À peine installé, le nouveau gouvernement allemand entend bien clôturer le dossier des tensions avec le Maroc. Dans un communiqué publié lundi 13 décembre, l’Office des Affaires étrangères (Auswärtiges Amt ou AA) a publié un article au ton conciliant. «Le Royaume du Maroc assure une liaison importante entre le Nord et le Sud, sur le plan politique, culturel et économique. Le pays est un partenaire central de l'Union européenne et de l'Allemagne en Afrique du Nord», peut-on lire en introduction de cet article. L’Auswärtiges Amt, désormais dirigé par Annalena Baerbock (co-présidente de l'Alliance 90 - Les Verts), se félicite des réformes de grande envergure engagées par le Maroc au cours de la dernière décennie. De même, l’Office reconnaît le rôle important joué par le Maroc dans la stabilité et le développement durable de la région. «Cela se traduit notamment par son engagement diplomatique autour du processus de paix en Libye», précise l’article. Au sujet du Sahara marocain, l’Auswärtiges Amt précise que «l’Allemagne soutient l'Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies, Staffan de Mistura, dans sa quête d'une solution politique juste, durable et acceptable pour toutes les parties, sur la base de la résolution 2602 (2021) du Conseil de sécurité des Nations unies». «En 2007, le Maroc a apporté une contribution importante à un tel accord avec un plan d'autonomie», souligne-t-on dans l’article.
Un passage qui peut être traduit comme un tournant dans la politique allemande envers le Maroc et une rupture avec les positions hostiles au Royaume, affichées sous l’égide de l’ex-chancelière Angela Merkel. Un peu plus d’une semaine après la publication de cet article, la réponse du Maroc aux signaux d’apaisement envoyés par Berlin est exprimée par voie officielle. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger affirme que le Royaume apprécie les annonces positives faites et les positions constructives adoptées récemment par le nouveau gouvernement fédéral d'Allemagne.
Ces annonces permettent d’envisager une relance de la coopération bilatérale et le retour à la normale du travail des représentations diplomatiques des deux pays à Rabat et à Berlin, précise la même source. Toutefois, le communiqué souligne que Maroc espère que ces déclarations se joindront aux actes pour refléter un nouvel état d’esprit et marquer un nouveau départ de la relation sur la base de la clarté et du respect mutuel. Pour appel, les relations entre Rabat et Berlin se sont détériorées depuis près de deux ans. En juin dernier, Rabat avait rappelé son ambassadeur pour protester contre les «positions hostiles» et les actions attentatoires de l’Allemagne à l’égard des intérêts supérieurs du Royaume. L’Allemagne, entre autres, avait essayé d’écarter le Maroc du processus visant à trouver une issue au conflit interlibyen, alors que Rabat a joué un rôle déterminant dans le rapprochement des différents protagonistes de ce conflit. L’Allemagne avait également affiché une position clairement hostile à l’intégrité territoriale du Royaume en convoquant une réunion du Conseil de sécurité après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara.
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Zakaria Abouddahab, professeur des relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat
«Je crois que l’Allemagne a tiré les enseignements qu’il faut de sa crise avec le Maroc. Après l’installation du nouveau gouvernement en Allemagne et la nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères, le Maroc attend que la déclaration faite par la ministre allemande des Affaires étrangères sur le site officiel de la diplomatie allemande soit suivie par des actions concrètes. Il peut s’agir de déclarations et peut-être de conversations téléphoniques qui précisent exactement les attentes des deux côtés et pour, finalement, rétablir de façon normale les mécanismes de coopération, et mettre en place une sorte de feuille de route qui va tracer les contours d’un partenariat innovant et original entre les deux pays. Le Maroc a besoin de l’Allemagne parce que c’est le cœur de l’Europe et la dynamo de l’Union européenne (UE) et l’Allemagne ne peut pas avoir de relations avec de l’Afrique subsaharienne sans passer par le Maroc. L’Allemagne sait pertinemment que le Maroc joue un rôle très important en Afrique du Nord – en dépit des relations tendues avec l’Algérie –, mais également au niveau de la région MENA. La diplomatie marocaine, qui a salué les signes d’apaisement venant de l’Allemagne, a bien fait de préciser que Berlin devrait joindre l’acte à la parole. Clairement, cela veut dire que le Maroc s’attend à des positions claires, notamment par rapport à la question de l’intégrité territoriale. Mais d’ores et déjà, le fait que la ministre allemande des Affaires étrangères loue les efforts fournis par le Maroc en matière de recherche d’une solution durable sur la base du plan marocain d’autonomie marque un point d’inflexion dans les positions classiques de ce pays européen. Je pense qu’il s’agit là d’un nouvel acquis de taille pour le Royaume. Cela dit, les prochains jours nous diront quels seront le contenu et l’ampleur du nouveau partenariat que les deux parties appellent de leurs vœux.» B.M.
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Yasmine Hasnaoui, professeur en sciences politiques, Université internationale américaine au Koweït
«Concernant le Sahara marocain, l’Allemagne doit être claire et emboîter le pas aux États-Unis»
«Je pense que la nouvelle position exprimée par le nouveau gouvernement fédéral d'Allemagne est essentiellement une tentative de correction de l’approche adoptée par son prédécesseur concernant le Sahara marocain. Maintenant, Berlin tente de rectifier le tir, car il craint d’être exclu des énormes opportunités économiques que le Maroc offre, que ce soit au niveau des provinces du Sud ou indirectement en Afrique subsaharienne. Je l’ai toujours dit, l’Allemagne a besoin du Maroc pour le déploiement de sa diplomatie économique en Afrique où elle est encore limitée face à son concurrent français. Concrètement, qu’attend le Maroc de l’Allemagne après les récentes positions affichées ? La diplomatie marocaine est basée sur la clarté. Je pense donc que l’Allemagne doit dans ses relations avec le Maroc être claire sur un certain nombre de questions.
Concernant la question du Sahara marocain, ses positions à l’ONU ou au niveau de l’Union européenne ne doivent plus être ambigües. Ses positions ne doivent plus s’aligner sur celles des ennemis du Maroc. Le Maroc attend également de l’Allemagne d’autres initiatives plus audacieuses et qu’elle ne se cache pas derrière quelques eurodéputés de l’UE hostiles au Royaume. La communauté internationale est maintenant consciente que ce conflit artificiel est un conflit régional entre le Maroc et l’Algérie. À ce niveau, l’Allemagne doit être claire et je pense qu’elle a intérêt à emboîter le pays aux États-Unis et reconnaître la pleine souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes.»
H.O et B.M.