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Guerre en Ukraine : impact certain sur l'économie marocaine

L'offensive militaire russe en Ukraine fait chanceler une économie mondiale déjà malmenée par la pandémie de la Covid-19 et qui peine aujourd'hui à s'en remettre. Pour le Maroc, c'est surtout la facture énergétique indexée sur le prix du baril de pétrole qui se verra alourdie. En effet, le prix de celui-ci a dépassé la barre des 100 dollars et risque même de continuer à augmenter pour atteindre 120 dollars, voire plus au cours de cette année. Une autre facture est aussi vouée à être plus salée : celle relative aux importations de blé. Russie et Ukraine font partie en effet du top 5 mondial des exportateurs de cette denrée indispensable aux Marocains.

Guerre en Ukraine : impact certain sur l'économie marocaine

La situation en Ukraine a de toute évidence de fortes résonances au Maroc. Il y a avant tout l'aspect humain lié à l'importante communauté d'étudiants marocains qui n'ont pas pu quitter l'Ukraine avant le début de la guerre et qui se trouvent actuellement face à une situation dramatique après la fermeture de l'espace aérien. Une situation que l'on espère voir se dénouer rapidement, grâce aux efforts de la diplomatie marocaine pour assurer leur sortie d'Ukraine par voie terrestre sans déplorer aucune victime dans un premier temps. Il importe ensuite aux autorités marocaines, en particulier le ministère de l’Enseignement supérieur et le ministère des Affaires étrangères, d’intervenir auprès des universités ukrainiennes pour qu'ils puissent poursuivre leurs études et obtenir leurs diplômes, surtout pour ceux qui sont en dernière année. Sur le plan économique, cette crise se répercutera inévitablement sur l'économie marocaine.

Tout d'abord, il y a le prix du pétrole qui, déjà à 100 dollars le baril, pèse lourdement sur le coût de la vie en tirant vers le haut pratiquement les prix de tous les produits. Mais maintenant qu'il a franchi la barre des 100 dollars et devrait encore monter, ces répercussions se feront beaucoup plus sentir, surtout sur les prix des carburants. La hausse des prix à la pompe, notamment celui du gasoil, a acculé les professionnels de la route à brandir la menace de la répercuter sur leurs clients. L'annonce récente d'une augmentation de 20% des tarifs de leurs prestations a suscité de vives réactions, notamment de la part des citoyens, ce qui a fait reculer l’Association qui en était à l’origine. Vendredi dernier, et à l'issue du premier cycle de dialogue social, le gouvernement a annoncé la mise en place, dans les prochains jours, de mesures concrètes visant à préserver le pouvoir d'achat du citoyen par le biais de subventions directes à plusieurs secteurs sociaux productifs et produits de consommation. Ces subventions, auxquelles s'ajoutent les 10 milliards de dirhams mobilisés dans le cadre du plan d'urgence pour lutter contre les effets de la sécheresse, auront un impact direct sur les finances publiques. Comment alors le gouvernement Akhannouch entend-il rassembler les ressources nécessaires pour pallier cette conjoncture ? Pour l’économiste, Mehdi El Fakir, « Il n'y a pas de solution miracle. Le gouvernement n'aura de choix que de recourir à l'endettement et aux coupes budgétaires». Mais là n'est pas le problème, ajoute M. El Fakir, «c'est la gestion du coût exorbitant de la dette qui fait problème», souligne-t-il.

De l'avis de l'économiste, cette guerre en Ukraine est à double tranchant : d'abord, elle fait grimper les cours du pétrole, du gaz et des céréales (que le Maroc importe en quantité variable en fonction des récoltes, notamment le blé tendre). Ensuite, cette guerre prive les exportations marocaines de deux marchés, bien qu'ils ne soient pas de première importance. Voilà donc une réalité qui ne fait que compromettre le tableau économique. Les importations marocaines de pétrole, de gaz et de blé, si elles ne posent pas de réel problème en termes d'approvisionnement, grâce à la diversification des partenaires commerciaux du Royaume, pèseront lourdement sur la balance des paiements. Voilà pourquoi Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait appelé, dans un discours à l’occasion de l’ouverture de la première session de la première année législative de la 11e législature, à la création d'un dispositif national intégré ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires, sanitaires et énergétiques et à la mise à jour continue des besoins nationaux en la matière. Un dispositif qui aura pour vocation de consolider la sécurité stratégique du Maroc, comme souligné par le Souverain.

Le Royaume entreprend également depuis des années de réduire sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles en consacrant d'importants investissements aux énergies renouvelables. Cet investissement commence à porter ses fruits puisqu'il permettra de porter à 52% la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique national d'ici 2030. D'autre part, et du point de vue des opportunités, cette guerre en Ukraine peut libérer d'importantes parts de marché pour l'OCP si des sanctions venaient à cibler le géant russe et grand concurrent du groupe marocain : «PhosAgro». Ce groupe est en effet en rude concurrence avec le Groupe marocain depuis des années, notamment sur le marché européen.

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Entretien avec Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue
«La guerre va impacter au moins deux grands chapitres des relations commerciales avec la Russie et l’Ukraine : les céréales et le gaz»

L’opération militaire russe en Ukraine peut-elle impacter économiquement le Maroc ? Rien n’est plus sûr. Du coup, les questions que tout le monde se pose consistent à savoir comment, quels secteurs seront les plus impactés et quelle marge de manœuvre possède le gouvernement pour atténuer l’impact de crise géostratégique transformée en conflit armé. Dans cet entretien accordé au «Matin», Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue, analyse, chiffres à l’appui, les répercussions de cette guerre sur l’économie marocaine.

Le Matin : Quelles pourraient être les conséquences de la guerre en Ukraine sur l'économie marocaine ? Et quels sont les secteurs qui seraient le plus exposés ?

Mustapha Sehimi : À s'en tenir au discours officiel, aucune inquiétude ! C'est ce qu'a déclaré, jeudi dernier, à l'issue du Conseil de gouvernement, le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole de l’Exécutif : ce conflit, a-t-il précisé, n'aura pas d'impact sur l'approvisionnement du marché marocain et la fourniture des données nécessaires. Il a ajouté que, dans ce contexte, le gouvernement avait pris l’initiative, durant les mois de janvier et de février, d'importer des quantités importantes de blé. De quel contexte s'agit-il précisément ? Ce ne peut être que la mauvaise pluviométrie à la fin du dernier trimestre 2021, le conflit Kiev-Moscou étant alors à un stade de basse intensité, sans la dimension guerrière qu'il a prise cette semaine. L'impact va concerner au moins deux grands chapitres des relations commerciales entre Rabat et chacun des deux pays : les céréales et le gaz.
Pour les céréales, cela représente 21% des achats, le troisième rang derrière la France (31% avec 4.230 millions de DH) et le Canada (26%). En termes globaux, les échanges des biens et services en 2020 ont été de l'ordre de 440 millions de dollars. Pour ce qui est de l'Ukraine c’est le cinquième vendeur de céréales au Maroc.

Le stock stratégique de céréales est formellement défini par la loi 09-71 sur le stockage de sécurité et il couvre une période de 60 jours. Le porte-parole du gouvernement a fait référence à quatre mois. Durant la période 2014 -2020, la production locale n'a pu couvrir en moyenne que 54% des besoins (blé, maïs, orge). Si bien que les importations pour couvrir les besoins sont de l'ordre de 3 millions de tonnes, soit 30 millions de quintaux de blé tendre pour l'essentiel. Ce qui va peser sur le Maroc – ainsi que sur de nombreux pays du continent et d'ailleurs –, c'est le renchérissement des prix du blé. Le 24 février, sur Euronext, le prix de la tonne de blé meunier s'est envolé à hauteur de 3.444 euros, une hausse de 12% en moins de 24 heures. Voilà qui nourrit déjà le spectre de l'inflation. Conscient de cette situation, le gouvernement a décidé de maintenir le prix de la miche de pain à 1,20 DH, sans accompagner cette mesure pour l'instant d'aide et de soutien aux minoteries et aux boulangeries. Une charge budgétaire mensuelle de 600 millions de DH...

L’impact de ce conflit intéresse aussi le pétrole et le gaz avec un envol des cours. Le baril de pétrole est ainsi monté à 100 dollars et le gaz a augmenté de 50%. Une situation ne pouvant que générer des retombées négatives sur des économies importatrices des énergies fossiles et des matières premières – c'est le cas du Maroc. Avec cette conséquence d'imputation sur les réserves de change actuelles qui sont confortables avec 331 milliards de DH, soit l'équivalent de plus de 7 mois d'importations de biens et services – après le tirage, le 23 août dernier, des DTS (droits de tirage spéciaux) du FMI de 1,2 milliard de dollars, calculés sur la base de sa quote-part de membre de cette institution internationale.

Si la guerre dure dans le temps, la marine marchande peut-elle être impactée au Maroc et dans le monde ?

«C'est un vrai capharnaüm dans le transport maritime conteneurisé. Ce secteur est un maillon fondamental de la chaine d’approvisionnement. Il connaît de profonds bouleversements dans son fonctionnement avec des effets sur tous les pans de l'économie. Il y a depuis deux ans les répercussions de la pandémie Covid-19. S'y ajoute depuis cette semaine le conflit Ukraine-Russie. Les taux de fret maritime ont bondi pour atteindre des niveaux historiques. Les tarifs de la Chine vers l'Afrique, l'Europe ou les États-Unis ont ainsi augmenté de plus de 500% !
Avant la pandémie, il y avait un système tarifaire en place reposant sur des fondamentaux aujourd'hui dérégulés. Ce système a conduit en 2020, 2021 et sûrement en 2022 à des tensions entre compagnies maritimes et chargeurs. Celles-ci sont dénoncées par suite des abus de leur tarification. S'y ajoute le manque ou le retard dans la fourniture de conteneurs vides sur les lieux de demande. Un facteur qui devient une composante structurelle du problème de rallongement des délais d'acheminement sur la partie amont de la chaine. L'on a eu droit à des embouteillages jamais vus au large des côtes de plusieurs ports dans le monde – une véritable congestion. Ce phénomène est également accentué par des capacités terrestres réduites : pénurie mondiale de chauffeurs routiers, de carburant aussi. La conséquence de ce désordre, c'est l'inflation sur le reste des marchandises. Une augmentation générale du prix des matières premières s'installe et s'accentue même : carburant, électricité, blé, farine, etc.

Comment cette situation pourraient-elle impacter le fret maritime au Maroc ?

Au Maroc, les opérateurs économiques sont plongés dans une situation très difficile, comme d'ailleurs dans tous les pays. Il y a un besoin de conteneurs et de bateaux. Avant la pandémie, le tarif du fret maritime Chine-Maroc pour un conteneur (40 pieds) était de l'ordre de 50.000 DH. Aujourd'hui, les opérateurs doivent payer quatre fois plus, soit 200.000 DH au moins par conteneur. Le fret maritime international est entre les mains des trois alliances (2M, Ocean Alliance et The Alliance) qui exploitent 95% de la capacité totale des navires et contrôlent 80% des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Les tarifs devaient rester bloqués durant six mois, jusqu'à la fin mars 2022. Mais avec le conflit Ukraine-Russie, tout est remis en cause…

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