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Troubles psychologiques : La stigmatisation et le manque de ressources humaines freinent la prise en charge des patients au Maroc

Les nouvelles données issues de l’Atlas de la santé mentale de l’OMS montrent que la majorité des pays du monde ont encore un long chemin à parcourir pour assurer un accès équitable à des soins de santé mentale de qualité. Au Maroc, la stigmatisation et le manque de ressources humaines représentent les principaux facteurs qui freinent le développement des programmes de santé mentale.

Troubles psychologiques : La stigmatisation et le manque de ressources humaines freinent la prise en charge des patients au Maroc

Cette année, la Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre) a été célébrée sur le thème «La santé mentale dans un monde inégal». Le choix de ce thème, par l’ONU, est justifié par le besoin de prendre des mesures urgentes afin de remédier aux inégalités en matière d’accès aux services de la santé mentale dans le monde.
En effet, les nouvelles données issues de l’Atlas de la santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que la majorité des pays du monde ont encore un très long chemin à parcourir pour assurer un accès équitable à des soins de santé mentale de qualité.
«La dernière édition de l’Atlas, qui comprend des données provenant de 171 pays, indique clairement que l’attention accrue accordée à la santé mentale au cours des dernières années ne s’est pas encore traduite par la mise en place à grande échelle de services de santé mentale de qualité qui correspondent aux besoins», indique l’OMS dans un communiqué. «Il est extrêmement préoccupant de constater que, malgré le besoin évident et croissant de services de santé mentale, qui est devenu encore plus criant pendant la pandémie de la Covid-19, les bonnes intentions ne se concrétisent pas en investissements», a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. «Nous devons tenir compte de ce signal d’alarme et agir en conséquence, en accélérant considérablement le rythme des investissements dans la santé mentale, car il n’y a pas de santé sans santé mentale».

Au Maroc, l’État, à travers le ministère de la Santé, a fait de la santé mentale sa priorité durant les vingt dernières années, a souligné Jallal Toufiq, directeur de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi de Salé, dans un entretien accordé à la MAP, notant que les pouvoirs publics, à travers les plans d’action nationaux, dont le «Plan Santé 2025», promeut une approche holistique de la problématique. «Malgré ces efforts, il est à noter que deux facteurs essentiels freinent le développement des programmes de santé mentale au Maroc, à savoir la stigmatisation et l’ignorance autour des maladies mentales, et le manque cruel des ressources humaines qualifiées. Le premier facteur nécessite une pédagogie sanitaire de masse intense basée sur une communication taillée sur mesure sur le plan culturel, et le deuxième facteur exige l’intervention, sur fond de volonté politique déterminée, coordonnée et volontariste de plusieurs départements, notamment la Santé, l’Enseignement supérieur et les Finances», a indiqué Jallal Toufiq. «Sur le plan de l’approche santé publique, l’effort doit être mis dans la réorientation vers l’ambulatoire, la psychiatrie de proximité, la psychiatrie communautaire, l’intervention à domicile et le repérage précoce, y compris à l’école, par la sensibilisation des acteurs de la santé scolaire. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui un enfant souffrant d’autisme, ou d’hyperactivité, ou de déficit d’attention, ou de phobie scolaire soit mis sur la marge, soit harcelé et soit en échec scolaire», a-t-il ajouté.
Sur la situation actuelle, il a fait savoir que le Maroc dispose d’à peu près 1.500 intervenants en santé pour une capacité de 2.320 lits publics et privés, estimant que ceci est extrêmement insuffisant, au moment où le manque cruel de ressources humaines qualifiées continue de grever l’évolution de ce domaine. «La psychiatrie souffre d’une prise en charge très en deçà des aspirations des citoyens et les hôpitaux sont loin d’offrir les conditions idoines de prise en charge et là c’est un euphémisme», a-t-il dit, précisant que les ressources humaines qualifiées sont rares avec à peine 450 psychiatres, 220 psychologues et quelque 1.400 infirmiers».
Il a estimé qu’il faut avoir une disponibilité et une qualification des ressources humaines, en plus de l’implication massive de la société civile, soulignant l’importance d’impliquer les associations dédiées à la santé mentale, surtout pendant cette période de pandémie de la Covid-19, durant laquelle les troubles de santé mentale se sont amplifiés. 


Impact de la pandémie sur la santé mentale

Dans son message à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a relevé que des mesures doivent être prises pour redresser les inégalités flagrantes en matière d’accès aux services de la santé mentale, surtout dans le contexte actuel de la pandémie de la Covid-19.
Guterres a également rappelé que la pandémie a eu un impact majeur sur la santé mentale dans le monde. «Des millions de personnes sont confrontées au deuil de membres de leur famille et d’amis. Beaucoup de personnes sont anxieuses au sujet de la sécurité de l’emploi. Les personnes âgées vivent plus que jamais dans l’isolement et la solitude», a-t-il indiqué.
De nombreuses études mondiales ont montré que la pandémie de la Covid-19 et les mesures de restrictions et de protection sanitaire ont eu des répercussions sur la santé mentale de la population mondiale qui est devenue plus stressée et anxieuse, en particulier pour les personnes déjà fragilisées par une maladie psychiatrique.


Peu de progrès au niveau mondial 

Aucun des objectifs ayant trait au renforcement du leadership et de la gouvernance dans le domaine de la santé mentale, à la prestation de services de santé mentale dans un cadre communautaire, à la promotion et à la prévention de la santé mentale et au renforcement des systèmes d’information n’était sur le point d’être atteint.
D’après l’Organisation mondiale de la santé, en 2020, seuls 51% des 194 États membres de l’OMS ont déclaré que leur politique ou plan en matière de santé mentale était conforme aux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits humains, soit bien en deçà de la cible de 80%. Et seulement 52% des pays ont atteint l’objectif relatif aux programmes de promotion et de prévention de la santé mentale, ce qui est également bien en deçà de la cible de 80%. Le seul objectif atteint pour 2020 a été une réduction du taux de suicide de 10%, mais même sur ce point, seuls 35 pays ont déclaré avoir une stratégie, une politique ou un plan de prévention spécifique.
L’OMS note, par ailleurs, que le pourcentage des budgets de santé nationaux consacrés à la santé mentale n’a guère changé au cours des dernières années, oscillant toujours autour de 2%. En outre, même lorsque les politiques et les plans comprenaient des estimations des ressources humaines et financières nécessaires, seulement 39% des pays ayant répondu ont indiqué que les ressources humaines indispensables avaient été allouées et 34% que les ressources financières requises l’avaient été.
S’agissant des soins de santé mentale, l’OMS indique que seuls 25% des pays ayant répondu remplissaient tous les critères d’intégration de la santé mentale dans les soins primaires. Bien que des progrès aient été réalisés en matière de formation et d’encadrement dans la plupart des pays, l’offre de médicaments pour les problèmes de santé mentale et les soins psychosociaux dans les services de soins de santé primaires reste limitée.


La stigmatisation, principal obstacle au traitement

Les préjugés sur les maladies psychiatriques font partie des principaux freins qui empêchent le développement des programmes de santé mentale au Maroc et l’accès au traitement de qualité. «Pour améliorer la situation de la santé mentale au Maroc, il faut commencer par reconnaître que la maladie mentale existe et qu’elle représente un handicap majeur pour le développement d’un individu, mais aussi de l’ensemble de la société. Si la santé mentale d’une société et son équilibre ne sont pas bons, alors n’attendez pas des citoyens qu’ils soient dans une optimisation de leurs compétences. Le bien-être psychique d’une société est déterminant pour son développement économique, social, politique, culturel, etc. Il est donc essentiel de reconnaître le problème et sa gravité. La maladie mentale est un fléau, un drame», souligne Dr Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste. «L’Organisation mondiale de la santé reconnaît les maladies mentales comme étant les maladies les plus graves qui existent, à l’instar de la schizophrénie, de la bipolarité ou de la névrose obsessionnelle dans ses formes graves. Ces maladies entraînent des souffrances chroniques pour la vie de nombreuses familles. En outre, on se retrouve devant cette difficulté, au sein de notre société notamment, de reconnaître la maladie mentale. Nous avons du mal à voir une maladie, car nous avons du mal à imaginer que nous puissions nous-mêmes être dedans. Il y a un processus de dénégation qui s’installe et nous préférons expliquer cette situation de maladie mentale par autre chose. On refuse de l’admettre. C’est comme ces personnes qui sont victimes de burn out dans des entreprises : leur patron vient les voir pour leur dire «Vous allez très bien et vous n’avez pas le droit de prendre un arrêt, car vous n’êtes pas malade». On dit souvent aux personnes qui souffrent : «Ton problème c’est le manque de foi en Dieu, car tu as une famille, tu as du travail, mais tu ne vas pas bien». C’est comme si l’on disait à cette personne : parce que tu as tout, tu n’as pas le droit d’être malade !», ajoute Tyal.

 

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