Le théâtre dans l’âme
«Je pense que j’ai toujours aimé le théâtre, aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai toujours eu une attirance pour les jeux de rôles pour faire rire les autres», révèle Hassan El Jaï. Il se rappelle avoir toujours emprunté des habits de ses proches pour se déguiser et changer sa voix pour varier les personnalités. «J’aimais aussi beaucoup faire rire les gens, la joie de les faire sourire et le plaisir de partager ma passion avec eux», ajoute El Jaï. Il avait également cette capacité à remarquer les détails du quotidien et parfois à «exagérer» certains faits pour les mettre en avant sur scène. De cet amour pour le théâtre est née aussi une passion pour la narration avec une habilité particulière à manier les mots, à les dire, à les faire vivre et à les jouer. «Pour moi, le mot est à la base de tout.
Dans notre histoire musulmane, et même celle de l’humanité, les mots ont toujours eu un poids. La civilisation islamique est basée sur le principe du verbe divin, sa fertilité, sa noblesse et son inspiration. Et que ce soit dans notre civilisation ou dans toutes les autres, il y a des livres d’une grande valeur. Nous avons le Coran, les livres de la “Sira Nabaouiya”, les poèmes soufis… qui représentent une mine d’or pour construire toute une nation.
Les mots sont aussi très importants pour communier et partager», souligne l’invité. C’est pour dire aussi que le théâtre et les mots ne font qu’un, et ce depuis la nuit des temps. «Les gens venaient au théâtre pour écouter et regarder. C’est d’ailleurs la signification même du mot theatrum. Les mots dans une pièce de théâtre doivent raisonner, il faut qu’ils aient une vie, un sens et un effet sur les personnes pour les amener à imaginer l’histoire racontée et à voyager aussi», note Hassan El Jaï. Il tient également à relever que le fait de raconter une histoire avec des mots diffère d’une langue à une autre. «Quand je raconte une histoire en français ou en anglais, je vais utiliser des mots différemment, je vais leur apporter une mimique ou un geste qui sera différent», dit El Jaï.
L’œuvre littéraire pour puiser les motsCet art de manier les mots et de les faire vivre à travers la narration dramatique et la lecture théâtrale, nous ramène à parler des choix que fait Hassan El Jaï des œuvres dans lesquelles il puise ces mots, ces sens et ces histoires. Nous lui avons demandé de nous raconter sa rencontre avec les livres et il a répondu : «Il faut que ça me fasse vibrer, que ça provoque un émoi intérieur, c’est un sentiment très profond en moi qui va me guider dans mes choix. C’est aussi un intérêt qui est de l’ordre du spirituel, c’est important pour moi dans mes choix de livres. Je ne vais jamais juger l’auteur en lui-même, ses orientations, son genre littéraire, sa vie ou autre, je m’intéresse au texte et à ce qu'il va produire en moi comme sensation et comme réaction tout en étant bien évidemment en cohérence avec ma vision de la vie, mes croyances et les causes que je défends. Ce croisement entre toutes ces exigences va faire que je vais sélectionner des mots qui vont raisonner».
Théâtre, soufisme et valeur des motsLa passion de Hassan El Jaï pour le soufisme pourrait laisser croire que ses choix en littérature seraient inspirés de cette vocation, mais pas du tout, affirme le metteur en scène. «Mes premiers amours c’est le théâtre. Je suis tout aussi fasciné par les œuvres classiques de Shakespeare et de Molière, entre autres», dit-il avant de préciser que ce qui le caractérise c’est plutôt les traditions que le soufisme. «J’aime et je défends la tradition et j’en profite d’ailleurs pour dire que je n’aime pas le théâtre contemporain que je trouve très pauvre sur le plan du vocabulaire et sur le plan métaphorique des images. Je reste persuadé que c’est dans la tradition que nous allons puiser les vraies valeurs qui ne disparaîtront jamais et qui sont prioritaires même aujourd’hui», insiste l’invité. Il cite d’ailleurs l’histoire de «Qaïss et Leila» qui est un joyau de l’art classique et qui porte des sens toujours recherchés à ce jour. «Quand j’ai décidé de réécrire l’histoire de “Qaïss et Leila” pour l’adapter au théâtre, j’y est mis tout ce que j’aime : les beaux mots de français et le soufisme pour créer, à mon avis, une histoire adaptée au public d’aujourd’hui sans pour autant les ennuyer et surtout sans faire perdre le vrai sens de l’histoire et ses valeurs», note Hassan El Jaï.
«Soufi, mon amour», et bien d’autres
L’un des plus grands succès de notre invité reste sans aucun doute son interprétation de «Soufi, mon amour» qui est une adaptation théâtrale du roman d’Elif Shafak. Des centaines de représentations au Maroc et à l’étranger, une expérience artistique particulière qui invite à plonger dans les sagesses spirituelles en chacun de nous. Mais l’histoire avec ce texte est assez particulière, raconte Hassan El Jaï. «À la première lecture, je n’ai pas aimé le roman d’Elif Shafak. Il a fallu le relire plusieurs fois pour l’adopter. C’est venu aussi à un moment où je découvrais les merveilles des écrits d’Arroumi qui m’ont profondément touché et bouleversé», raconte l’invité. C'était donc le début d’une belle histoire entre El Jaï et cette œuvre. Il a adapté «Soufi, mon amour» en deux langues, qui est rapidement devenu son plus grand succès. Avec cette pièce, il a pu parcourir la Belgique, la France, le Maroc, la Suisse et les États-Unis à travers des centaines de représentations, notamment en anglais dans les Universités Columbia, Princeton et Yale. «Je suis également influencé par les grands mystiques tels que Al Ghazâlî, Al Junayd ou Shams de Tabriz. Leurs œuvres véhiculent des valeurs, des messages aussi lumineux», dit-il.
La pièce «Majnûn, le fou de Layla», écrite et mise en scène par Hassan El Jaï, est venue par la suite pour confirmer son amour pour les mots. La pièce suit la légende tragique des amours contrariées de deux enfants du désert d’Arabie, Qaïss et Layla. «Au début, le fait d'écrire n’était pas mon intention, c’est une passion qui s’est installée. J’étais très discipliné dans l’adaptation des œuvres pour le théâtre dans le respect total du sens premier, mais au bout d’un moment, j’ai voulu exprimer mes propres idées et émotions», explique l’invité du «Book Club Le Matin». Hassan El Jaï choisit également d’accompagner ses textes par de la musique, très souvent improvisée, ce qui donne une autre dimension au voyage.Le message d’espoir de Hassan El Jaï
Dans un monde qui change, Hassan El Jaï, l’artiste, ne peut s’empêcher de remarquer les transformations dans les comportements de l’Homme qui vit ces crises répétées et intenses. «L’une des choses les plus éprouvantes que j’ai relevées à travers les ateliers de coaching que j’anime, c’est ce regard terrorisé des jeunes qui subissent cette multitude d’informations très souvent erronées. J’appelle dans ce sens les responsables à tempérer les choses et à veiller à délivrer l’information vraie et réelle. J’appelle également les populations à ne pas céder à la peur qui, dans toutes les civilisations, est désastreuse. La peur tue le cœur, la foi, les convictions, l’amour et la joie. J’appelle également les hommes des lettres et les écrivains à jouer pleinement leur rôle d’éclaireurs et de véhiculer des messages d’espoir et de joie. Arrêtons donc de terroriser les jeunes, donnons-leur au contraire les armes pour se libérer et vivre pleinement leur avenir en faisant leurs propres choix dans la vie», lance El Jaï.
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BiographieHassan El Jaï, acteur, metteur en scène et coachPassionné de théâtre depuis l’enfance, et avant tout par Molière et Shakespeare, Hassan a fait ses classes au Lee Strasberg Theatre and Film Institute de New York, puis au Cours Florent à Paris, où il obtient son brevet de comédien professionnel avec les honneurs.
Basé aujourd’hui au Maroc, il met en scène et joue des textes en trois langues pour le théâtre, et double des voix pour films et dessins animés. Il intervient également en tant que coach en prise de parole en public auprès des professionnels, des particuliers et des établissements universitaires. Hassan est incontestablement l’une des figures majeures du théâtre marocain de cette dernière décennie.Parmi les nombreux textes interprétés par Hassan sur scène, on citera ses adaptations de classiques universels comme «Cyrano de Bergerac», «Othello», «Le Petit Prince», «Le Prophète» de Khalil Gibran ; sans oublier des extraits d’œuvres majeures de Jalâl-Dîn Rûmi, Victor Hugo et Olivier Py. Sa lecture dramatique de «Soufi, mon amour» est son plus grand succès à ce jour : 80 représentations réparties entre la Belgique, la France, le Maroc, la Suisse et les États-Unis, notamment en anglais dans les Universités Columbia, Princeton et Yale.