Entre Fès-Meknès et les industries du textile et cuir, c’est une longue histoire d’amour. Aujourd’hui, ces deux filières concentrent 50% des emplois dans la région. Mais actuellement, elles évoluent bien mieux ailleurs qu’à Fès-Meknès, comme dans la région de Tanger, par exemple. Fès, qui était par le passé la deuxième ville industrielle du Maroc, cherche en effet à se repositionner sur l’échiquier industriel national. Un objectif pour lequel d’importants moyens et projets sont déployés afin de rendre à cette région ses insignes d’honneur sur le plan industriel.
Une région aux multiples atouts
En termes d’atouts, la région de Fès-Meknès est bien lotie. De par son emplacement stratégique, qui lui assure une position de choix, Fès-Meknès est l’une des régions du Maroc les plus développées en termes d’infrastructures. Avec un réseau routier de 8.689 kilomètres, soit 21% du réseau routier national, son réseau autoroutier la reliant aux grands ports du Royaume (Kénitra Atlantique à 1h45 min, port de Casablanca à 2h55 min et Tanger Med à 3 h 50), son réseau ferroviaire de 200 kilomètres et son aéroport international Fès-Saïss d’une capacité d’accueil de trois millions de passagers qui assure la connectivité de la région aux grandes villes mondiales, surtout après l’ouverture du Terminal 2, «la région de Fès-Meknès n’a rien à envier aux autres régions», assure le premier président du Conseil de la région, Youness Er-Rafik. Ce qui lui fait défaut, en fait, toujours selon M. Er-Rafik, ce sont des actions de marketing.
Des projets de grande envergure pour donner un nouveau souffle au secteur industriel
Pour insuffler une nouvelle dynamique à son front industriel, la région bi-pôle, Fès et Meknès, a entrepris de grands projets de parcs industriels, appuyés par un Plan de développement régional (PDR) d’une valeur de 13 milliards de dirhams. Il s’agit par exemple du Parc industriel de Aïn Cheggag (PIAC), d’une zone d’accélération industrielle (ZAI) qui répond à de multiples enjeux socio-économiques et environnementaux de même qu’à l’enjeu crucial de développer une industrie exportatrice. Principalement dédié aux industries du cuir, particulièrement polluantes, le PIAC a vocation à créer des emplois dans la région de Fès-Meknès, tout en suppléant au manque de zones industrielles structurées, attractives et respectueuses de l’environnement. Il s’agit également de la zone industrielle dite ex-Cotef, fleuron de l’industrie textile nationale dans les années 1980, qui s’étend sur 16 hectares et qui a fait l’objet d’opérations d’aménagement, de valorisation et de développement. «Cette zone est désormais un quartier industriel occupé à 100%, avec 70% des sites qui sont déjà opérationnels», a fait savoir M. Er-Rafik.
Ce quartier comprend notamment le site d’Alstom Fès sur une superficie de 3,4 hectares, dédié à la production d’armoires électriques et de faisceaux pour les applications ferroviaires et les câblages électriques qui sont installés sur le matériel roulant d’Alstom. S’y trouve aussi la zone industrielle Aïn Bida qui s’étend sur une superficie brute de 80 hectares et qui a mobilisé un investissement global de 200 millions de dirhams, pris en charge à parité par le ministère de l’Industrie et du commerce et la région de Fès-Meknès. Ce site comprend une zone industrielle généraliste, une zone de commerce de gros, une zone d’activités économiques, une zone destinée à la délocalisation des huileries dans le cadre du programme de dépollution d’Oued Sebou et une zone pour le transfert des dépôts de stockage de gaz. Les promoteurs de la région citent également le projet de la zone industrielle de Ouislane dédiée aux filières du textile et habillement, énergies renouvelables, automobile, chimie et parachimie, montage électrique et BTP. Sans oublier le projet pilote de la zone industrielle «Fez Smart Factory» (FSF) ayant pour mission d’être un incubateur et une pépinière de startups, offrant des solutions d’ingénierie pour l’industrie et des laboratoires de recherche et développement.
Un capital humain qualifié
La région de Fès-Meknès est le premier pôle universitaire du pays avec 5 universités et des effectifs de 160.000 étudiants par an et 75.000 bénéficiaires de la formation professionnelle/an, dont plus de 41.000 inscrits dans des établissements publics. Cette région dispose également d’écoles d’ingénieurs et de commerce de renom, ainsi que de la première école d’ingénierie numérique et d’intelligence artificielle en Afrique. En effet, la région compte plus de 266 établissements de formation professionnelle publics et privés d’une capacité annuelle de 75.000 places, avec 236 spécialités et métiers. La région sera également dotée d’une Cité des métiers et des qualifications (CMC) de 2.920 places pédagogiques à haute qualification autour de six pôles de formation : l’industrie, l’offshoring, le tourisme et l’hôtellerie, l’artisanat, l’agriculture et l’agro-industrie et la santé.
Textile et cuir : des défis et des opportunités
À l’instar des autres secteurs, les industries du textile et cuir se trouvent à la croisée des chemins après la crise de la Covid-19 et les enjeux liés à la responsabilité sociétale des entreprises. En effet, si la crise de la Covid-19 et la perturbation des chaînes d’approvisionnement qui s’en est suivie ont mis en évidence des fragilités, jusqu’alors invisibles, concernant notamment la dépendance de l’amont de ce secteur vis-à-vis des importations, ces mêmes crises sont aujourd’hui porteuses d’une opportunité importante pour le développement de ce secteur grâce à la tendance au nearshoring initiée surtout par les donneurs d’ordre européens. «La crise de la Covid n’a pas eu qu’un effet négatif, mais elle a aussi eu un effet positif sur les deux secteurs. Nous avons eu un retour très important des donneurs d’ordre après cette crise puisque la logique nearshore a commencé à prendre de l’ampleur et la meilleure plateforme qui soit proche est le Maroc», explique le directeur des industries du textile et du cuir au ministère de l’Industrie et du commerce, Taha Ghazi. Le Maroc est bien placé pour capter ces investissements et il faut donc passer à une autre étape pour le textile qui consiste à développer l’amont qui est extrêmement vital, souligne M. Ghazi. «Cet amont, qui était très développé au Maroc à l’époque de Cotef à Fès de Icoz à Oued Zem, n’a pas pu résister, faute de compétitivité, à la déferlante des produits provenant de Chine, mais aujourd’hui nous avons un nouvel aspect qui va renforcer la compétitivité du Maroc sur ce segment-là notamment ayant trait à la composante durable et green», indique le responsable. «Grâce à la stratégie marocaine en matière d’énergies renouvelables, le secteur textile sera grandement favorisé pour se repositionner en force dans le pourtour méditerranéen et à l’international», affirme M. Ghazi.
Pour sa part, le président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH), Anass El Ansari, a indiqué que le secteur textile, qui regroupe 1.600 entreprises, accapare 22% de l’emploi industriel au Maroc et génère un chiffre d’affaires de 54 milliards de dirhams dont 30 milliards à l’export, se porte bien aujourd’hui avec 27,8 milliards d’exportations jusqu’à fin août 2022, ce qui représente une évolution en glissement annuel de 30% et de 17% par rapport à l’année 2019 (année référence avant la crise). «Le Maroc se présente désormais comme un acteur incontournable par rapport à nos marchés cibles en Europe, puisqu’il est leur deuxième fournisseur, et nous comptons bien renforcer cette position», poursuit M. El Ansari, notant que cela dépend de plusieurs facteurs, notamment le renforcement de la valeur ajoutée du textile marocain par le développement d’un amont fort et la réduction de la dépendance aux intrants importés qui culmine à 85%.
Le développement de cet amont, soutient le président de l’AMITH, «va nous permettre à la fois de sécuriser les emplois existants, mais aussi d’augmenter à terme la valeur ajoutée en vue de fabriquer des produits 100% “Made in Morocco” de l’intrant à la confection finale».
Le président de la Fédération marocaine des industries du cuir (FEDIC), Azzedine Jettou, a pour sa part déclaré que «la région de Fès va sauver l’industrie du cuir grâce à la zone industrielle de Aïn Cheggag». Et d’expliquer que «les tanneries existantes sont actuellement condamnées à une disparition certaine du fait du manque de stations d’épuration», appelant à la réalisation de tanneries de nouvelle génération à l’instar de celle de Aïn Cheggag dotée d’une station d’épuration et qui, à elle seule, permettrait de créer 10.000 nouveaux emplois. «Grâce aux tanneries de nouvelle génération, les produits en cuir marocains pourront à nouveau s’exporter et nous serons également en mesure de drainer des capitaux étrangers pour investir, au-delà de la maroquinerie et de la chaussure, dans le cuir automobile», se réjouit le président de la FEDIC.
DÉCLARATIONS
Younes Er-Rafik, 1er vice-président du Conseil de la région de Fès-Meknès : «La région de Fès-Meknès détient 70% des réserves en eau nationales»
«Ces Régionales de l’investissement initiées par la Banque Populaire ont été pour nous une occasion de partager avec l’audience les avancées que la région de Fès-Meknès est en train de réaliser en termes d’investissement public, nouveaux quartiers industriels – dont un pour l’industrie du cuir, un à Aïn Baida à Fès, un autre à Ouisslane à Meknès… – et zone d’accélération industrielle. Ces Régionales de l’investissement ont été également une occasion de rappeler que la région Fès-Meknès détient 70% des réserves en eau au niveau national, ce qui témoigne de l’intérêt et de l’importance de cette région auprès des investisseurs. Mais aussi de souligner que cette région en train de réaliser un Programme de développement régional (PDR) de 13 milliards de dirhams d’investissement partagés entre la région et l’État et touchant tous les domaines. Donc, nous pouvons dire que cette région a et continuera à se doter de tout ce qu’il faut pour retrouver la position économique qui lui sied au niveau national.»
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Omar Tajmouati, président de la CGEM de Fès-Meknès : «Le textile-cuir connaît une importante embellie»
«Je tiens à féliciter la Banque Centrale Populaire (BCP) pour l’organisation de cet événement, en présence du wali de la région de Fès-Meknès. Aujourd’hui, un focus a été mis sur le secteur du textile-cuir qui, je le rappelle, fait partie de l’ADN de la région et je veux profiter de cette o c- casion pour rendre hommage à toutes les entreprises de ce secteur et des autres secteurs également et à tous leurs collaborateurs qui ont fait preuve de résilience pendant la crise de la Covid. Ce secteur a montré quelques lacunes pendant cette crise liées notamment à la dépendance vis-à-vis des marchés historiques : France, Espagne et Italie, et au manque d’intrants, importés en grande partie. Actuellement, le secteur connaît une importante embellie et est appelé à évoluer. Nous appelons donc la BCP à accompagner ce secteur et nous sommes confiants quant à la capacité de ses entreprises à réaliser l’exploit et de le faire prospérer.»
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Yacine Lemcharki, président du directoire de la Banque Populaire de Fès-Meknès : «Nous souhaitons rebooster l’amont du secteur textile et porter notre valeur ajoutée au-delà de 17%» «Je suis convaincu qu’ensemble nous sommes en mesure de faire un excellent travail !»
«La forte mobilisation des entrepreneurs au niveau de la région de Fès-Meknès montre ce dynamisme entrepreneurial. Cet élan ne peut être qu’accompagné par les acteurs régionaux tels la Wilaya, le Conseil de la région, le CRI (Centre régional d’investissement), la CGEM, avec l’appaui de la Banque Populaire, sauront traduire cette volonté telle qu’exprimée par Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, lors de l’inauguration de la nouvelle session parlementaire. Je suis convaincu qu’ensemble nous sommes en mesure de faire un excellent travail !»
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Anass El Ansari, président de l’AMITH : «Nous souhaitons rebooster l’amont du secteur textile et porter notre valeur ajoutée au-delà de 17%»
«Je suis heureux de prendre part à ces Régionales de l’investissement de la BCP en présence du wali de la région de Fès-Meknès et d’une pléiade d’institutionnels. Le textile est un secteur qui regroupe 1.800 entreprises au Maroc avec à peu près 200.000 emplois, ce qui représente 22% de l’emploi industriel dans le pays. Aujourd’hui, avec la nouvelle équipe AMITH, nous ambitionnons en partenariat avec les institutionnels et les organismes financiers de promouvoir davantage l’investissement dans le textile. Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, a fixé la barre à 550 milliards de dirhams d’investissement d’ici 2026 et nous souhaitons nous inscrire dans cette optique-là pour rebooster les investissements sur la partie textile, surtout dans l’amont du secteur ce qui va porter notre valeur ajoutée au-delà des 17%. Nous ambitionnons également de diversifier nos marchés et pour cela nous comptons organiser des Salons régionaux et un Salon international pour promouvoir le “Made in Morocco”.»
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Azzedine Jettou, président de la FEDIC : «Le secteur du cuir est en phase de redémarrage, il faut relancer la formation»
«Je suis présent aujourd’hui aux Régionales de l’investissement, invité par le PDG de la BCP que je remercie, et remercie également le wali de la région Fès-Meknès pour sa participation à cet événement. La Fédération marocaine des industries du cuir (FEDIC) représente 240 entreprises, 50.000 emplois et à peu près 4 milliards de DH de chiffre d’affaires annuel. Notre Fédération travail aujourd’hui sur trois fronts, à savoir l’amont du secteur, la préférence nationale et le “Made in Morocco”. Pour ce qui est de l’amont du secteur, la région de FèsMeknès avec la zone de Aïn Cheggag va permettre à notre secteur, en perdition aujourd’hui à cause surtout des normes internationales relatives à l’écologie, de se repositionner en permettant notamment aux industriels de réinvestir dans la tannerie et de s’installer dans une zone avec une station d’épuration.
Je pense que cette zone de Aïn Cheggag va permettre de drainer des investissements nationaux et internationaux, car aujourd’hui et avec un secteur comme celui de l’automobile, nous aurons d’énormes opportunités pour équiper les voitures de cuir marocain. Aussi, le secteur de la chaussure, de la maroquinerie et des vêtements en cuir est un secteur très porteur qui crée beaucoup d’emplois. Je peux vous dire qu’aujourd’hui notre secteur est en phase de redémarrage et qu’il faut avoir beaucoup de confiance et relancer la formation des cadres et ouvriers par l’OFPPT.»
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Trois questions à Anass El Ansari, président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) : «L’industrie textile marocaine constitue la plateforme de référence dans le bassin méditerranéen»
Le Matin : L’AMITH a une nouvelle feuille de route pour la période 2022-2025. Pouvez-vous nous en présenter brièvement les grandes lignes ? Anass El Ansari : La feuille de route pour ce mandat 2022-2025 baptisé «Ambition & Transparence» s’articule autour de 6 axes principaux qui sont tous aussi importants les uns que les autres : 1. Soutenir la souveraineté industrielle et le label «Made in Morocco» pour réduire la dépendance du secteur aux importations textiles.
2. Développer les exportations et la conquête de nouveaux marchés par l’organisation annuelle d’un Salon international du Textile-Habillement. 3. Promouvoir les partenariats industriels et l’intégration du secteur.
4. Soutenir la formation et le développement des compétences.
5. Développer la création des emplois.
6. Promouvoir la régionalisation du secteur notamment dans les provinces du Sud marocain.
Dans quelle mesure le secteur peut-il bénéficier du rapatriement vers des pays du pourtour méditerranéen d’une partie des commandes passées avec les opérateurs asiatiques ?
Le secteur du Textile-Habillement a connu une forte période de turbulence en raison de la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine. La reconfiguration de l’approvisionnement textile mondial, engendrée par ces crises, a favorisé un retour vers un approvisionnement de proximité de la part des donneurs d’or dre européens. Dans le bassin méditerranéen, l’industrie textile marocaine représente la plateforme de référence, c’est le deuxième fournisseur d’habillement de l’Europe dans la région, ce qui explique l’évolution positive des exportations textiles marocaines enregistrées depuis l’année dernière.
Comment le textile marocain prépare-t-il son repositionnement sur la carte mondiale au regard des nouvelles tendances de consommation ?
En effet, sous la pression des consommateurs et des législateurs internationaux, l’industrie internationale de la mode est dans l’obligation de revoir son business modèle pour le rendre plus durable d’un point de vue à la fois social et environnemental. Par conséquent, l’industrie textile marocaine se doit d’anticiper les changements à venir pour être en mesure d’apporter des solutions à ses donneurs d’ordre, que ce soit en termes de conformité sociale et environnementale, ou encore d’innovations technologiques et de traçabilité de la chaîne de production.