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Réforme des études en médecine : la lecture de Jâafar Heikel

La réforme du système de santé national ne peut aboutir sans s'attaquer au déficit criant de personnel soignant dont souffre le service public. L'augmentation du nombre de blouses blanches est la priorité absolue, surtout en ce qui concerne les médecins dont le cursus de formation s'étale aujourd’hui sur sept ans et que le ministère de l'Enseignement supérieur a jugé bon de réduire à six ans. Pour le professeur de médecine et docteur en économie de la santé Jâafar Heikel, cette décision ne pose pas de problème car l’enjeu est ailleurs.

Réforme des études en médecine : la lecture de Jâafar Heikel

Élargir la base des nouveaux inscrits dans les Facultés de médecine et réduire d'un an la durée des études sont les deux tableaux sur lesquels le ministère de l'Enseignement supérieur entend agir pour pallier l’énorme déficit en médecins. En effet, au Maroc, le personnel de santé se limite actuellement à 17,4 professionnels pour 10.000 habitants, alors que le seuil critique défini par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 23 pour 10.000 habitants. Par ailleurs, le nouveau modèle de développement prévoit de faire passer ce chiffre à 45 professionnels de la santé pour 10.000 habitants d'ici 2035. Pour résorber ce déficit en termes d'effectifs de médecins, estimé actuellement à 32.000, le ministère de l'Enseignement supérieur entend tripler le nombre de diplômés en médecine et raccourcir d'un an leur cursus.

Cette dernière mesure a semé la confusion dans les esprits, affirme Pr Heikel. «Partout dans le monde, lorsque nous parlons de la réduction des études de médecine, nous parlons de la réduction de la durée académique et non pas de la durée pour devenir docteur en médecine», dit le professeur de médecine. «Où que ce soit dans le monde, en Europe, aux États-Unis ou au Canada, les études académiques, c'est-à-dire le nombre d'années d'études à l'université, se font en six ans. Avant, nous étions comme les Français, cela durait sept ans, et maintenant on veut descendre à six ans. Je ne vois pas d’inconvénient à cela. Cela me semble logique. Mais attention à ne pas confondre six ans d'études universitaires avec six ans pour devenir docteur en médecine», souligne Pr Heikel. «Pour devenir docteur en médecine, il faut faire six ans d'études académiques, plus deux à trois ans de stage pour devenir médecin généraliste (ce que l'on appelle dans certains pays médecin de famille, dont le Maroc a besoin aujourd'hui).

Donc, au bout de six ans, on va former des médecins, mais pas des docteurs en médecine», fait-il remarquer. «D’ailleurs, le doctorat au Maroc dans le système LMD (licence, master, doctorat) c’est bac+8, il faut donc rester logique et cohérent», rappelle Pr Heikel, ajoutant que même en réduisant les années d’études académiques de la médecine à six, l’obtention du doctorat en médecine nécessitera 2 à 3 années supplémentaires de stage pratique en milieu hospitalier. Et le professeur Heikel de préciser que la moyenne pour l'obtention du doctorat en médecine au Maroc est aujourd'hui de 8,2 ans. Et même en réduisant le cursus à 6 ans, on va continuer à tourner autour de cette moyenne, car les étudiants mettent plusieurs mois pour soutenir leur doctorat (cela peut aller jusqu’à 24 mois).

L’enjeu est d'élargir la base des étudiants en médecine

Pour répondre aux besoins en médecins, le pari consisterait à donner aux bacheliers marocains un plus grand accès aux études de médecine. Au lieu d'exiger une moyenne de 16 ou 17 au baccalauréat pour être admis aux concours, on peut se contenter d’une moyenne de 12 ou 14, accompagnée de tests psychotechniques, d'entretiens ou encore de la présentation d'un CV. C’est ce que pense Pr Heikel pour qui «ce n'est pas seulement la note au baccalauréat qui doit compter, mais également l'expérience personnelle du candidat (est-il membre d'une association, participe-t-il à la vie civile, aide-t-il les gens, a-t-il travaillé dans des orphelinats ?)». «C'est un ensemble d'éléments qui doivent être pris en compte en plus de la moyenne pour laisser les bacheliers accéder aux études de médecine. Plusieurs techniques sont mises en œuvre dans le monde et je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas capables de le faire», indique le professeur de médecine. Et d’ajouter : «Nombreuses sont les constatations qui prouvent que ce n'est pas parce qu'un candidat a une moyenne de 18 au baccalauréat qu'il sera un bon médecin. Il y a des gens qui ont eu 18 au bac et qui ne seront pas meilleurs médecins que ceux qui en ont eu 13 ou 14. Et donc, c'est ce genre de réflexion que nous devons avoir. Nous devons également tenir compte des régions où nous avons besoin de médecins, des types de spécialités… Et à partir de là, permettre à un plus grand nombre de Marocains d'accéder aux études de médecine, faciliter la mobilité des médecins marocains entre les régions, et si nous devons compléter encore le tableau, voir quels partenariats nous pouvons avoir avec des pays pour recruter des médecins étrangers dans les domaines et les spécialités qui en ont besoin».

La réforme du système de santé ne peut aboutir sans implication du secteur privé dans la formation des médecins

«Pour élargir la base des étudiants en médecine, il faut permettre au secteur privé comme au secteur public d'assurer leur formation en respectant un cahier des charges. Pour les lieux de formation, on sait bien aujourd'hui qu'ils sont en nombre insuffisant dans le secteur public», affirme Pr Heikel. «Il faut autoriser les établissements privés à accueillir les étudiants en médecine en stage dans le cadre d'un partenariat public-privé (avec un cahier des charges, des balises, des garde-fous et des canevas). Nous devons également accompagner et soutenir les personnes qui veulent ouvrir des Facultés de médecine, de pharmacie, ou des instituts privés de sciences infirmières. C'est ce qu'il convient d’entreprendre au cours des 10 ou 15 prochaines années», dit le professeur de médecine. De plus, pour élargir cette base d'étudiants, il faut également trouver des enseignants en plus grand nombre. «Nous avons des centaines de professeurs de médecine dans le secteur privé qui peuvent être mobilisés pour enseigner et encadrer ces étudiants», affirme le professeur. «Les idées sont nombreuses, et j'ai l'impression qu'il n'y a pas assez de concertation avec le secteur privé et avec les personnes qui ont une expérience dans ce domaine. Bien sûr, c'est au gouvernement de décider, mais la concertation est toujours utile et importante, et une mission de service public peut aussi être assurée par le secteur privé, sous réserve bien sûr d'un cahier des charges», conclut Pr Heikel.

 

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