En l’espace de deux semaines, le prix du gasoil a augmenté d’un peu plus d’un dirham, franchissant la barre des 13 dirhams dans plusieurs villes, avant de dépasser les 14 dirhams mercredi. Le prix de l’essence est quant à lui resté inchangé, autour de 14,16-14,24 dirhams le litre. La flambée des prix des carburants est si forte qu’elle se répercute sur les prix du transport et, par ricochet, sur ceux de plusieurs denrées alimentaires à la veille du mois du Ramadan. La hausse des prix à la pompe est d'autant plus incompréhensible pour le consommateur que les prix du baril ont connu une relative accalmie. Cela est valable pour le brut. Or depuis l'arrêt de la Samir, le Maroc n'importe plus que du pétrole raffiné. Et c'est le cours du «Platts», celui des produits finis, qui détermine la tendance du marché. Selon Houcine El Yamani, secrétaire général du Syndicat national des industries du pétrole et du gaz, qui relève de la Confédération démocratique du travail (CDT), l'explication de cette augmentation du prix du gasoil est simple : le marché européen est un marché à dominante «gasoil» (contrairement au marché américain qui est un marché «essence»). Aujourd'hui, il y a une forte demande sur le gasoil de la part des pays européens qui anticipent une éventuelle mise en application des menaces d'embargo sur le pétrole et le gaz russes. «Et là, nous ne sommes encore qu'aux premières répercussions du conflit russo-ukrainien. Le pire vers lequel nous nous dirigeons est une pénurie», avertit M. El Yamani, ajoutant que «cela augure d'une situation extrêmement compliquée pour tous les pays qui n'ont pas de réserves ni les moyens financiers pour accompagner cette courbe des prix en progression constante». Mais outre la forte demande, la hausse du gasoil trouve son explication dans le processus de raffinage, à en croire un expert. Nécessitant l'utilisation du gaz, dont les cours ont flambé, le coût de revient de ce carburant s'en est trouvé impacté.
Comment faire face à cette situation dont les causes déterminantes échappent au gouvernement ?
«À notre niveau, nous estimons qu'il y a deux pistes de solution. La première est d'augmenter les stocks sur le sol marocain. Cela passe notamment par la réactivation de la raffinerie de la Samir. À cet égard, ce sont la souveraineté du Maroc et l'intérêt général qui priment la judiciarisation en cours du dossier de cette raffinerie», affirme M. El Yamani. La seconde action, et de l’avis toujours de M. El Yamani, consiste à définir clairement les responsabilités des opérateurs de distribution en matière de stockage. Aujourd'hui, et à ce niveau, il y a une zone grise qu'il faut déblayer. «L'État donne des subventions, mais il n'y a pas de stock en contrepartie». Pour la deuxième piste, le SG du Syndicat national des industries du pétrole et du gaz souligne que l'État doit intervenir pour réglementer les prix. À cet effet, il rappelle que l'article 2 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence confère au Chef du gouvernement le pouvoir de réintroduire les carburants dans la liste des produits à prix réglementés. «Cette mesure bénéficiera à tous les consommateurs, qu'ils soient professionnels ou particuliers», estime M. El Yamani, expliquant que «le gouvernement peut établir une nouvelle formule de prix, calculée sur la base des prix à l'international, des coûts de transport et d'arrivée au Maroc, de taxes pensées dans le sens d’une réduction du prix final, d’une marge raisonnable pour les opérateurs, et chercher un moyen pour financer la compensation des prix».
À la question de savoir pourquoi les prix des carburants ont augmenté plus d'une fois cette dernière quinzaine, alors que les prix étaient actualisés chaque 15 jours, M. El Yamani répond qu'il s'agit d'une pratique anticoncurrentielle qui a persisté, malgré la libéralisation des prix des carburants. «Les prix étaient actualisés tous les 1er et 16 de chaque mois. Mais même après la libéralisation des prix, cette pratique a perduré, alors que la concurrence veut que chaque opérateur définisse ses propres prix». Une autre pratique anticoncurrentielle qui se poursuit encore aujourd'hui est que les opérateurs procéderaient toujours à des achats groupés et cette pratique est interdite par la loi.
«Avec ces prix, l'aide aux professionnels de la route se vide de tout sens»
«Avec ces niveaux atteints aujourd'hui par les prix du gasoil, le soutien du gouvernement aux professionnels de la route perd tout son sens. Celui-ci était calculé sur la base de 11 dirhams par litre, mais aujourd'hui, le prix dépasse les 14 dirhams», nous indique le secrétaire général de l'Union syndicale du transport routier, affiliée à l'Union marocaine du travail, Aziz Daoudi. «Nous avons appelé dès le début à un plafonnement des prix des carburants et à la réactivation de la raffinerie de Samir. Le Maroc peut compter sur ses solides alliances avec les pays exportateurs de pétrole brut, comme l'Arabie saoudite, pour s'approvisionner en pétrole brut à des prix intéressants et le raffiner ensuite sur le sol marocain», souligne le syndicaliste. «Mais aujourd'hui et avec la guerre en Ukraine, cette flambée des prix des carburants est vouée à durer et les mesures d'aide ne sont pas en mesure de limiter cette envolée des prix dans des proportions suffisantes, surtout si l'on sait que ces aides sont, de surcroît, limitées dans le temps, comme l'avait précisé le porte-parole du gouvernement», dit M. Daoudi. Et le syndicaliste de déplorer que même la plateforme mise en place par le gouvernement pour recevoir les demandes d'aide est à peine opérationnelle en raison du volume de trafic dont elle fait l'objet. À cela, poursuit M. Daoudi, vient s'ajouter le fait que de nombreux professionnels n’ont pas pu s’inscrire pour plusieurs raisons, comme ceux qui possèdent des véhicules avec des plaques d'immatriculation en «WW» ou ceux qui ont une carte grise au nom d'une autre personne, comme c'est le cas pour les chauffeurs de taxi, par exemple.