Le Matin : La Cour marocaine d’arbitrage organise le 8 novembre à Casablanca une journée sur l’arbitrage. Pourquoi cet événement aujourd’hui ?
Pouvez-vous donner une définition de l’arbitrage et en quoi il se différencie de la médiation, de l’amiable composition ?
L’arbitrage est défini comme un mode alternatif de règlement des différends. Les parties conviennent de soumettre un litige né ou éventuel à un ou plusieurs arbitres qu’elles choisissent pour rendre une sentence à force obligatoire ou exécutoire. La plupart des arbitrages sont des arbitrages dits «en droit» c’est-à-dire que le ou les arbitres tranchent le litige en faisant référence à un droit national, à une convention internationale (exemple la Convention de Vienne ou la Convention de La Haye) ou à des règles spécifiques (règles du commerce international, règles Unidroit, Incoterms, etc.). Les parties peuvent toutefois décider que les arbitres tranchent le litige en «amiable composition», c’est-à-dire en recherchant une solution équitable sans faire référence à une disposition légale. La médiation conventionnelle, quant à elle, est un mécanisme par lequel un tiers, appelé médiateur, choisi pour sa neutralité, aide les parties à parvenir à un règlement amiable de leur différend. À la différence de l’arbitre, le médiateur ne rend pas de décision juridictionnelle. En effet, en médiation, la décision est non contraignante et le consentement de toutes les parties est requis pour transiger.Pourquoi renoncer aux tribunaux, à la justice et opter pour l’arbitrage ?
Opter pour l’arbitrage n’est pas un renoncement à la justice étatique, mais plutôt une alternative offrant une certaine flexibilité puisque les parties peuvent choisir le droit applicable au fond du litige et à la procédure, la langue de l’arbitrage, le siège de l’arbitrage ainsi qu’un certain nombre de modalités procédurales (délais, nombre et contenu des écritures, modes d’administration de la preuve, format des audiences, etc.). Les parties peuvent également choisir des arbitres spécialisés, ce qui est particulièrement pertinent lorsque l’objet de l’arbitrage est technique. Un autre avantage considérable de l’arbitrage est qu’il peut revêtir un caractère confidentiel. Cette confidentialité est prévue contractuellement ou par le règlement d’arbitrage, dans l’hypothèse d’un arbitrage institutionnel, comme celui de la Cour marocaine d’arbitrage.Vous avez fait référence à la nouvelle loi 95-17 qui vient d’être publiée en juin dernier. Quelles sont les nouveautés et qu’est-ce qui a changé avec cette loi ?
Tout d’abord, les nouvelles dispositions sur l’arbitrage et sur la médiation conventionnelle sont désormais séparées du Code de procédure civile, marquant ainsi la volonté de considérer ces domaines comme un corpus juridique indépendant. Il y a également de nombreuses modifications apportées par cette loi sur le plan procédural, notamment la confirmation d’une pratique jurisprudentielle selon laquelle la procédure d’exequatur, qui est la décision par laquelle un tribunal rend exécutoire sur le territoire national une sentence arbitrale, est contradictoire. En effet, il est désormais acté que les parties peuvent être entendues par le tribunal étatique afin d’arguer sur la nécessité ou non de rendre exécutoire une sentence arbitrale. En outre, la nouvelle loi introduit le paiement d’une indemnité en dommages-intérêts si le juge considère que le recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale a été formé abusivement.On a toujours associé investissement et arbitrage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’arbitrage est un atout pour le climat des affaires au Maroc puisqu’il permet aux investisseurs, et particulièrement aux investisseurs étrangers, d’organiser contractuellement et en amont les modalités de règlement des litiges relatifs à leur investissement, notamment quant au droit applicable, à la langue qui sera utilisée lors de la procédure arbitrale et au choix des arbitres. Le fait, pour le Maroc, de disposer d’une législation favorable à l’arbitrage et d’être signataire des principales conventions internationales en la matière (Convention de New York de 1958 et Convention de Washington de 1965) est un élément majeur pour un pays afin d’attirer les investissements directs étrangers.Sur un plan pratique, quand et comment peut-on prévoir l’arbitrage comme moyen de régler un différend ou un litige ?
Il est possible de prévoir le recours à l’arbitrage soit par le biais d’une clause compromissoire, c’est-à-dire par l’insertion d’une clause d’arbitrage dans un contrat et donc avant la survenance d’un litige, soit lorsque le litige est déjà survenu, par un compromis d’arbitrage prenant la forme d’une convention séparée conclue entre les parties à un contrat qui prévoit que le litige qui vient de naître sera soumis à l’arbitrage.Combien coûte l’arbitrage et où se déroule -t-il ?
Les coûts de l’arbitrage sont variables puisqu’ils dépendent de la durée de la procédure, de la complexité du litige, du nombre et du niveau d’expérience des arbitres impliqués, des frais liés à l’organisation de l’audience, etc. Les coûts de l’arbitrage comprennent tout d’abord les honoraires du ou des arbitres ainsi que les frais administratifs de l’institution lorsqu’il s’agit d’un arbitrage institutionnel. Ces montants sont calculés la plupart du temps proportionnellement aux sommes réclamées par les parties, comme c’est le cas devant la Cour marocaine d’arbitrage. À ces montants s’ajoutent les honoraires des conseils juridiques, ceux des experts ainsi que les autres frais d’organisation et de déplacement. L’ensemble de ces coûts est partagé entre les parties ou supporté par la partie qui succombe, selon la clause d’arbitrage, ou ce qui sera décidé dans la sentence arbitrale. En principe, la clause d’arbitrage fixe le lieu du siège de l’arbitrage. C’est en principe au siège que se déroulent les audiences, sauf si les parties en décident autrement.Les médias rapportent depuis quelques années des difficultés d’exécuter au Maroc des sentences arbitrales rendues à l’étranger. Une décision de la Cour de cassation, toutes chambres réunies, rendue il y a juste quelques jours, a «cassé» un arrêt d’appel et censuré l’exécution d’une sentence arbitrale. Qu’en dites-vous ?
Dans le cadre d’un arbitrage, les arbitres ont le pouvoir de trancher un litige sous la forme d’une sentence arbitrale, mais n’ont pas le pouvoir de la faire exécuter. Il faut donc saisir le juge étatique pour que la sentence soit revêtue de l’exequatur et permettre le cas échéant d’avoir recours aux voies d’exécution, notamment à travers les différentes formes de saisie. L’allongement des procédures d’exequatur des sentences arbitrales dans notre pays est un phénomène inquiétant puisqu’à travers le caractère contradictoire de cette procédure, une partie peut user de manœuvres dilatoires pour retarder l’exécution d’une sentence arbitrale. Concernant le dossier Ynna Holding/Fives auquel vous faites allusion, la procédure d’exequatur et les procédures annexes durent depuis plus de dix ans sans qu’aujourd’hui la question de l’exécution de la sentence n’ait été définitivement tranchée.
