Quelques semaines seulement après le début de son mandat à la tête de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami a réussi de se mettre l'ensemble des médias à dos. Le président de la première Chambre a en effet pris la décision d'interdire l’accès des journalistes aux réunions des commissions parlementaires permanentes. Cette mesure, qui n'a pas manqué de contrarier les hommes et femmes de la presse, a suscité une vive polémique s'agissant notamment de ses motivations profondes. Les journalistes «habitués» à assister et à couvrir les travaux des commissions à l’époque du président sortant, Habib El Malki, ont eu du mal à admettre cette nouvelle situation, d'autant qu'ils étaient autorisés, du temps de la Covid-19, à suivre les travaux des commissions à distance, les réunions ayant été transmises à l’époque en direct via la chaîne du Parlement. Lors de son passage dimanche dernier à l’émission «Maa Ramdani» sur la deuxième chaîne nationale, le président de la Chambre des représentants (RNI) s’est défendu en excluant toute tentative d’entraver le travail des journalistes, justifiant sa décision par le fait que la Constitution impose le huis clos lors des travaux des commissions. «L’article 68 de la Loi fondamentale est clair. Il stipule que les réunions des commissions permanentes sont secrètes. Le règlement intérieur des deux Chambres du Parlement fixe les cas et les règles permettant la tenue par ces commissions de séances publiques. La confidentialité des commissions doit être garantie» , relève M. Talbi Alami.
Il faut signaler que ce n’est pas la première fois que les travaux des commissions sont interdits d’accès aux médias. En 2014, le même président avait pris la même mesure. Mais à l’arrivée de Habib El Malki à la tête de l’institution législative, cette décision était soumise à l’appréciation des présidents des commissions qui autorisaient ou interdisaient l’accès aux médias en fonction de la nature du projet ou de la proposition de loi examinée et de l’état d’avancement des discussions autour du texte. Ainsi, les journalistes étaient autorisés par exemple à assister à la présentation du texte de loi en présence du ministre de tutelle, mais étaient parfois interdits lors de la présentation des amendements et la discussion détaillée des textes. Mais que pensent les parlementaires de la décision du président de la Chambre des représentants ? Là force est de constater que cette question divise et les avis diffèrent. Certains députés estiment en effet que les journalistes ne doivent pas assister aux réunions des commissions parlementaires, au motif que la Loi fondamentale est claire quant à la confidentialité des travaux des commissions.
C’est le cas notamment de Khadija Ezzoumi, députée istiqlalienne (majorité), qui a souligné l’importance de respecter les dispositions constitutionnelles. «Les parlementaires font un travail de fourmi. Ils passent au crible les textes de loi en commission. Il aurait été intéressant pour eux que les médias parlent de tout ce travail qui se fait loin des regards. Mais la loi est claire là-dessus !» affirme-t-elle dans une déclaration accordée au «Matin». D’autres députés estiment au contraire que la présence des journalistes à ces réunions est plus que souhaitée, ces derniers étant un trait d’union entre le Parlement et les citoyens. «Sans couverture médiatique, les Marocains seraient privés de leur droit de savoir. En plus, le droit d’accès à l’information est garanti par la Constitution. J’estime que la décision d’interdire ou d’autoriser l’accès des médias aux commissions doit rester entre les mains des présidents des commissions. Lorsque j’étais président de la commission des finances lors de la dernière législature, je prenais cette décision en fonction du sujet ou du texte abordé. Je considère ainsi que la mesure de M. Talbi Alami consacre une volonté d’hégémonie de la part du parti qui préside le Parlement.
Ce dernier veut faire taire toutes autres voix», s'insurge Abdellah Bouanou, député du PJD. À la différence de M. Bouanou et de Mme Ezzoumi, d’autres députés ont des avis plus mitigés. C’est le cas de Nadia Touhami, parlementaire du PPS, qui considère que les dispositions du règlement intérieur régissant les deux Chambres sont ambiguës. «L’article 96 du règlement intérieur prévoit que les réunions des commissions sont confidentielles, mais qu'elles peuvent être publiques suite à la demande du président de la Chambre, du chef du gouvernement, du président de la commission ou des deux tiers des membres de la commission. Mais l’article ne précise pas la partie censée trancher. Est-ce qu’il s’agit du bureau de la Chambre ou du président seul ? Un amendement de la loi s’impose donc», estime-t-elle. Quoi qu’il en soit, cette décision continue de susciter la colère et l'incompréhension des journalistes qui voient d’un mauvais œil la restriction de leur liberté d’accès à l’information. Reste à savoir si cette décision sera définitive ou si elle changera avec l’arrivée d’un nouveau président à la tête du Parlement, comme c’était le cas avec Habib El Malki.
