Tout le monde en parle. Depuis sa sortie, il y a un mois, la série «Squid Game», diffusée sur Netflix, est un succès planétaire. Le scénario est pourtant simple : Un groupe de personnes surendettées participent à une compétition de jeux pour enfants dans le but de remporter une grosse somme d’argent. Seul hic : perdre à ce jeu est synonyme de mort. Les perdants ont tous été exécutés d’une façon atroce. Vu la violence de ses scènes, cette série de huit épisodes de 30 minutes chacun est, en principe, interdite aux personnes âgées de moins de 16 ans. Pourtant, c’est chez le public jeune que cette production sud-coréenne semble faire le plus d’adeptes. En quelques jours, «Squid Game» est devenu le phénomène médiatique de la rentrée et le sujet de discussion phare des adolescents et des enfants. Les jeux diffusés dans la série ont inspiré les jeunes internautes qui ont créé de nouveaux challenges sur les réseaux sociaux. Des défis qui ont mal tourné pour certains à l’image de l’Australien de 14 ans qui s’est gravement brûlé, jeudi dernier, en tentant un «Squid Game Challenge».
Ces jeux ne s’arrêtent pas à la maison ou entre amis. Ils ont même réussi à pénétrer dans les écoles et à meubler la fameuse récréation. Si certains enfants se contentent de répéter la mélodie chantée par la poupée dans la série ou de jouer «paisiblement», d’autres maltraitent les perdants. «De plus en plus d’élèves, du CP au CM2, regardent la série “Squid Game”, alors qu’elle est interdite aux moins de 16 ans. De plus, des jeux dangereux apparaissent dans la cour de récréation, les enfants reproduisent la série, distribuent des numéros, jouent et ceux qui perdent sont frappés, souvent violemment», s’alarme la directrice d’une école primaire à Casablanca. «Nous avons informé les élèves qu’ils seront punis s’ils parlent de cette série ou essayent d’imiter les acteurs. Nous espérons que les parents seront plus vigilants et qu’ils sensibiliseront leurs enfants aux dangers de ces jeux. Pour notre part, nous avons attiré leur attention en leur adressant un message», affirme-t-elle.
«Squid Game» et les autres
La série «Squid Game» est, certes, la coqueluche du moment, mais elle n’est pas la seule. Avec la multiplication et la grande accessibilité des plateformes de vidéo à la demande, les enfants et adolescents sont surexposés aux scènes de violences aussi bien dans les films et séries que dans les dessins animés et les jeux vidéo. «Les enfants de cette époque sont nés dans un monde où la violence est devenue monnaie courante. Ce qu’ils regardent sur les écrans participe à une banalisation de la violence et même de la mort. Et cette banalisation n’est pas sans effet sur les jeunes qui sont plus vulnérables et qui ont beaucoup de mal à différencier le réel du virtuel», explique Chakib Guessous, sociologue. «Les enfants sont très attirés par les jeux de guerre. On les entend souvent dire “Je n’ai tué que 40 personnes aujourd’hui”, par exemple, ou “Tue le !” ou encore “Je suis mort”, avec une telle banalité et une telle innocence qu’on commence à trouver normal d’entendre ce genre de phrases. De plus, la violence des images peut perturber leur socialisation, générer de l’anxiété et de la peur, et faire d’eux de futurs adultes agressifs et violents», prévient notre interlocuteur. Les parents sont avertis, d’autant qu’une Saison 2 de «Squid Game» n’est pas à exclure. La fin de la première Saison le laisse deviner.Questions à la psychologue
Jihane Saadi : «Il est parfois difficile pour un enfant de prendre du recul par rapport au contenu qu’il visionne»
Quelles réactions peuvent provoquer des scènes de violence dans les séries, les films ou dans les jeux chez les enfants et adolescents ?
Leur réaction immédiate peut être l’amusement, la surprise ou le choc. Mais la réaction à laquelle il faut être le plus vigilant est celle qui est différée. Si votre enfant ou adolescent commence à présenter des difficultés au niveau du sommeil, avec des cauchemars, des crises de panique ou une anxiété aiguë, des troubles du comportement (agressivité), cela peut être le signe qu’il a été impacté par un contenu violent ou effrayant qu’il aurait visionné récemment.La série Squid Game affole le monde entier et le fait qu’elle mêle jeux d’enfants, sang et mort peut troubler ces derniers ?
La série est en elle-même un contenu inadapté pour les enfants. Il est vrai que le caractère ludique des jeux peut troubler ou dérouter les enfants qui peuvent ne pas réaliser la gravité de la situation vu que les personnages semblent «jouer». Mais au-delà du contenu, c’est la forme qui les impacte le plus. Il est parfois difficile pour un enfant de faire la part entre la fiction et la réalité, et prendre du recul sur le contenu qu’il visionne. S’il regarde un dessin animé, le caractère imagé montre qu’il s’agit d’une fiction. En revanche, lorsqu’il voit des personnes réelles à l’écran, il lui est difficile de réaliser qu’il s’agit d’acteurs qui font semblant de réaliser ses actions. Je dois souvent travailler avec les enfants le contenu qu’ils visionnent, en leur expliquant que les scènes, bien qu’elles aient l’air réelles, sont réalisées à l’aide d’effets spéciaux et que les personnages sont des acteurs. Les enfants me renvoient souvent que puisqu’ils le voient avec leurs propres yeux, cela est réel et donc faisable. Il est donc important de recontextualiser les scènes afin de restituer la différence entre le réel et la fiction.Quels conseils donner aux parents pour les aider à protéger leurs enfants de l’impact de ce genre de séries et jeux violents ?
Même si cela semble banal, il ne faut pas négliger l’importance du contrôle parental sur les écrans auxquels ont accès les enfants. Vous seriez surpris du nombre d’enfants qui se challengent pour regarder des films à caractère violent ou d’horreur, même s’ils oublient à quel point ils sont effrayés par la suite. Il ne faut pas hésiter à questionner l’enfant : «À ton avis quelle est la différence entre la réalité et la fiction ?» afin d’accéder aux représentations qu’il a à ce sujet et pouvoir les travailler avec lui. Il faut expliquer que les règles du cinéma sont différentes de celle de la vie réelle et de notre société. On ne peut pas, par exemple, frapper quelqu’un simplement parce qu’il y a un malentendu. Enfin, il faut discuter avec l’enfant sur la manière dont il régule ses émotions. Lorsque l’enfant n’a pas les mots ou les capacités pour gérer ses émotions, il en vient aux gestes, et souvent il copie ce qu’il voit à l’écran, sans vraiment en comprendre la gravité. Il faut donc aider l’enfant à verbaliser et comprendre son ressenti afin qu’il s’apaise. En parallèle, il faut expliquer les conséquences de la violence, soit qu’elle entraîne des sanctions mais également plus d’agressivité et colère. Il faut aiguiller ensuite l’enfant vers des moyens plus sains pour réguler ses émotions. Il peut utiliser la communication, le sport, les loisirs ou toute autre activité qui facilite l’expression des émotions, tout en étant dans un environnement contenant et sécurisant.