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Accidents de puits : quelles responsabilités pour les propriétaires et pour l’État ?

Le décès tragique du petit Rayan remet au-devant de la scène la question de la sécurisation des puits qui, à côté des bassins d’irrigation, fait chaque année de nombreuses victimes au Maroc. L’affaire soulève aussi plusieurs interrogations sur la responsabilité des propriétaires de puits et celle de l’État dans ce genre d’accident. Qui est donc responsable et que dit la loi ?

Accidents de puits : quelles responsabilités pour les propriétaires et pour l’État ?

Les accidents souvent mortels de puits et de fosses sont très fréquents dans notre pays, en particulier dans les zones rurales. Des personnes, enfants ou adultes, mais aussi des animaux, tombent fréquemment dans les puits, qu’ils soient abandonnés ou en cours d’exploitation. Les médias rapportent régulièrement des histoires de chutes accidentelles et même de personnes qui sont descendues dans un puits de leur propre gré pour se retrouver bloquées pendant de longues heures avant de perdre la vie par asphyxie.

Quand il ne s’agit pas d’un acte de témérité, ces incidents sont principalement dus à l’absence de garde-fous permettant de sécuriser les ouvrages. «Le problème, c’est que certains puits inexploités ne sont pas scellés pour éviter ce genre d’accidents. Il m’arrive de dénombrer au cours d’un seul mois jusqu’à 4 puits de ce genre dans les régions que je visite dans le cadre de mon travail», déclare au «Matin» Rachid Haddouz, patron de la société marocaine H-Zone Services, spécialisée dans le forage de puits. «Certains propriétaires irresponsables ne prennent pas la peine de procéder au comblement et à la condamnation définitive de leurs puits inutilisés. Dès que ces ouvrages sont asséchés, ils enlèvent le matériel de pompage et les laissent béants», déplore-t-il.

Le professionnel rapporte également des cas où certains propriétaires, à la recherche d’eau, mènent plusieurs tentatives de creusement à la suite, qui laissent autant de profondes fosses peu ou pas du tout sécurisées, multipliant d’autant les risques d’accidents souvent mortels. «Ces puits font au moins deux victimes par mois. En décembre dernier, un enfant a trouvé la mort en tombant dans un puits à Benslimane. Il était juste venu rendre visite à des proches en compagnie de sa famille», nous raconte le professionnel qui était dans la région pour effectuer des études de terrain.

Une autorisation coûte que coûte

Depuis une dizaine d’années, le creusement des puits et la réalisation de forages sont soumis à autorisation. Tout propriétaire ou exploitant de fonds a le droit de creuser un ou plusieurs puits, ou réaliser un ou plusieurs forages, pour le prélèvement des eaux. Toutefois, il doit auparavant demander une autorisation auprès des autorités compétentes, à savoir les agences de bassins hydrauliques ou, le cas échéant, l’autorité en charge de l’eau de la région.
La loi n°36-15 relative à l’eau décline une liste d’infractions et prévoit plusieurs sanctions relatives au creusement des puits, notamment la fermeture des ouvrages réalisés sans autorisation assortie d’amendes, mais aucune ne porte explicitement sur les puits inexploités ou non sécurisés. Par contre, le législateur y fait référence dans l’article 12 du décret n°2-97-487 fixant les modalités d’octroi des autorisations. En effet, le texte dispose, dans son paragraphe 15, que la décision d’autorisation doit fixer «les conditions de remise en état des lieux, à la fin des travaux de réalisation ou d’exploitation des ouvrages ou installations sur le domaine public hydraulique». Cela signifie que l’autorité en charge de délivrer l’autorisation doit spécifier clairement les mesures à prendre par le propriétaire lorsqu’il aura fini d’exploiter son puits. Par ailleurs, le propriétaire du puits doit signer une déclaration sur l’honneur, incluse dans la demande d’autorisation, à travers laquelle il s’engage à entourer l'ouvrage en cours d’exploitation d’une barrière de protection afin d’éviter les accidents et préserver l’eau contre les risques de pollution.

Police des eaux

Il apparaît clairement que la responsabilité de protéger les puits, qu’ils soient exploités ou inexploités, incombe au propriétaire. Cependant, cela ne dispense pas l’État de sa part de responsabilité en tant qu’autorité chargée du contrôle des infractions. Pour rappel, le contrôle, la constatation et l’établissement des procès-verbaux des infractions commises pour l'utilisation et l'exploitation des eaux du domaine public hydraulique relèvent des prérogatives de la police des eaux. Celle-ci a accès aux ouvrages hydrauliques, y compris les puits, et a le droit de suspendre les travaux, de saisir les outils objets de la contravention et d’établir les procès-verbaux.
Il convient de signaler qu’il existe au Maroc un grand nombre de puits clandestins qui échappent aux autorisations et au contrôle des autorités compétentes. «Dans les régions difficiles d’accès et les fermes éloignées, les propriétaires se passent d’autorisations et creusent leurs puits manuellement et en catimini, avec tous les risques que cela engage pour la sécurité des individus, mais aussi pour les nappes phréatiques», signale Rachid Haddouz. Pour lui, le propriétaire du puits reste le premier, pour ne pas dire le seul, responsable en cas d’accident. «L’État ne peut pas tout contrôler, aux gens d’assumer leurs responsabilités !» estime-t-il.

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Creusement des puits : ce que dit la loi

La gestion du domaine public hydraulique est régie par la loi n°36-15 relative à l'eau, publiée au Bulletin officiel du 6 octobre 2016. Ce texte, qui est venu abroger la loi n°10-95 datant de 1995, décline plusieurs dispositions spécifiques aux creusements de puits et réalisations de forages. En effet, la loi stipule dans son article 28 que «le creusement de puits et la réalisation de forages pour la recherche et/ou le prélèvement et l’utilisation des ressources en eau souterraines» sont soumis au régime d’autorisation. Elle précise aussi que les ouvrages dépassant les seuils fixés par voie réglementaire sont soumis au paiement d'une redevance (article 27).
Ces autorisations, comme le dispose l’article 24 de la même loi, sont accordées, en fonction de la disponibilité des ressources du domaine public hydraulique, après enquête publique effectuée par une commission spéciale chargée de recueillir les observations et les oppositions des tiers intéressés. Ces autorisations donnent lieu au paiement de frais d’instruction des dossiers y afférents. Le même article précise que l’Agence de bassin hydraulique est tenue de statuer sur la demande d’autorisation ou de concession dans un délai de 7 jours ouvrables à compter de la date de réception du procès-verbal de ladite commission.

Quant aux modalités d’octroi de ces autorisations, elles ont été fixées pour la première fois par le décret n°2-97-487, publié au Bulletin officiel du 5 février 1998, et ce suite à la mise en place de la loi n°10-95 trois ans plus tôt. Celui-ci a été, par la suite, abrogé par le décret n°2-07-96 du 16 janvier 2009, publié au BO du 3 février de la même année. Ce décret a accordé un délai de 3 ans (jusqu’au 4 février 2012) aux propriétaires de puits et autres points de prélèvement d’eau pour régulariser leur situation à travers une déclaration administrative à déposer auprès de l’Agence du bassin hydraulique de leur lieu de résidence ou à l’autorité gouvernementale chargée de l’eau. Ce délai a été prorogé de deux années supplémentaires (jusqu’au 2 octobre 2015) par un nouveau décret, daté du 8 août 2013 et publié au BO du 3 octobre de la même année.
Ladite procédure, telle que définie dans ce décret, se déroule comme suit : le demandeur de l’autorisation doit remplir un formulaire à déposer auprès des Agences des bassins hydrauliques de la région concernée, ou auprès des autorités gouvernementales chargées de l’eau dans les zones non couvertes par les Agences de bassins. Ce formulaire précise, entre autres, le débit moyen à prélever, l'usage prévu de l'eau, la localisation de l'ouvrage, les profondeurs probables des puits et/ou forages projetés, le lieu d’utilisation de l'eau ainsi que la superficie à irriguer lorsqu'il s'agit d'irrigation.

Le document doit être accompagné d’un certificat de propriété du terrain sur lequel le forage devra être réalisé, ainsi que d’un plan de situation approprié indiquant les points d'eau, les ouvrages et les installations publiques se trouvant dans un rayon de 1 km, mais aussi d’une fiche du projet agricole, lorsqu'il s'agit d'un prélèvement d'eau destiné à l'irrigation. La demandes et les pièces qui les accompagnent doivent être transmises par lettre recommandée ou déposées contre récépissés auprès des services précités.
 

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