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Les préfectures et provinces veulent des compétences clarifiées et des moyens renforcés

Alors que les Conseils des préfectures et des provinces ont bouclé leur premier mandat et entamé le deuxième dans le cadre de nouvelle la loi organique 12-114, des «difficultés» se sont fait jour, les empêchant de jouer pleinement leur rôle en vertu des attributions qui leur sont dévolues. Outre le manque de ressources humaines et financières, ces Conseils souffrent du chevauchement de leurs compétences avec celles de l’État ou d’autres collectivités territoriales. Du coup, la réforme de la loi organique est plus que jamais à l’ordre du jour, sept ans après sa promulgation. Mais à côté de cela, il est primordial de développer les mécanismes d’une gouvernance institutionnelle permettant une meilleure convergence des politiques publiques territoriales.

Les préfectures et provinces veulent des compétences clarifiées et des moyens renforcés

Dotés d’importantes compétences, notamment en matière de développement social et de lutte contre la pauvreté, les Conseils des préfectures et des provinces peinent toutefois à les exercer pleinement. Sept ans après la promulgation de la loi organique 12-114 et alors que ces Conseils viennent de terminer leur premier mandat et d’entamer le deuxième, des «difficultés» se sont fait jour, les empêchant de jouer leur rôle en vertu des attributions qui leur sont dévolues. Face à cet état de fait, ils ont décidé d’agir pour remédier aux insuffisances mises en lumière par la pratique et pour pouvoir contribuer à l’implémentation de la nouvelle architecture territoriale.

Et pour commencer, les Conseils préfectoraux et provinciaux ont créé l’Association marocaine des présidents des Conseils des préfectures et des provinces (AMPCPP) en tant que plateforme de coordination et d’échange, mais aussi en tant que de force de proposition. «L’enjeu pour ces Conseils est de faire entendre leur voix, engager un débat serein et responsable avec le ministère de tutelle sur les difficultés rencontrées et les moyens de les surmonter. Notre objectif est de contribuer, à notre niveau, à la mise en œuvre optimale du chantier de la régionalisation avancée», explique Abdelfettah Skir, directeur exécutif de l'AMPCPP.

Chevauchement des compétences

Dans cette même perspective, s’inscrit le séminaire national organisé il y a quelques semaines par l’Association en partenariat avec la Direction générale des collectivités territoriales sur le thème «L’adaptation du cadre législatif des préfectures et provinces, prérogatives et activation». Pour Saad Benbarek, le président sortant de l’AMPCPP, «l’expérience a mis au jour des difficultés d’ordre pratique, mais aussi des difficultés ayant un caractère juridique s’agissant de la mise en œuvre de la loi organique 12-114. Il y a par exemple un chevauchement des compétences avec d’autres acteurs étatiques ou territoriaux, un manque de convergence entre les programmes locaux et gouvernementaux, sans oublier le flou qui entoure certaines attributions propres de ces conseils en matière de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité. À cela s’ajoutent des moyens financiers et humains limités, un faible taux d’encadrement, une absence d’incitations permettant d’attirer les cadres et compétences hautement qualifiés. Ce sont là autant de défis qui empêchent les conseils de participer efficacement à l’édification d’une gestion décentralisée». Ce diagnostic est partagé par Abdelfettah Skir, qui estime que le premier mandat dans le cadre de la loi organique 12-114 et le début de ce deuxième mandat ont en effet révélé «nombre de difficultés sur lesquelles nous devrions nous pencher de manière concertée et dans le cadre d’un débat serein et responsable avec nos partenaires, principalement le Direction générale des collectivités territoriales».

Loi organique n°14-112

M. Skir souligne que certes la promulgation de la loi organique n°14-112 relative aux Conseils des préfectures et provinces a permis un saut qualitatif qui a «réhabilité» ces collectivités territoriales en tant que véritable acteur occupant une place fondamentale aux côtés de l'État et des autres entités territoriales, mais à l’épreuve de la pratique, des lacunes n’ont pas tardé de se manifester. «La loi organique n°14-112 a créé un changement radical dans le mode de travail des Conseils des préfectures et des provinces en tant que structure intermédiaire dans le paysage de la régionalisation avancée. Le législateur a doté ces Conseils d’importantes compétences, notamment en matière de désenclavement rural et de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité… Et de ce fait, les provinces et préfectures doivent élaborer des plans de développement qui tournent autour de ces axes. Or elles sont confrontées à des difficultés de deux ordres qui limitent la portée de leur visibilité et l’efficacité de leur intervention», explique le directeur exécutif de l'AMPCPP.

Il s’agit, selon cet expert en gouvernance territoriale, du manque de convergences des politiques publiques et locales, ce qui nécessite de bien délimiter les périmètres de compétences qui se chevauchent à bien des égards. «En matière d’action sociale, des politiques publiques et des programmes de développement sont élaborés et mis en œuvre par le gouvernement, mais les Conseils ont également cette vocation. Ils ont des programmes qui vont dans le même sens, quoiqu'à une moindre échelle. L’articulation entre les deux niveaux d’intervention n’est pas bien clarifiée. Pour une meilleure efficacité, il faudrait préciser les attributions des uns et des autres. Par exemple, pour construire une maison pour personnes âgées, nous ne savons pas exactement quelles seront les prérogatives du Conseil préfectoral. Doit-il se contenter de collecter et de fournir les statistiques, se contenter de la gestion ou assurer le financement, etc. ? Donc il y a un débat autour de tous ces points, ce qui est tout à fait naturel dans le processus de renforcement de la gouvernance décentralisée et de la démocratie locale».
Outre le manque de convergence, l’insuffisance des moyens financiers constitue un obstacle majeur devant les Conseils des préfectures et des provinces, relève M. Skir. «Le débat sur la recherche des sources de financement fait partie des priorités de l’Association. Nous sommes conscients que les moyens de l’État sont limités, explique-t-il. Certes, le budget destiné aux collectivités territoriales doit consacrer plus de ressources financières aux programmes et projets sociaux des provinces et préfectures, mais ces dernières doivent de leur côté s’efforcer de trouver des moyens alternatifs de financement, en recourant par exemple aux partenariats. L’Association peut être à cet égard une force de proposition et un cadre de débats et d’échange».

Volonté de réforme

Comment donc surmonter ces difficultés de sorte que ces entités territoriales soient en mesure de contribuer à une gestion décentralisée et efficace des territoires ? Pour Abdelfettah Skir, il est primordial de revoir le cadre juridique régissant ces collectivités, à savoir la loi organique 12-114, de manière à mieux définir leur périmètre d’intervention et à éclaircir davantage les compétences qu’elles ont en commun avec l’État en particulier. Il s’agit de préciser, ajoute-t-il, ce qui relève exclusivement du ressort des Conseils des préfectures et des provinces et les compétences qu’ils partagent avec l’État ou d’autres intervenants et éventuellement les mécanismes de coordination et même d’arbitrage en cas de conflit. Mais il est bien entendu que cet effort de clarification restera vain s’il n’est pas accompagné par une allocation conséquente de moyens financiers. Car comme le souligne Abdelfettah Skir, «même avec des attributions bien clarifiées, sans moyens, on ne peut pas faire grand-chose».
En attendant les changements escomptés, l’essentiel est déjà fait, se réjouit cet expert. Car le diagnostic est établi, les concertations avec le ministère de l’Intérieur sont lancées et la volonté de réforme est clairement affichée. «Le processus d’amélioration de la gouvernance territoriale sera long. Nous essayons de tirer les enseignements qu’il faut en exerçant quotidiennement notre travail au sein des Conseils des préfectures et des provinces. C’est comme ça que nous comptons relever le pari de contribuer à la mise en œuvre du chantier de la régionalisation avancée», conclut-il.

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Préfectures et provinces : quel poids dans l’architecture de la décentralisation ?

Selon la Constitution de 2011, «les collectivités territoriales du Royaume sont les régions, les préfectures, les provinces et les communes. Elles constituent des personnes morales de droit public et gèrent démocratiquement leurs affaires». De ce fait, l’architecture institutionnelle de la décentralisation s’articule autour de trois niveaux : aux régions, on a attribué la prééminence en matière économique. Ces collectivités doivent donc élaborer leurs programmes de développement régionaux pour chaque mandat électoral avec une vocation économique. Pour les provinces et les préfectures, leur compétence porte principalement sur le développement social. Concernant les communes, elles sont appelées à élaborer des programmes axés sur les services de proximité. Selon la loi organique relative aux préfectures et provinces, ces dernières sont chargées, à l’intérieur de leur ressort territorial, des missions de promotion du développement social, notamment en milieu rural, de même que dans les espaces urbains. Ces missions concernent également le renforcement de l’efficacité, de la mutualisation et de la coopération entre les communes se trouvant sur son territoire. À cet effet, les préfectures et provinces œuvrent à rendre disponibles les équipements et les services de base, notamment en milieu rural, mettre en œuvre le principe de mutualité entre les communes, à travers la réalisation d’actions, l’offre de prestations et la réalisation de projets ou d’activités en relation principalement avec le développement social. De même, le Conseil provincial ou préfectoral participe à la lutte contre l’exclusion et la précarité dans les différents secteurs sociaux. Il exerce ces missions en tenant en compte des politiques et des stratégies de l’État dans ces domaines. À cet effet, ce Conseil exerce des compétences propres, des compétences partagées avec l’État et des compétences qui lui sont transférées par ce dernier.

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Enquête auprès de 25 conseils préfectoraux et provinciaux

Le séminaire national organisé le 29 janvier dernier par L'Association marocaine des présidents des Conseils des préfectures et des provinces a été marqué par la présentation des conclusions d’une étude relative aux difficultés rencontrées par les Conseils des préfectures et des provinces dans l’exercice de leurs attributions. Cette étude est basée sur une enquête d’opinion qui a connu la participation des présidents de 25 Conseils préfectoraux et provinciaux représentatifs de toutes les régions du Royaume, soit un tiers de l’ensemble de ces collectivités. Les recommandations de cette enquête portent grosso modo sur la révision du cadre juridique régissant ces Conseils et de certaines procédures administratives de l’autorité de tutelle.

Dans le détail, les Conseils ont énuméré nombre de contraintes qui les empêchent de jouer pleinement leur rôle, comme les interférences de leurs compétences avec celles d’autres intervenants étatiques, les faibles ressources financières allouées... Dans l’ensemble, les Conseils participant à l’enquête se sont tous prononcés «pour l’élargissement des compétences des Conseils, mais concomitamment au renforcement des crédits financiers alloués». Ils ont également insisté sur la nécessité de bien délimiter les périmètres des compétences partagées avec d’autres entités et les mécanismes d’arbitrage en cas de conflit. Ils ont enfin plaidé pour l’adoption d’une vision stratégique à moyen et long termes pour le financement des Conseils et l’institutionnalisation de mécanismes de coopération et de coordination entre les gouverneurs et les présidents desdits Conseils.

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Entretien avec Saad Bouachrine, président de l’Institut international de la gouvernance

«Il faut développer les mécanismes d’une gouvernance permettant la convergence des politiques publiques territoriales»

Le Matin : Près de 7 ans après la promulgation de la loi organique n°14-112, les conseils des préfectures et provinces peinent toujours à exercer leurs prérogatives. L’AMPCPP parle de problèmes et de difficultés. De quoi s’agit-il exactement ?



Saad Bouachrine : 
Tout d’abord, il faut signaler que nous sommes en présence d’un nouvel exercice de planification stratégique territoriale. Avant la promulgation des lois organiques sur le territoire en 2015 et dans le cadre de l’ancienne loi, les communes marocaines avaient l’obligation d’élaborer leurs plans de développement communal et la démarche du guide proposé par la direction générale des collectivités territoriales intégrait le volet stratégique à tous les niveaux, ce qui veut dire que les communes devaient élaborer des plans de développement économique, social et en termes de services de proximité.

Actuellement, l’architecture institutionnelle de la décentralisation a changé et elle s’est améliorée pour installer une dynamique de développement territoriale à trois niveaux : aux régions, on a attribué la prééminence en matière économique. Ces collectivités doivent donc élaborer leurs programmes de développement régionaux pour chaque mandat électoral avec une vocation économique. Pour les provinces et les préfectures, leur compétence porte principalement sur le développement social. Concernant les communes, elles sont appelées à élaborer des programmes axés sur les services de proximité. Nous sommes donc en pleine opérationnalisation d’une démarche territoriale multicouche et multi-acteurs. Il est donc normal que les provinces et les préfectures se trouvent face à une expérience nouvelle, avec des problèmes nouveaux.

Pourquoi le législateur n’a-t-il pas prévu ce genre de difficultés ? Et comment les surmonter ?

Nous sommes face à un processus de construction. Le législateur a mis en place un cadre réglementaire en adéquation avec l’expérience du Maroc en matière de décentralisation et de déconcentration. Il s’agit de développer les mécanismes d’une gouvernance institutionnelle permettant une meilleure convergence des politiques publiques territoriales. L’enjeu est de développer des leviers pour promouvoir la coordination et la cohérence de l’action publique territoriale au niveau des trois niveaux (région, province-préfecture et commune), et finalement promouvoir une charte de régulation territoriale pour implémenter les pratiques du pilotage partagé orienté résultats et performance. Bien sûr, cela nécessite de développer les prérequis nécessaires à cet exercice, à savoir l’instauration d’une culture orientée résultat au lieu des moyens et l’implémentation des processus de conduite de la performance et de suivi-évaluation, sans oublier la question de l’efficacité.

Sur quoi faut-il miser pour faire cela ?

Notre positionnement en tant que pays émergent repose sur notre choix de parier sur le facteur humain et le développement des compétences et du leadership. Donc nous n’allons pas réinventer la roue. Il faut miser encore et toujours sur le renforcement des capacités et des compétences de nos élus territoriaux. Il s’agit aussi de promouvoir une bonne conduite de la transformation pour favoriser l’émergence d’une administration territoriale réactive, performante et efficace. Le nouveau modèle de développement considère à ce propos que l’administration est un levier principal de développement. Nous devons nous aligner sur les bonnes pratiques et les standards internationaux en matière de management public, de gestion des projets et de programmes territoriaux et en matière d’implémentation de l’assurance qualité et des exigences d’une gouvernance efficace et inclusive.

Quelle est l’importance des conseils des préfectures et provinces dans l’architecture territoriale ?

Cette question reste liée à une autre question beaucoup plus grande : s’agit-il d’un déficit institutionnel ou bien d’une mauvaise synchronisation de l’action publique territoriale ? Je crois que nous avons besoin encore de temps pour pouvoir répondre à cette interrogation, puisque l’expérience d’un seul mandat ne permet pas de se prononcer. Mais je peux affirmer que le schéma actuel peut porter ses fruits si nous arrivons à concrétiser un modèle de gouvernance territoriale axé sur la convergence, la cohérence, la coordination et la régulation des politiques publiques territoriales et aussi de la territorialisation des politiques publiques nationales.

Qu’en est-il des autres collectivités territoriales ? Souffrent-elles des mêmes problèmes ?

Comme je l’ai décrit plus haut, les différentes collectivités territoriales font face aux mêmes contraintes. Mais chacune d’entre elles devrait développer des modèles d’intervention en phase avec ses attributions. Il ne s’agit pas de problème qui nécessite une solution, mais plutôt d’un exercice qui nécessite de développer un modèle d’action. Nous sommes dans la gouvernance, ce qui veut dire des modes d’actions multi-acteurs et des décisions partagées, par conséquent, les problèmes à un niveau territorial peuvent être résolus à travers un dispositif de gouvernance avec des acteurs multiples. L’expérience a montré que nous pouvons innover et exploiter les avantages du cadre réglementaire que nous avons. Par exemple, dynamiser les processus d’intercommunalité, créer des sociétés de développement local entre plusieurs collectivités territoriales ou bien élargir les contrats État-régions aux autres collectivités territoriales.

Propos recueillis par A.Rm.

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