cela dit, à elle seule, notre performance technologique et opérationnelle ne suffit pas pour attirer des émetteurs vers la Bourse. Comme précisé auparavant, une collaboration entre l’ensemble des parties prenantes du marché financier est bien plus impactante que des actions individuelles ! D’ailleurs, la 24e édition de la conférence annuelle de l’African Securities Exchanges Association (ASEA), tenue récemment à Casablanca, a rappelé ce message. L’émergence de la Bourse ne peut se faire que s’il y a une forte mobilisation de toutes les parties prenantes, notamment des autorités et des pouvoirs publics. En particulier, les banques et les banques d’affaires, partenaires précieux pour la Bourse de Casablanca, qui sont en contact direct avec les émetteurs (et les investisseurs aussi !), et pourraient les drainer plus facilement vers le marché boursier. Et c’est pour cela que nous allons entamer prochainement des échanges avec les banques pour organiser des roadshows communs, et positionner les équipes de la Bourse de Casablanca comme point focal pour les banquiers qui souhaitent améliorer leur connaissance du produit Bourse, ou encore renforcer l’efficacité de leur argumentaire en faveur des cotations.

Et le régulateur-législateur, que peut-il apporter pour faciliter l’accès au marché (conditions, nouveaux compartiments, nouveaux produits…) ?
Le soutien apporté par le législateur et les pouvoirs publics est une condition sine qua non pour le développement du marché boursier. En 2019, l’adoption de la loi n°19-14 relative à la Bourse des valeurs, aux sociétés de Bourse et aux conseillers en investissement financier a permis l’adoption du nouveau Règlement général de la Bourse de Casablanca.
Ce règlement représente une avancée majeure dans la modernisation du marché boursier marocain. En effet, les nouvelles dispositions prises confèrent à la Bourse de Casablanca plus de flexibilité dans la mise en place des outils nécessaires au développement du marché. D’ailleurs, le nouveau Marché alternatif dédié aux PME en est la parfaite illustration. Cette flexibilité permettra de s’adapter plus aisément aux attentes des émetteurs et des investisseurs nationaux et internationaux. Cela dit, le marché boursier a besoin d’encore plus de soutien, et gagnerait même à être érigé en priorité nationale, surtout dans le contexte actuel de relance économique et d’amorçage du nouveau modèle de développement.
Nous sommes également amenées à être plus réactifs dans la mise en place de nouveaux produits et services et à raccourcir leurs délais de mise en œuvre. La cotation des OPCI par exemple nous semble très importante pour libérer l’accès à cette classe d’actifs particulièrement propice à la gestion patrimoniale.
Mais la dynamique est bien là ! Et je saisie cette occasion pour saluer l’initiative récente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux, qui a organisé une rencontre très riche avec les différents opérateurs du Marché des capitaux à l’occasion de la première édition des rencontres bisannuelles, en présence de Madame la Ministre de l’Économie et des finances.

Quel est le rôle du gouvernement pour réenclencher la dynamique de la Bourse ? A-t-on besoin d’actions plus audacieuses du politique pour booster le marché ?
Faire de la Bourse une priorité nationale est notre objectif premier. Quand on considère les défis que le Maroc devra relever, ou encore la place donnée à la Bourse dans le nouveau modèle de développement, on ne peut que s’engager et s’investir pleinement pour faire de notre Bourse une priorité nationale. Lorsqu’on analyse les raisons qui laissent les entreprises frileuses par rapport à l’introduction en Bourse, on retrouve en premier l’élément de la confiance et le manque d’effet d’entrainement. Si demain une nouvelle entreprise publique s’introduit en Bourse, cela donnerait sans aucun doute un signal très fort en termes de confiance et de dynamique. Nous pensons que la conjoncture actuelle est propice pour donner un véritable coup d’accélérateur aux introductions en Bourse. De même, des incitations limitées dans le temps permettraient indéniablement de redémarrer la dynamique des introductions. La Bourse de Casablanca favorise également le développement des autres instruments de financement et peut agir en synergie avec le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, qui est un outil puissant au service de la relance. La dynamique qui sera créée nous laisse présager un effet d’entrainement massif sur l’économie marocaine. La Bourse peut agir en amont en facilitant l’amorçage des projets à travers des levées de fonds, et en aval en servant de relais pour l’exit, permettant ainsi un partage plus large de la valeur de cette construction avec les investisseurs et en particulier les petits porteurs.

Peut-on espérer une reprise des introductions en Bourse en 2022 ? Y a-t-il des opérations dans le pipe selon vos informations ?
Nous sommes très optimistes ! Et convaincus que l’introduction réussie de TGCC aiguisera l’appétit des autres entreprises qui hésitent encore.

 

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