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Cloud souverain : les enjeux pour le Maroc

La transformation digitale des entreprises et des administrations, la souveraineté numérique et la compétitivité économique sont aujourd'hui les trois enjeux du Cloud qui se hisse ainsi en priorité stratégique. Face à ces défis, le Maroc ne peut faire l’impasse sur une véritable stratégie nationale de souveraineté numérique mobilisant tout un écosystème public-privé. Ces questions et d'autres ont été débattues par les invités de la Matinale du Groupe Le Matin organisée jeudi 3 mars, en partenariat avec Dell Technologie, sur le thème «Cloud souverain : quels enjeux pour le Maroc ?»

Le Cloud a pris du galon avec le déclenchement de la crise sanitaire où l’ancrage du digital a été accéléré. À tel point qu’il a été qualifié de pétrole de ce siècle, lors des Matinales du Groupe Le Matin, organisées, jeudi à Casablanca, en partenariat avec Dell Technologies, sur le thème «Cloud souverain : quels enjeux pour le Maroc ?». Ce qualificatif on le doit notamment à Ahmed Iraqi, Advisory systems engineer Maroc et Afrique de l’Ouest de Dell Techologies, qui a souligné que «le cloud est le pétrole de ce siècle et la data est notre clé pour progresser. Aujourd’hui, nous vivons une révolution, et sans la data, nous ne pouvons pas avancer». De ce fait, les panélistes ont été unanimes à rappeler l'urgence d'accorder un intérêt particulier à l'investissement dans le Cloud.

Les administrations, entreprises et organisations doivent placer l'investissement dans le Cloud parmi les priorités stratégiques en privilégiant l'externalisation vers des opérateurs marocains maitrisant la technologie. Et de noter que cette pratique d'externalisation avance au ralenti au Maroc alors qu'elle connait une croissance à l'international. «L’enjeu étant de nourrir la confiance pour encourager les entreprises à y aller en toute sécurité, avec l’externalisation des services et des applications métiers qui sont à forte valeur ajoutée», indique Karima Belahcene, DSI Richbond et membre Bureau de l’Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (Ausim). Toutefois, le recours à l'externalisation dans le Cloud est freiné par le risque lié à la souveraineté.

Sur ce point, Ahmed Iraqi rappelle les trois priorités à maitriser pour un Cloud souverain. «Si le cloud se présente comme un outil ou une autoroute, le nerf de la guerre reste la data. Quand on parle de souveraineté dans le Cloud, il faut distinguer deux principaux types de priorités : la data residency (où seront stockées physiquement les données) et la gouvernance. Tous ces éléments répondent à une réglementation rigoureuse interne et inter-pays», explique l’Advisory systems engineer de Dell Techologies. Enjeu de compétitivité, le Cloud souverain permet de créer une valeur ajoutée certaine pour les entreprises comme pour les grandes entreprises. Dans la durée, l’ensemble de l’écosystème devra bénéficier de cet accès au Cloud souverain, indique Ouassim El Arroussi, Directeur Études & Développement chez Inwi.

En attendant, les intervenants notent que l’usage du Cloud reste limité pour les PME et appellent à l'élargir à ces entreprises, qui représentent plus de 60% du tissus économique marocain. Le recours au stockage cloud intéresse actuellement essentiellement les institutions publiques et les grands groupes, notamment les télécoms, les banques et les entreprises financières. «En mars 2020, énormément de directions de systèmes d’information auraient aimé avoir le Cloud», indique pour sa part le directeur de la formation continue et professeur d’innovation à l’École Centrale Casablanca, Nassef Hmimda. «L’idée d’intégrer les petites et moyennes entreprises ainsi que les startups nécessite une communication adaptée», note Karima Belhacene. En effet, le Cloud présente différents avantages notamment une optimisation des investissements. «Les startups et PME doivent être encouragées pour démarrer leur activité sans se soucier du Capex», souligne Ahmed Iraqi. Et d’ajouter que l’État devrait aider les entreprises à utiliser le Cloud pour devenir plus compétitives. «Le cloud devient un investissement important pour les pays comme les infrastructures. Il s’agit de l’infrastructure de l’économie de demain», estime-t-il. La directrice SI de Richbond rappelle l’enjeu continental que représente le Cloud et l’externalisation de la data. «Avec la crise, nous avons vu que l’Afrique a bougé très vite. Le Maroc se positionne désormais comme un des meilleurs pays du continent en termes de connectivité. L’avènement de la 5G est également un levier pour appuyer cette accélération».

Des alliances régionales pour mieux tirer profit du Cloud

Pour le développement du Cloud, les intervenants suggèrent notamment de s’appuyer sur la création d'alliances régionales, la formation et l'amélioration du cadre juridique. Ainsi, le directeur des Etudes et Développement chez Inwi estime, quant à lui, que le développement du Cloud souverain nécessite d’abord de protéger les données sensibles et d'assurer «la continuité de nos services vitaux qu’ils soient publics, bancaires, financiers, etc.». Et pour s’assurer une place de choix, le Maroc devrait créer des alliances en vue de l’investissement colossal que demande le Cloud. «La souveraineté rappelle le contrôle. Si nous voulons avoir une notion de souveraineté, il est faut créer une alliance», souligne Nassef Hmimda. «Il faut s’entendre avec d’autres acteurs, unir les forces et créer un périmètre cohérent», note-t-il. Pour Ahmed Iraqi, l’Afrique représente un bon partenaire de cette alliance : «Pour que le marché soit intéressant pour les entreprises qui s’y installent, il faut des alliances avec les pays africains pour pouvoir offrir les mêmes prestations qu’en Europe». Il estime aussi qu'il faut avoir un cadre juridique et «créer une entente politique, géopolitique et économique pour avoir un marché de taille et pouvoir peser comme c’est le cas de l’Amérique du Nord, de l’Europe ou de l’Asie». Ce constat n’est pas tout à fait partagé par le directeur de la formation continue de l’École Centrale Casablanca. Selon lui, «si nous voulons être pragmatiques, si nous souhaitons avoir une locomotive, il vaut mieux nouer des alliances au Nord plus qu’au Sud. Je pense que nous pouvons avoir plus d'alliances stratégiques avec le pourtour méditerranéen». Nord ou Sud, Karima Belahcene estime, quant à elle, «que l’un n’empêche pas l’autre. Nous pouvons, tout en travaillant avec nos partenaires européens, créer des alliances sur le continent africain via le développement d’infrastructures et la formation de compétences». Pour elle, «il faut penser à la formation adéquate pour accompagner les entreprises. In fine, nous devons parvenir à attirer la compétence et la garder».

Quid de la législation ?

L’évolution de la technologie est tellement rapide que le législateur a du mal à suivre. «Nous faisons face à ce qui arrive chaque fois qu’une nouvelle technologie apparait sur le marché. Le législateur ne peut pas suivre et le décalage ne peut pas être rattrapé», souligne Nassef Hmimda. Pour y remédier, Ouassim El Arroussi appelle à la mise en place d’un dispositif juridique pour comprendre les contraintes du Cloud. «Il y a eu cette prise de conscience par le législateur et les acteurs. Désormais, il ne reste plus qu’à donner à ces acteurs les outils pour bien protéger leurs actifs», note-t-il. Selon Karima Belahcene, «il y a un cadre juridique qui demande à être enrichi». Pour elle, le cadre actuel régit une partie de l’exploitation. «La souveraineté va au-delà de la donnée et de la protection de la donnée personnelle, puisque nous parlons désormais de données économiques».

ILS ONT DIT 

Ahmed Iraqi, Advisory Systems Engineer, Morocco & NWA Dell Technologies

«La réussite et la compétitivité de nos organisations dépend de la capacité de se doter d’un cloud souverain»

«L’utilisation du cloud au Maroc est essentiellement menée sur du cloud privé au sein des datacenters qu’on gère. Aujourd’hui, on constate l’utilisation de plus en plus de l’hybridité, c’est-à-dire une partie des process sur le privé, avec la possibilité de lancer d’autres sur le cloud public chez des fournisseurs, notamment les opérateurs de télécommunications. Ce secteur est primordial pour le pays qu’il faut développer ensemble : acteurs du public et du privé et fournisseurs de technologies. Car la réussite et la compétitivité de nos organisations dépend de la capacité de se doter d’un cloud souverain. Chez Dell Technologies, nous accompagnons les entreprises pour mettre en place leur cloud privé au sein de leurs datacenters. Il s’agit notamment de solutions d’infrastructures au sein des datacenters, avec des serveurs, du réseau et du stockage, ainsi que des couches d’automatisation pour gérer les Clouds privés. Au cours de ces dernières années, nous avons pu accompagner énormément d’entreprises du public et du privé pour mettre en place ces infrastructures. L’enjeu étant de leur permettre d’avoir un cloud privé avec la possibilité de sortir les données ou les process sur des Clouds souverains, soit chez des opérateurs au Maroc, soit vers des Clouds extérieurs.»

Ouassim El Arroussi, directeur Études & Développement chez inwi

«Le cloud permet d’apporter un effet d’échelle au développement et à l’accélération de la transformation digitale»

«Cette Matinale nous a permis de parcourir les objectifs et les enjeux du cloud en environnement souverain au Maroc, sa contribution dans l’accélération de la transformation digitale et la manière avec laquelle il permet aux différents acteurs d’adresser l’enjeu de cette digitalisation. Il s’agit également de la nécessité de garder une souveraineté pour une partie des données et des process qu’ils opèrent. Cette rencontre a été, entre autres, l’occasion d’aborder les cas d’utilisation, qui font appel à un cloud privé, public ou hybride. Ce dernier permettant à la fois de bénéficier d’un contrôle supplémentaire sur un cloud privé, en plus de le compléter par des capacités de cloud public pour s'assurer notamment de l’extension, de la scalabilité, de la reprise après sinistre et de la continuité d’activité pour leurs applications. En effet, le cloud permet d’apporter un effet d’échelle au développement et à l’accélération de la transformation digitale. Aujourd’hui, il est nécessaire d’identifier des opportunités de synergies nationales et même des fois au-delà qui permettraient de donner plus d’ampleur à cet effet d’échelle et donc de rendre cette transformation encore plus pertinente et plus durable ».

Karima Belahcene, DSI Richbond et membre du bureau de l'AUSIM

«L’enjeu est de nourrir la confiance pour encourager les entreprises à aller vers la technologie du Cloud en toute sécurité»

«Aujourd’hui, la stratégie au niveau de l’État est claire. En dehors des secteurs de l’énergie, de la santé ou de l’alimentation, le digital a tout son rôle à jouer. L’AUSIM, en tant que partenaire de plusieurs acteurs aux niveaux national et régional, essaye de démystifier ce concept et de promouvoir le mindset du Cloud First. L’enjeu étant de nourrir la confiance pour encourager les entreprises à y aller en toute sécurité, avec l’externalisation des services et des applications métiers qui sont à forte valeur ajoutée. En termes d’évolution technologique, le virage est déjà entamé, il faut considérer le cloud en tant que levier de cette évolution. C’est aussi un pilier sur lequel il faut capitaliser pour pouvoir prendre de l’avance. Mais cela ne veut pas dire tout mettre d’un seul coup sur le Cloud, on peut toujours envisager des stratégies hybrides qui permettraient de protéger les données nécessaires et sensibles. Pour ce faire, il est nécessaire de faire une classification de données pour savoir ce qui doit rester en interne et ce qui peut passer sur le cloud, tout en respectant les législations locales, mais aussi avoir le potentiel d’actionner des initiatives digitales qui pourraient être une valeur ajoutée aux entreprises et aux métiers.»

Nassef Hmimda, directeur de la formation continue et professeur d'innovation à l'École Centrale Casablanca

«La gestion des données est un sujet qui engage l’avenir de nos économies»

«La donnée est le pétrole du moment, c’est-à-dire que celui qui contrôle la donnée, c’est celui qui va pouvoir créer le plus de valeur. Donc il est nécessaire qu’on se pose de plus en plus de questions sur l’accès, l’hébergement et le traitement de ces données pour aller plus loin. C’est un sujet qui engage l’avenir de nos économies et il faut dès à présent se poser les bonnes questions pour structurer l’écosystème. Actuellement, nous disposons de l’ensemble des composantes de cet écosystème, que ce soit en termes d’infrastructures, ou de compétences, mais il y a aussi la logique de coordination ou de régulation que seul un acteur public pourrait faire, mais qui fait défaut aujourd’hui. Il est urgent de faire ce travail de régulation et de coordination pour faire émerger une offre globale, écosystémique pour répondre aux besoins au niveau local, dans un premier temps, mais aussi au niveau régional pour aller vers l’international. Derrière tous ces éléments, il y a aussi le développement des compétences humaines. Nous disposons de très bonnes expertises, mais il faut aussi penser, au-delà du développement qu’on est amené à rencontrer dans ce domaine, à un besoin de plus de plus important à la fois en infrastructures et en compétences humaines. Multiplier les instances en charge de la formation est donc une nécessité pour accompagner ce développement.

Dossier réalisé par Meriam Tabih & Mohamed Sellam

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