Casablanca : l’histoire d’une transformation contée par Ahmed Chitachni
Né de la volonté du Groupe «Le Matin» de promouvoir la lecture et la culture, le rendez-vous littéraire «Book Club Le Matin» a reçu, le jeudi 13 octobre 2022, Ahmed Chitachni, venu présenter son livre «Casablanca 1907-1956 : la démesure d’un urbanisme». Une autopsie de la vision coloniale à travers laquelle l’auteur restitue l'histoire de la ville, entre destructions et reconstructions, preuves à l'appui.
Avec «Casablanca 1907-1956 : la démesure d’un urbanisme», Ahmed Chitachni nous fait voyager dans le temps, au fil des pages, pour nous livrer une réflexion, considérablement documentée, sur la transformation de Casablanca «dans une déconstruction de la vision coloniale, soulignant l’importance des réajustements théoriques et pointant les destructions, sur les plans humain et socioculturel», précise l’écrivaine et journaliste Mouna Hachim en quatrième de couverture du livre.
Politiste, essayiste, également chercheur en anthropologie urbaine, Ahmed Chitachni est Casablancais avant tout. Son essai vient offrir une vision analytique à 360 degrés de la métamorphose de sa ville natale sur les volets urbanistique, économique, social, politique et culturel. «Le point de départ de ce livre est la ville de Casablanca actuelle. Nous souffrons tous dans cette ville que nous aimons. Nous ne pouvons plus circuler, ni marcher sur les trottoirs, sans oublier les éclairages défaillants, l’insalubrité... Qu'est-ce qui a fait que Casablanca est devenue ce qu'elle est actuellement ? Pour répondre à cette question, il a fallu que je remonte le temps pour voir à quoi elle ressemblait avant. Je me suis ainsi rendu compte qu'il y avait deux avants : un avant le protectorat, et un autre pendant le protectorat», explique l’auteur au début de la rencontre.Il était une fois Casablanca…Gratifié d’«éveilleur de consciences» par le professeur Mohamed Haddy en préface de la publication, Ahmed Chitachni a constaté, dès les prémisses de sa démarche, une certaine mystification de la période coloniale. «Quand j'ai commencé à me documenter, j'ai malheureusement trouvé que c'était plus la littérature coloniale ou postcoloniale qui avait pignon sur rue pour nous décrire Casablanca. En compulsant toutes ces littératures, je me suis rendu compte que l'on était dans une assignation forcée à magnifier cette balise coloniale. La plupart des auteurs, quand ils démarraient leurs littératures, prenaient pour date de départ 1912, alors que nous savons tous que Casablanca, à l'instar de Oujda, a été occupée en 1907, bien avant le traité de protectorat du 30 mars 1912», confie l’écrivain au micro du Book Club «Le Matin». Une omission qui va ouvrir la boîte de Pandore.Au fil de ses investigations, Ahmed Chitachni relève également que les littératures coloniales occultent les structures de Casablanca dans leurs récits, ville fréquemment et péjorativement qualifiée de bourgade, tandis que, à l'instar des autres villes impériales, elle disposait de ses propres structures juridiques, politiques, et administratives du service public assurées principalement par les Habous. «Affirmer que les structures étaient inexistantes, c’est les passer sous silence, instituer un non-dit, en somme, qui va dans le sillage de la culture coloniale et sa propagande de mission civilisatrice. Et quand elles sont reconnues, dans d’autres écrits, les structures et les institutions sont simplement qualifiées d’embryonnaires, archaïques ou anachroniques», argumente l’écrivain dans son prologue.Réhabiliter l’histoireÀ travers le chapitre «L’acharnement du destin et les impostures de l’histoire», Ahmed Chitachni restitue les faits et livre des vérités qui démentent les idées reçues. «L'avant 1912 est zappé, car cette période correspond en réalité à une occupation. Il n'y avait ni protectorat ni aucun accord, pire que cela, le bombardement de Casablanca a été exécuté avec des obus à la mélinite, qui est un “gaz brûlant”. Il s’agit du premier usage d'armes chimiques avant même la Première Guerre mondiale et avant la guerre du Rif. Il fallait faire remonter ces vérités à la surface. Nous déplorons 3.000 morts suite à ces frappes, nous avons le droit de commémorer cet événement», déplore l’auteur lors de la rencontre. Ce dernier s’attaque à un autre mythe, celui selon lequel Casablanca s'est dotée du grand port sous l'impulsion du Général Lyautey : «Il faut tout d'abord démystifier le fait que le port de Casablanca a été initié par Lyautey, car c'est faux. Le premier marché a été signé par le Sultan du Maroc, à Tanger. Il s'agit du premier marché public signé au Royaume. En 1902, le Sultan avait confié la construction du port à la Société marocaine qui est une filiale de Schneider», rétorque-t-il. D’autres facettes du Casablanca d'antan sont omises, selon Ahmed Chitachni, par les récits coloniaux. «Il fallait déconstruire cette inculture qui magnifie l'urbanisme colonial tout en occultant la question de la ségrégation qui se déclinait sous trois formes. C'était nuancé, au-delà de la séparation Étrangers-Marocains, il y avait une ségrégation au sein même des étrangers, entre Portugais, Espagnols, Français de souche, et les Marocains, d'autre part, ainsi qu’une autre forme de ségrégation entre riches et pauvres», explique-t-il.Tout au long de son œuvre, Ahmed Chitachni fait preuve d'honnêteté intellectuelle, en faisant parler aussi bien les documents officiels, les auteurs anti-protectorats, les auteurs critiques d'ici et d'ailleurs, mais aussi les tenants du protectorat. «Il n'est pas question ici de faire le procès du colonialisme ; au contraire, celui-ci est considéré comme un héritage commun avec ses bonnes et mauvaises actions. Mais, il est temps, nous semble-t-il, que les intellectuels des deux bords procèdent aux réajustements théoriques nécessaires et à une relecture consciencieuse de la culture coloniale, dont les visées, loin d'être mues par une quelconque mission civilisatrice supposée, étaient – nolens volens – animées par des motivations essentiellement impérialistes. Il est donc temps de reconsidérer ce passé pour envisager sereinement l’avenir des relations entre les protagonistes concernés», confie l’auteur à la 28e page du livre.Biographie de l’auteur
Ahmed Chitachni est politiste, essayiste et chercheur en anthropologie urbaine. Il est diplômé en études supérieures en sciences politiques ainsi qu’en études supérieures en relations internationales. Il commence son parcours professionnel en tant que civiliste, à la division économique de la préfecture de Casablanca, avant d’intégrer le secteur privé en tant que directeur de l'immobilier d'une compagnie d'assurance, filiale d'un groupe français. Il rejoint par la suite la filiale d'une grande banque en tant que responsable des projets et expert en évaluation immobilière et foncière. Il finit par créer son cabinet de conseil en matières juridique, foncière et hôtelière. Dans la société civile, il est connu pour être un acteur associatif engagé et le co-administrateur du groupe Facebook «Save Casablanca». Il est également membre du think tank de la Wilaya de Casablanca.
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