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Chiens errants : les solutions existent, la mise en œuvre prend du retard

L'urgence de déployer la Convention sur la gestion de la population canine au Maroc revient en force après le décès tragique d’une touriste attaquée par des chiens errants. Bien que l’opération date de 2019, elle peine toujours à se concrétiser sur le terrain et à se généraliser. Toutefois, l’opération de stérilisation et de vaccination des canidés en liberté lancée à Oujda augure d’un début de solution. En attendant, des associations sont actives sur le terrain et entreprennent des actions concrètes pour gérer cette problématique.

Le drame qui a coûté la vie à la ressortissante française Sophie Hamada ne peut, et ne doit, être un simple fait divers, puisqu’il relance le vif débat au sujet des chiens errants qui pullulent aux quatre coins du pays. Souvent stigmatisés, voire diabolisés par certains médias, ces animaux en liberté présentent un risque pour la population, en l'absence d’une prise en charge structurée qui viendrait réguler leurs conditions de vie et protéger les citoyens par la même occasion. Quelles sont les raisons de l’attaque mortelle à Dakhla ? Comment réagir face à une meute de chiens errants ? Comment peut-on gérer la profusion de ces canidés ? Pour répondre à ces questions, «Le Matin» a rencontré Élise Baron, responsable bénévole au refuge de l'Union marocaine pour la protection des animaux (UMPA) situé à Bouskoura.

Ne pas confondre dangereux et sauvage
La victime de Dakhla, logeant dans une unité hôtelière de la commune d'El Argoub, était sortie, le soir du drame pour faire un tour à pied. Une balade qui prend une tournure tragique lorsque la touriste française approche une meute de chiens errants. «Je pense que la personne a voulu donner à manger à ladite meute et que cette dernière avait très faim. J’imagine que les chiens se sont jetés sur le repas offert. Il est possible que la victime ait essayé de reprendre ou de déplacer la nourriture en se baissant. Un geste qui a, peut-être, été mal interprété par la meute. Il faut savoir que les chiens errants ne sont ni méchants ni dangereux, ce sont des animaux sauvages, il ne faut pas trop s’en approcher», explique Élise Baron. Les réactions instinctives de ces animaux sont à prendre en considération à la vue d’un groupe de chiens sur son chemin : «Quand on croise une meute de canidés errants, il faut s’en éloigner immédiatement et ne pas trop s’en approcher. En effet, la faim peut rendre ces chiens agressifs, tout autant que la peur de l’humain. Il faut s’en éloigner calmement et immédiatement», ajoute-t-elle.
Prudence est mère de sûreté, certes, mais cela n'empêche pas la possibilité d’aider ces animaux en suivant ces recommandations : «Vous pouvez leur venir en aide en leur donnant à manger, toujours au même endroit, sans trop s’en approcher pour éviter de leur faire peur. Cela permet de les aider à survivre en attendant de pouvoir les attraper pour les stériliser et les vacciner contre les maladies», conseille Élise Baron.

Opter pour la TNR au détriment des abattages
Signalés par des habitants ou parfois par des unités hôtelières, les chiens errants font fréquemment l'objet de descentes d'abattage, notamment dans les villes du nord du pays et à Marrakech. Empoisonnement, fusils à balles réelles... les modes opératoires de cette mesure radicale ont longuement suscité une mobilisation générale, menée par des associations militantes pour la protection des animaux et les «animoureux» choqués par la violence des vidéos circulant sur les réseaux sociaux prises lors de ces opérations. «Tuer un animal ne résout pas le problème de la prolifération des chiens errants, car la place laissée par l’animal est aussitôt comblée par un autre. L’incident de Dakhla nous conforte dans notre conviction prônant la TNR (Trap-Neuter-Return en anglais) comme ultime solution au Maroc. Cette méthode, qui a fait ses preuves dans d’autres pays à l’instar de la Turquie, s’applique en trois phases : attraper le chien errant, le stériliser et le vacciner contre la rage par la même occasion, puis le relâcher dans son milieu naturel, avec un tag à l’oreille pour qu’il soit identifiable. C’est le seul moyen efficace pour réduire les cohortes de chiens errants qui vont arrêter de se produire, ce qui amènera à une baisse notable de cette population canine au fil des années», affirme la responsable de l’UMPA.

Quid de la convention sur la gestion de la population canine au Maroc ?
Signée en 2019, cette convention a été conclue entre le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Santé, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) ainsi que l’Ordre national des vétérinaires afin d’instaurer une gestion plus charitable de la problématique en adoptant la solution TNR et en construisant des refuges. La concrétisation de la Convention est à ses prémisses dans quatre régions : Marrakech, Tanger, Agadir, et Rabat. C’est ce que confirme le Réseau associatif pour la protection animale et le développement durable au Maroc (RAPAD) dans un communiqué diffusé à la suite du drame de Dakhla.
«Ces quatre communes travaillent en collaboration avec les associations de protection animale pour la mise en place de la convention. Les dispensaires sont au stade de construction et la mise en place de la stratégie n’a pas encore atteint la phase opérationnelle. Nous exhortons les autres communes à suivre rapidement l’exemple de Marrakech, Agadir, Rabat et Tanger, afin d’éviter d’autres drames humains. Les associations de protection animale ont toujours souhaité travailler en étroite collaboration avec les instances étatiques, mais ne peuvent les y obliger», déclare la même source.
Le RAPAD a profité de cette tribune pour rappeler que les campagnes de stérilisations initiées et financées au Maroc depuis des décennies sont le fruit des associations et non pas de l'État. De surcroît, la plupart des chiens errants stérilisés ont été exterminés par les communes, réduisant à néant tout le travail effectué au profit des citoyens.
Suite à ces constats, une question sonne comme une évidence : Quelles sont les raisons qui freinent l'application totale de la Convention ? Contacté par» Le Matin», Dr Badre Tnacheri Ouazzani, président du Conseil de l'Ordre national des vétérinaires au Maroc, nous éclaire sur ce point : «La mise en route des accords de la Convention a été principalement retardée par la pandémie de la Covid-19. Aussi, la mise en place d’un projet de cette ampleur nécessite une préparation en amont incluant, entre autres, les campagnes de recrutement, la formation des employés et l’équipement des locaux».
Pour sa part, Dr Badre Tnacheri Ouazzani annonce les villes de Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger comme villes pilotes qui donneront, dans un avenir proche, le coup d'envoi à cette vaste campagne TNR qui couvrira par la suite l'ensemble du territoire national.

Oujda, première étape de l’initiative
La ville d’Oujda a pris les devants en matière de gestion de la prolifération des chiens errants en lançant, le jeudi 24 août, une vaste opération de stérilisation et de vaccination des canidés en liberté. Une démarche qui s'inscrit dans le cadre de ladite convention sur la gestion de la population canine au Maroc. «La ville de Oujda a démarré sa campagne de TNR qui permet de capturer les animaux errants, les stériliser et vacciner contre la rage, puis les marquer d'une boucle visible à l'oreille et les remettre dans leur milieu de vie. L'opération et les soins seront effectués chez des vétérinaires privés de la ville, avant de transférer les animaux à la fourrière de la ville, aménagée en dispensaire pour les accueillir durant la période de convalescence», affirme le président du Conseil de l'Ordre national des vétérinaires au Maroc. Ce dernier émet le souhait d’une loi imposant aux propriétaires d’animaux de remplir leurs devoirs envers leurs compagnons en les vaccinant et en les stérilisant, sans oublier l’identification afin de limiter les maladies et les gestations non désirées. Une réglementation qui permettra de limiter les abondants et la prolifération des animaux errants.

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Trois questions à Élise Baron, responsable bénévole à l’UMPA

Quelle est la vocation de l’UMPA ?
L'Union marocaine pour la protection des animaux (UMPA) a été créée en 1916, elle s’occupe des animaux abandonnés et offre des soins gratuits ainsi que des interventions, si besoin, aux animaux des populations démunies.
Le refuge abrite 200 chiens, 200 chats et une vingtaine d’équidés. L’UMPA est reconnue d’utilité publique depuis 1952, l’association a plus de 100 ans d’existence. Du fait de ce statut, nous recevons une subvention du ministère de l’Agriculture qui couvre 40% de nos besoins. Les 60% restants sont assurés par les dons reçus des bienfaiteurs, les parrainages, les aides reçues grâce aux réseaux sociaux. Toutefois, ces ressources sont souvent insuffisantes ce qui m’oblige à puiser dans ma poche, car on ne peut pas laisser le refuge sans nourriture, ni priver les employés de leurs salaires.

Les Marocains sont-ils soucieux de la cause animale ?
J’ai vu les mentalités changer depuis que je suis au Maroc. Cette évolution a pris forme avec les initiatives relayées via les réseaux sociaux et la télévision, mais aussi les campagnes à l’école visant à sensibiliser les enfants à la cause animale et le respect de l’environnement dans sa globalité. Ces actions sont la clé du vivre ensemble et le fil rouge qui nous permettra de sortir de la situation actuelle. Au Maroc, les jeunes ont commencé à intégrer cette mentalité, malgré une réticence chez certaines tranches de la population, notamment les plus démunies.

De quelle manière participez-vous à cette sensibilisation ?
La majorité des chiens de l’UMPA sont des animaux abandonnés par leurs maîtres. Nous avons quelques chiens dits «errants» que l’on a récupérés, car ils ont eu une histoire difficile. On les reçoit au refuge, on leur donne la possibilité d’avoir une vie meilleure que celle qu’ils ont connue dans la rue. Le refuge est ouvert à tout le monde pour passer du temps avec nos animaux. Nous ouvrons également nos portes aux écoles. Certains enfants n’ont jamais touché un chien de leur vie. Ces sorties scolaires pédagogiques permettent aux plus petits de se familiariser avec les chiens et établir un premier contact. On leur explique par la même occasion que l’animal n’est pas méchant par nature en rappelant l’importance du rôle du maître, en bien ou en mal, dans l’éducation de son animal de compagnie.

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