La médecine de famille se fera-t-elle rapidement une place dans le paysage sanitaire marocain ? C'est en tout cas l'ambition du gouvernement. «Le médecin de famille sera la première personne à consulter dans le parcours de soins de santé», indique l'Exécutif dans son programme gouvernemental adopté le 13 octobre dernier au parlement. Pourquoi ? L'objectif est d’alléger la pression que subissent les hôpitaux et leur permettre de s’occuper uniquement des cas graves et urgents, explique l'équipe Akhannouch. La pratique de la médecine de famille a, en effet, pour objet d’utiliser de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires de différents secteurs et la gestion du recours aux niveaux secondaires.
C’est une pratique qui met le patient au centre avec ses dimensions individuelles, familiales et communautaires et utilise des outils tels que le dossier médical familial afin de garantir des soins globaux, continus et intégrés. Il s’agit donc d’une médecine de proximité orientée vers la communauté dont l’acteur principal est le médecin généraliste. Le gouvernement rappelle dans son programme que le Maroc dispose aujourd'hui de 26 médecins généralistes pour 100.000 habitants. L’ambition aujourd’hui est de faire en sorte que chaque médecin de famille prenne en charge entre 300 et 400. 50 médecins de famille diplômés en 2020 Pour l’instant, le pays est encore loin du compte. La culture du médecin de famille n’y est pas du tout ancrée.
Pourtant, plusieurs expériences ont démontré l'importance de ce profil avec des résultats encourageants au niveau international. Déjà sous le précédent gouvernement, le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, avait affirmé devant la Chambre des représentants que la médecine de famille assure la cohésion sociale de la famille et incarne la politique de proximité, qui contribue à améliorer les systèmes de santé. Aït Taleb avait également noté que le ministère était conscient de l’importance de ce maillon dans l'écosystème sanitaire. Il avait aussi fait remarquer que 50 médecins de famille ont obtenu leur diplôme en 2020, contre 26 en 2018 ou encore 44 en 2017. Mais impossible de savoir combien le Maroc compte de médecins de famille. Le ministère de la Santé n'ayant pas pu fournir ce chiffre. Une situation qui en dit long sur le chemin à parcourir si l'on veut atteindre l'objectif fixé par l'actuel gouvernement.
Pourquoi le Maroc produit-il si peu de médecins de famille ? Pour une raison évidente : la filière est le parent pauvre de nos universités de médecine. Et la situation est en train d'être prise en charge. À en croire une source sûre du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le Réseau des doyens des Facultés de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire s’est réuni et a recommandé, dans son rapport, d’intégrer la filière de médecine de famille dans la nouvelle réforme des études biomédicales pour la généraliser à l’ensemble des facultés de médecine.
Formation : Une approche bio-médico-psychosociale
En attendant, cette filière n’existe actuellement que dans le privé, à l'instar de l’Université Mohammed VI des Sciences de la Santé (UM6SS) à Casablanca.
Dans un entretien accordé au «Matin», Fatima Dehbi, professeur en pédiatrie et ex-Doyenne de la faculté des Sciences et Techniques de Santé à l’UM6SS, explique que la médecine de famille est une spécialité clinique orientée vers les soins primaires et centrée sur les patients. «Cette discipline dispose d’un contenu spécifique aussi bien au niveau du cursus de formation qu’au niveau de la recherche et des pratiques cliniques. Cette filière permet donc de former des médecins qui seront à la fin de leur cursus des experts cliniciens pouvant apporter à leurs patients des soins à la fois cliniques, préventifs, de réadaptation et de bien-être», détaille-t-elle. Et point important : «cette discipline permet de faire participer le patient à sa prise en charge. Elle repose sur une approche bio-médico-psychosociale qui ne vise pas uniquement le traitement de la maladie mais surtout l’accompagnement du patient. C’est une approche qui repose, en effet, sur le développement humain et les droits de l’homme», estime notre spécialiste. «Pour bien jouer son rôle, le médecin de famille doit être un bon communicateur.
Il doit aussi favoriser l’autonomie de ses patients et réussir à les suivre à long terme en personnalisant leurs soins. À travers les différentes expériences, il va apprendre à s’autoformer de manière continue, ce qui fera de lui un promoteur de la santé qui met en place un diagnostic communautaire et un plan d’intervention pour remédier aux problèmes détectés au niveau de son territoire de dissertation», insiste Pr Dehbi.
Parmi les principales compétences requises en médecine de famille, Pr Dehbi souligne que l’étudiant a besoin de développer des compétences psychosociales qui lui faciliteront la relation avec les malades et la mise en place d'une alliance thérapeutique entre patient et soignant. «Le médecin de famille doit également être capable de mettre en place un programme d’éducation thérapeutique pour que le patient puisse s’auto-prendre en charge dans les cas de maladies chroniques telles que le diabète, l’asthme et les maladies cardiovasculaires. En gros, il doit offrir des prestations qui aideront le patient à devenir acteur de sa santé», développe-t-elle. «Au niveau de la faculté de médecine de l’UM6SS, les étudiants qui choisissent la filière de la médecine de famille bénéficient d’une formation riche avec un programme de recherche et actions pour leur donner tous les outils nécessaires en vue de développer un profil complet de médecin de famille, poursuit notre pédiatre. Pour mettre en pratique ce cursus, des stages au centre de simulation de l’UM6SS et dans les centres pilotes de médecine de famille sont inclus dans la formation.
Questions au président de la Société marocaine de médecine générale
Dr Abdelhadi Benabbou : «Avec l’élargissement de l’AMO, nous pensons pouvoir maîtriser le “vagabondage” des patients»
Dans son programme gouvernemental 2021-2026, l’Exécutif compte promouvoir la médecine de famille. Qu’en pensez-vous ?
Il faut que les médecins de famille et les médecins généralistes soient impliqués dans ces changements à travers leurs associations. Cela va permettre aux autorités de mieux comprendre notre pratique, nos difficultés, les améliorations à apporter… Si nous ne sommes pas écoutés, nous pensons que les décisions qui vont être prises ne seront pas adaptées à nos besoins et à ceux des malades. Mais en écoutant les associations, on pourrait mieux cerner la formation qu’il faut dispenser dans les facultés.Quel rôle peut jouer le médecin de famille dans l’amélioration de la santé publique au Maroc ?
Le nombre de médecins généralistes est bien plus important que celui des médecins spécialistes. Ils sont ainsi répartis sur tout le Royaume aussi bien dans les grandes villes que dans les zones les plus reculées du pays, cela faciliterait l’accès aux soins aux différentes catégories de la population si ces médecins pouvaient jouer leur rôle de médecins de famille.Avoir un médecin de famille va, en effet, permettre aux patients de tracer l’histoire de leur maladie, leurs antécédents, leur niveau socioéconomique… Le médecin de famille garde toujours les dossiers médicaux de ses patients. Ces dossiers sont harmonisés et permettent d’orienter plus facilement les nouvelles consultations et faciliter ainsi l’accessibilité aux soins et services dans un délai raisonnable, tout en évitant les oublis et les erreurs qui peuvent avoir lieu lorsque l’on change de médecin à chaque fois.La culture du médecin de famille n’est pas répandue chez nous, pourquoi, selon vous ?
De nombreux facteurs expliquent la difficulté des médecins traitants à «fidéliser» le patient marocain. Il s’agit, entre autres, de problèmes d’organisation des soins, de manque de patience de certains malades, de la perte de confiance de plus en plus accentuée concernant les compétences du médecin… Les patients sont en permanence à la recherche de la «formule magique» qui va les guérir immédiatement, ce qui explique le changement continu de médecin traitant. En effet, puisque c’est le patient qui finance ses soins, il a la liberté de recourir à plusieurs médecins, mais cela lui fait perdre du temps et peut le mettre sur une fausse piste.Comment développer alors cette culture ?
Nous pourrons développer cette culture tout d’abord grâce aux médias à travers la sensibilisation des Marocains à l’importance d’avoir un médecin de famille en rappelant son rôle et ce que gagnerait le patient à l’avoir. Mais aussi via la formation continue des médecins eux-mêmes, ce qui est censé rétablir, sinon renforcer la relation de confiance avec le patient.Enfin, avec l’élargissement de l’assurance maladie obligatoire, nous pensons que nous pouvons maîtriser ce «vagabondage» des patients et les fidéliser obligatoirement en domiciliant leur dossier médical chez un médecin déterminé. Ainsi, en cas de maladie relevant d’une spécialité ou d’un défaut d’équipement, il y aura une coordination des soins entre le médecin de famille et le spécialiste ou l’hôpital dans le cadre d’un parcours des soins coordonné.