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L’après-Covid-19 : quelle diplomatie de la santé ?

En se positionnant sur la carte mondiale des vaccins, les États cherchent à améliorer leur image, asseoir leur suprématie économique et, surtout, renforcer leur influence et leadership. La diplomatie du vaccin se place ainsi au cœur de la lutte d'influence géopolitique où chaque pays producteur avance ses pions, quitte à raviver les tensions avec ses concurrents.

L’après-Covid-19 : quelle diplomatie de la santé ?
Pr. Raja Aghzadi

Par la professeure Raja Aghzadi *

Avec la Covid-19, le monde a été surpris par une crise sanitaire inouïe. Cet ennemi invisible a frappé par sa fulgurance, son ampleur et ses implications. Ce virus a mis à genou la terre entière et nous tient en haleine tant par son imprévisible évolution que par son impact.

Le début de la fin de la pandémie ?

Tout en se gardant de verser dans l’excès d’optimiste, on est certainement sur le chemin de la fin, car il semble que le virus se fatigue, se domestique. Mais il faut rester prudent, en respectant les gestes barrières, car le virus est traître : on ne peut prédire comment il peut muter et resurgir. On avance en tâtonnant, en apprenant à chaque vague de cette pandémie. On est sur une vague d’infection, plutôt que de réanimation et c’est plutôt rassurant.
Cela fait deux ans que la Covid-19 rythme, dérègle et perturbe la vie courante. Elle met sous pression les hôpitaux, chamboule les relations en société, cause la faillite des commerces, étouffe l’économie, paralyse le tourisme et complique les déplacements des gens. Deux ans de privation, de contrainte, de yoyo émotionnel, de perturbation mentale, de perturbation scolaire, perturbation des liens sociaux, de violence conjugale et domestique. Durant tout ce temps, le personnel soignant est mis à rude épreuve. Hommage à son engagement et à son dévouement.

L’impact de la pandémie sur l’environnement sanitaire est grand, entre ce qui est visible (décès, admissions en réanimation, Covid long et séquelles dont on ne connaît pas tout) et ce qui est moins visible (les retards thérapeutiques pour les maladies chroniques, les malades déprogrammés avec perte de chance de guérison). Et pour cause, des professionnels de santé occupés à traiter la Covid ou eux-mêmes malades. Sans omettre l’impact sur la santé émotionnelle et psychologique. Pendant ce temps, les scientifiques cherchent et se cherchent, et les politiques peinent à trouver une solution adéquate, car il n’est pas évident de faire de la science loin de la pression politique.
Or réfléchir dans l’urgence est un exercice difficile, par manque de données, de temps et de recul nécessaires pour analyser les enjeux géopolitiques de la crise. En tout état de cause, s’il y a un avantage à cette épidémie, c’est bien de mettre la santé au-devant de la scène. Il y a une prise de conscience mondiale, pour réfléchir la santé dans sa globalité, sans égoïsme ni concurrence.

La moitié de la terre est vaccinée

Aujourd’hui, Omicron s’emballe, il est plus contagieux et atteint les enfants, certes, mais en revanche il est moins dangereux, et moins létal. Si les vaccins ont été fabriqués dans un temps record, on en distingue différents types et sans eux, nous n'aurions aucune maîtrise de la durée de la pandémie. Plus de la moitié de la terre est vaccinée avec 9,37 milliards de doses administrées. C’est le fait de le rendre le vaccin obligatoire ou d’instaurer le passeport vaccinal, parfois sujet à discussion, qui est contesté par les mouvements antivax…
Le vaccin n’est pas magique, on ne l’a pas assez dit dès le début. On a présenté le vaccin comme le produit miracle qui va sauver la terre de la Covid. Il ne contrôle pas l’épidémie, mais il y a moins de morts, moins de gens en réanimation, incontestablement. Ça peut être un débat de société, entre ceux qui prônent le droit au libre choix, et ceux qui préconisent l’obligation de se protéger et protéger les autres. Le mouvement des antivax pourrait s’atténuer par une communication plus transparente. L’essentiel est de ne pas basculer dans la haine, dans l’idéologie, les connaissances changent et évoluent dans le temps.
Force est de constater que les pays riches ont eu le taux de mortalité le plus élevé (3%), surtout dans les EHPAD, où la population est âgée, fragile, isolée, vulnérable psychologiquement et en termes d’immunité. Les pays les moins riches quant à eux ont eu un taux de mortalité de l’ordre de 0,2%. Est-ce une question de population plus jeune, d’immunité, ou de génétique ? Certainement tout cela.

Le Maroc, champion dans la gestion de la pandémie

Le Maroc a été champion dans la gestion de la pandémie et au moins deux faits marquants le prouvent :
1. L’image du 28 janvier de Sa Majesté le Roi donnant le lancement de la campagne. Ainsi, le Royaume a été parmi les premiers pays à avoir acquis le vaccin, gratuit pour tous, y compris les étrangers. Par conséquent, l’adhésion, l’engouement, l’enthousiasme et l’espoir étaient au rendez-vous. Avec une organisation parfaite et un engagement sans faille du corps soignant, l’opération a été un exemple de réussite au niveau continental et bien au-delà. Plus de 27 millions de Marocains ont reçu la première dose, alors que la troisième dose dépasse seulement 4 millions. Certainement à cause du climat de défiance qui s’installe, d’où la nécessité de trouver une autre approche pour la relance.
2. Fabrication des vaccins : deux dates à retenir. La signature le 5 juillet 2021 d’un accord avec Sinopharm pour que le Maroc puisse fabriquer des vaccins anti-Covid et devenir un hub biotechnologique. Et le lancement le 28 janvier 2022 des travaux de réalisation d’une usine de fabrication de vaccins anti-Covid-19 et d'autres vaccins, un projet structurant qui, à terme, contribuera à assurer la souveraineté vaccinale du Royaume et du continent africain dans son ensemble.
De ce fait, trois scénarios possibles de l’évolution de la pandémie sont envisageables. L’issue dépendra du combat entre l’immunité collective et la capacité du virus à la contourner. On peut être dans le :
• Rêve : virus éradiqué dans le monde (comme pour la polio) avec une immunité longue et des campagnes de vaccination actives et globales.
• Cauchemar : Les variants et les nouvelles souches peuvent contourner l’immunité, ce sera alors la course continuelle aux nouveaux vaccins.
• Entre les deux : le virus circulera sous forme endémique.
Sachant que la carte mondiale de vaccination correspond à la carte de la pauvreté : là où il y a le plus de pauvres, il y aura le moins de vaccinés. Et c’est parce que ce réservoir persistera que le virus continuera à circuler, condamnant le monde à réfléchir à une équité sanitaire et moins d’égoïsme.

Oserons-nous le changement qui s’impose ?

D’un côté le vaccin est dit un bien commun de l’humanité. Mais finalement, ça ne se passe pas ainsi. Dans les relations internationales, l’égoïsme est de mise. On assiste donc à une compétition acharnée sur le marché mondial des vaccins. D’autant qu’il s’agit de la plus vaste campagne de vaccination de l’histoire (les dépenses globales peuvent atteindre 157 milliards de dollars en 2025). Une véritable manne financière est en jeu. Du coup, la santé devient un enjeu politique et géostratégique.
Quatre laboratoires pharmaceutiques se partageaient le marché mondial des vaccins : Pfizer +Merck (États-Unis), GSK (Angleterre), Sanofi (France). Mais La Covid a permis l’émergence d’autres laboratoires : Spoutnik (Russie), Moderna (États-Unis) ; AstraZenica (Angleterre), Sinopharm (Chine). Seul Pfizer a pu percer.
En se positionnant sur la carte mondiale des vaccins, les pays entendent améliorer leur image à l’international, asseoir leur suprématie économique et, surtout, renforcer leur influence et leur leadership. La diplomatie du vaccin se place ainsi au cœur de la lutte des influences géopolitiques où chaque État producteur avance ses pions, quitte à raviver les tensions à l’international. Cette rivalité risque de s’accentuer, tant que la distribution des vaccins n’est pas équitable et que le mécanisme onusien Covax peine à atteindre ses objectifs.
Lancé il y a un an, ce mécanisme a permis la distribution d’un milliard de doses. Mais avec une meilleure orchestration et une plus grande solidarité entre les États, l’impact aurait été plus fort et plus pertinent au niveau sanitaire, économique, mais aussi humain.
Le rôle de la diplomatie de la santé est de nouveau d’actualité, sauf qu’aujourd’hui, avec la crise Covid, il y a effervescence et accélération de l’histoire. Du temps de la peste, la quarantaine, coûteuse pour le commerce, a poussé aux premières conférences pour la santé globale. Lors de la guerre froide, les deux rivaux s’engagent dans la santé internationale, qui devient ainsi un outil au service de leurs positions idéologiques. Cuba a spécialisé sa diplomatie dans la santé depuis 1959 et la met en priorité gratuite pour tous pour accroître son influence idéologique.
L’apparition du VIH dans les années 1980 a fait un ravage dans le monde. Une fois de plus, la santé est devenue un enjeu majeur sur le plan sécuritaire, économique et militaire, inquiète les Américains et poussant à la création d’ONU-Sida.

Renforcer la diplomatie sanitaire

À l’avenir, la diplomatie sanitaire devrait donc prendre plus d’importance pour rétablir un équilibre entre l’humain, son environnement et l’économie. Les changements climatiques provoqueront des crises à répétition. On devra apprendre à vivre avec, avec résilience et agilité, avec des politiques publiques orientées vers une économie de vie. Il faut aussi renforcer les missions de protections des populations, en régulant les flux migratoires, et en aidant les personnes bloquées aux quatre coins du monde.
Il faut également anticiper les négociations sur les médicaments, les dispositifs médicaux, les vaccins et autres et être partie prenante dans les répartitions et les délocalisations. De même s’impose une refonte des systèmes de santé pour aller de l’urgence Covid à la souveraineté. Cette refonte repose principalement sur :
1. Des ressources humaines fortes, suffisantes et bien réparties et adaptées aux nouvelles technologies.
2. Une couverture sanitaire universelle, un chantier lancé par Sa Majesté le Roi.
3. Une bonne gouvernance moderne mettant le citoyen au centre des préoccupations.
4. Une politique de prévention intersectorielle avec une vision holistique.
5. Et une recherche forte et orientée pour une industrie pharmaceutique autonome et autosuffisante.
Si le droit à la santé est un fondement essentiel de la dignité humaine, on doit retenir que ce virus circulera toujours, sans frontières. Et les politiques publiques devront s’orienter plus vers la sécurité de l’humain et la promotion de l’économie de vie. Par ailleurs, on ne peut pas assister en spectateur à ce jeu d’influence, dépourvu de moyens et de capacités. Au contraire, on doit se protéger des effets collatéraux et être un sujet et non un objet dans l’échiquier mondial. Il y a nécessité d’un consensus sur la gestion des questions mondiales sanitaires étroitement liées aux questions environnementales. Le «global health» s’impose plus que jamais.

* Chirurgienne praticienne, spécialisée dans les cancers du sein, ex-membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement.

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