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Sahara : les intérêts de Madrid l’emportent sur les calculs des partis de l’opposition

En Espagne, des partis politiques aux penchants populistes demandent la comparution de M. Pedro Sanchez devant le Parlement pour s’expliquer sur la nouvelle position affichée par Madrid au sujet du Sahara marocain. Une intervention prévue pour le 30 de ce mois, selon la presse espagnole, mais qui sera aussi axée sur la grogne populaire qui monte, notamment face à la flambée des prix de l’énergie et des carburants. Pour le politologue Bilal Talidi, cette nouvelle position de Madrid a été approuvée par les élites espagnoles, soucieuses des intérêts suprêmes de ce pays et convaincues que certaines solutions à la crise que traverse actuellement l’Espagne se trouvent à Rabat.

Sahara : les intérêts de Madrid l’emportent sur les calculs des partis de l’opposition

Confrontés à une grave crise économique ayant entraîné la mise en place de mesures d’austérité, les pays de l’Europe du Sud ont vu l’émergence de formations politiques populistes depuis 2010. Espagne, Italie et Grèce ont connu un essor de partis qui se nourrissent du populisme et tirent profit des frustrations populaires envers les formations politiques classiques. Si en Grèce un parti comme Syriza, dirigé par Alexis Tsipras, est arrivé au pouvoir porté par de grandes espérances populaires, avant de faire machine arrière sur ses engagements et de subir une défaite fulgurante, en Espagne, des partis comme Vox ou Podemos restent minoritaires, mais comptent dans l’échiquier politique. Les deux poids lourds, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti populaire (PP) sont tenus de traiter avec ces partis aujourd’hui pour former leurs gouvernements. Mais ils sont aussi astreints à composer avec leurs penchants populistes, en fonction des discours que leurs bases désirent entendre, mais aussi en fonction d’une manne pétro-gazière d’une partie disposée à verser une rente à quiconque viendrait contrarier les intérêts du Maroc au niveau du voisin ibérique.

Après le changement de position de Madrid sur le dossier du Sahara marocain, ces partis minoritaires sont montés au créneau et demandent que le Chef du gouvernement se présente devant le Parlement pour donner des explications. Une session prévue dans le courant de cette semaine, mais qui devrait être plus marquée par la grogne croissante en raison de l’inflation et, en particulier, de la flambée des prix des carburants. Quant à la question du Sahara marocain, de l’avis du politologue Bilal Talidi, «ce ne sont pas seulement les politiciens espagnols qui ont à approuver cette nouvelle position de Madrid. Compte tenu de la situation internationale actuelle et des enjeux géostratégiques en cours, cette position a été dictée par les intérêts suprêmes de l’Espagne». Madrid, indique M. Talidi, a amorcé son virage en faveur de la cause nationale depuis le départ de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Arancha Gonzales Laya, en juillet dernier. Son successeur, José Manuel Albares, a entrepris des discussions aussi bien avec le Maroc qu’avec divers acteurs nationaux en vue de parvenir à des compromis depuis qu’il a pris les rênes de la diplomatie espagnole. «Cela explique pourquoi la nouvelle position de l’Espagne n’a été révélée que récemment», affirme le politologue. Pour M. Talidi, ce sont les retombées politiques, géostratégiques et commerciales de cette nouvelle page qui s’ouvre entre le Maroc et l’Espagne qui vont acculer ces formations minoritaires à apaiser leurs ardeurs. «Désormais, toute l’Europe, y compris l’Allemagne, avance dans cette direction favorable à la cause nationale. Qu’est-ce qui empêchera l’Espagne de suivre le mouvement ?» conclut le politologue. 

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 Mustapha Sehimi, politologue et professeur de droit

 «Madrid a fait montre d’une appréhension bien comprise des intérêts supérieurs de l’État espagnol»

Le Matin : Comment le revirement de la position de Madrid sur la question du Sahara marocain s'est-il répercuté sur la scène politique de ce pays ?
Mustapha Sehimi :
Le changement historique de l’Espagne à propos du Sahara marocain est une nouvelle donnée majeure. Après la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur ses provinces méridionales récupérées, le 10 décembre 2020, puis l’Allemagne voici quatre mois, c’est au tour de Madrid de réévaluer sa position traditionnelle. Le voisin ibérique affirme sa totale adhésion à des principes devant fonder l’avenir des relations bilatérales. Cette évolution n’a pas manqué d’avoir des conséquences dans ce pays. Rien d’étonnant : la question du Sahara marocain est aussi une composante de la vie politique espagnole. Pour plusieurs raisons, liées entre elles d’ailleurs : l’Espagne a été la puissance occupante jusqu’en 1975. À ce titre, elle a eu des responsabilités historiques, toute une mouvance, composite, allant de la droite ex-franquiste jusqu’à certaines formations de gauche, qui n’est pas favorable au Maroc et à sa cause nationale. Enfin, bien des connexions des acteurs, partisans ou associatifs de toutes obédiences «progressistes», avec le mouvement séparatiste ainsi qu’au plan interétatique avec l’Algérie.
En l’occurrence, comment se présentent aujourd’hui les positionnements des uns et des autres ? Responsable du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), le président du gouvernement, Perdo Sanchez, a adressé à Sa Majesté le Roi un message soutenant clairement l’initiative d’autonomie au Sahara marocain (présentée au Conseil de sécurité le 11 avril 2007) comme étant «la base la plus sérieuse, réaliste et crédible». Son ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, est attendu vendredi 1er avril à Rabat. Il est également prévu, dans cette même ligne, la prochaine visite de du Chef de l’Exécutif, Pedro Sanchez. Une forte tension, une crise même qui a duré pas moins de onze mois depuis avril dernier par suite de l’accueil du chef des séparatistes en Espagne dans des conditions connues. Mais n’est-ce pas le même Chef du gouvernement alors en responsabilité qui a créé pareille situation ? La page est tournée pour une nouvelle ère…

Comment se présente à présent la scène partisane espagnole ?
Qu’en est-il maintenant des autres composantes de l’échiquier politique ? Au sein de l’actuelle majorité formée du PSOE et de Unidas Podemos, bien des interrogations existent quant à la position de cet allié du parti socialiste. Il détient cinq postes dans un cabinet qui en compte 22. Une formule laborieusement mise sur pied à la suite des élections générales de novembre 2019. Ce parti de Unidas Podemos, à l’origine d’un mouvement des Indigènes, a été créé en 2015 marquant un bouleversement du système partisan illustré aussi par l’irruption d’une autre formation «Ciudadanos» (centre droit). Au scrutin législatif du Congrès des députés de décembre 2015, ils remportent respectivement 69 sièges (20,68%) et 40 (14%). Faute d’une majorité parlementaire, de nouvelles élections se déroulent le 26 juin 2016. Unidas Podemos se maintient avec 71 sièges tandis que Ciudadanos perd 8 sièges (n’obtenant que 32).
Le cabinet dirigé par Mariano Rajoy de décembre 2011 à juin 2018 est minoritaire, son parti (137 députés) s’allie avec Ciudadanos en bénéficiant de l’abstention des parlementaires du PSOE. Trois ans plus tard, ce cabinet est fortement fragilisé par le référendum en Catalogne organisé par le président indépendantiste Carles Puigdemont. Les élection de novembre 2019 confirment de nouveau le PSOE au premier rang, les bonds du parti populaire (droite) avec 88 sièges (+22), ainsi que du parti Vox, créé en 2013 par d'anciens membres du PP et actuellement dirigé par Santiago Abasacal, classé à l’extrême droite. Sa percée s’est faite en 2018 lors des élections régionales en Andalousie. Au plan national, il décroche 24 sièges (10,26%) au Congrès des députés, il améliore ses résultats sept mois après aux élections parlementaires anticipées de novembre 2019 avec 52 sièges (15%). Ce même scrutin marque le recul de Unidas Podemos (35, -5 sièges), et surtout l’effondrement de Ciudadanos qui n’obtient que 10 sièges (-47).
Des majorités fragilisées, une certaine instabilité nourrie et non surmontée par des élections anticipées répétées, un système partisan cabossé et heurté en lieu et place de celui, globalement binaire, d’une alternance entre le PSOE et le PP avec des alliés. Ce schéma traditionnel fonctionne encore, mais avec des majorités incertaines, effilochées, voire introuvables même avec des cabinets minoritaires, la majorité absolue au Congrès des députés étant de 176 sièges.

Dans quelle mesure la nouvelle position de Madrid peut-elle avoir un impact sur la majorité actuelle ?
Dans un avenir prévisible, quel impact éventuel peut avoir la nouvelle position de Madrid sur la question du Sahara marocain ? Au sein de la majorité, l’allié du PSOE de Pedro Sanchez qu’est Undias Podemos a réagi. Ainsi, une responsable de cette formation, Yolanda Diaz, deuxième vice-présidente du gouvernement, s’est fortement démarquée de la position du Chef de l’Exécutif. «La position de l’Espagne vis-à-vis de ce dossier doit émaner d’un dialogue national tout en tenant compte du droit à l’autodétermination, garanti par le droit international», a-t-elle déclaré deux jours après. Elle reprend la position de son parti réitérée par la secrétaire générale, Ione Belarra, ministre des droits sociaux et de l’Agenda 2030 depuis un an : «La résolution du conflit du Sahara occidental doit se faire sur la base d’une solution politique, juste, durable et acceptable par toutes les parties, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité qui consacrent le droit d’autodétermination que l’Espagne doit respecter». Dans cette même ligne, d’autres déclarations : celle du président du groupe «Si Podemos» au Parlement des Îles Canaries, Manu Marrero, qualifiant les déclaration du Chef de l’Exécutif espagnol de «scandaleuses», celle de Pablo Echenique Robba, président du groupe parlementaire «Unidas Podemos» au Congrès des députés, qui se démarque de la nouvelle position de Sanchez en qualifiant «la présence du Maroc au Sahara occidental» d’«occupation militaire en violation des droits humains de la population locale» et déplorant « la capitulation de Sanchez devant le chantage marocain», celle aussi de l’eurodéputé secrétaire aux affaires internationales de Podemos affirmant que la «seule solution» pour le conflit au Sahara est «l’application du droit international qui garantit aux Sahraouis la liberté de décider de leur destin».

À quelle niveau ces réactions vont-elles s'élever ?
Jusqu’où ira cette «fronde», pour l’instant verbale ? A-t-on affaire à des postures ou bien à leur prochaine traduction politique et parlementaire ira jusqu’à mettre en question la majorité actuelle ? Pablo Echenique a assuré le 21 mars que son parti «Podemos» ne quittera pas le gouvernement Sanchez. L’argumentaire invoqué à cet égard par cette formation est que «Podemos» se considère comme un «acteur clé et la seule garantie pour que ce cabinet continue les politiques progressistes et aussi pour revalider la majorité lors des prochaines élections et empêcher ainsi l'arrivée du gouvernement d’Alberto Nunez Feijoo (président du PP, successeur de Pablo Casado) et de Santiago Abasca, président du parti d’extrême droite «Vox» depuis 2014.
L’ex-président du Conseil, José-Maria Aznar, dirigeant du PP (1990-2004), puis président d’honneur jusqu’à la fin 2016, a estimé que la position de Sanchez était une «erreur historique» et qu’elle envoyait un «message de faiblesse au Maroc». Une qualification pratiquement reprise par Cuca Gamarra, coordinatrice générale de cette même formation depuis la fin février 2022, qui a ajouté que ce «revirement de position nuit à la position de l’Espagne à l’international». De son côté, la formation de Ciudadanos a appelé à «la comparution en toute urgence devant le Parlement du Président du gouvernement Sanchez et du ministre des Affaires étrangères Albares pour s’expliquer sur les motifs d’une telle position», la politique étrangère étant un «enjeu majeur».
Le parti de gauche «Mas Pais» (qui compte cinq parlementaires), dirigé par Inigo Errejon, ancien numéro deux de Podemos, a lui aussi critiqué Sanchez en appelant l’Espagne «à ne pas être en aucun cas une proie au chantage du Maroc». Une tonalité voisine est exprimée par le parti basque Euskal Herria Bildu, qui compte 12 parlementaires, 21 membres dans le Parlement basque et des élus dans les collectivités locales et régionales. Son porte-parole, Gorka Eligabarita, se retrouve également du côté de «Mas Madrid» («Plus de Madrid», créé au début de 2019 par la maire de Madrid Manuela Carmena), dont le président, Pablo Gomez Perpinya, a qualifié les déclarations de Sanchez de «violation flagrante du droit international et des résolution des Nations unies» lesquelles «nuisent gravement à la crédibilité de l’Espagne».

Une session intense attend M. Sanchez au Parlement dans le courant de cette semaine. À quoi faut-il s'attendre ?
Après le débat au Sénat, le mardi 22 mars, marqué par l’intervention du ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, c’est au tour du Président du gouvernement, Pedro Sanchez, de s’expliquer devant le Parlement, le mercredi 30 mars courant. Nul doute que cette séance sera animée, offrant une tribune officielle et institutionnelle plus nationale tant au Chef de l’Exécutif qu’à son allié «Podemos» et surtout aux partis d’opposition. Le gouvernement ne dispose que de 155 voix au sein du Congrès des députés, auxquels il faut ajouter une quinzaine d’autres en soutien, mais sans participation. Au Sénat, ils comptent 114, dont 113 socialistes, et 13 en soutien. L’opposition totalise 109 sièges. En appuyant désormais le Maroc sur la question nationale, Madrid a fait montre d’une appréhension bien comprise des intérêts supérieurs de l’État espagnol. Une position qui va contribuer à reformater sans doute des positions ambiguës, voire hostiles, encore agrippées à des slogans d’une ère révolue à teneur politicienne ou idéologique. Une normalisation tardive, appelée à se consolider par-delà l’écume des conjonctures et des ressorts de certains partis et réseaux multiformes…
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Nabil Driouch, écrivain et spécialiste des relations hispano-marocaines, auteur du livre «La vecindad cautelosa» (le voisinage prudent)

«Le débat finira par s’estomper et ne changera rien à la décision prise par le gouvernement espagnol»

Le Matin : Quelles sont les formations politiques espagnoles qui rechignent à cautionner la nouvelle position de Madrid au sujet du Sahara ?

Nabil Driouch : À travers les différentes interventions des partis politiques lors de la réunion de la Commission des affaires extérieures en présence de José Manuel Albares, il apparait clairement que les réactions des partis de l’opposition à cette décision ont été différenciées. Ainsi, la principale formation de l’opposition, le Parti populaire (PP), s’y est opposé du point de vue de la forme et non du fond. Pour lui, avant qu’elle ne soit prise, cette décision devait être discutée au Parlement et le Chef du gouvernement n’avait pas à agir seul. De même, le parti de l’extrême droite «Vox» s’est opposé à la décision dans une logique opportuniste, car la nouvelle ligne de conduite de Madrid le prive d’une carte dont il a toujours usé en présentant le Maroc comme un danger. En se prononçant contre, il voulait trouver grâce aux yeux de l’Institution militaire dont il défend les intérêts au sein du Parlement. S’agissant de Podemos, allié du PSOE au gouvernement, il a tenu à prendre ses distances, étant donné que son approche s’agissant de la question du Sahara est différente de celle du Parti socialiste. Les autres petites formations politiques qui ont affiché leur opposition à la décision de Madrid sont des partis nationalistes connus pour leur hostilité au Maroc et leur soutien au polisario. Mais ce débat est somme toute normal en Espagne, puisque la question du Sahara est une carte de la politique intérieure et fait souvent l’objet de débats houleux. Je pense que tout cela finira par s’estomper et ne changera rien à la décision prise par le gouvernement espagnol.
Pour quoi selon vous cette nouvelle position dérange ces partis au point de s’y opposer ouvertement ?

Les agendas des partis de l’opposition diffèrent. Le PP, même s’il est d’accord avec la décision dans le fond, son statut comme parti de l’opposition l’oblige à dénigrer les réalisations de son principal rival le PSOE. C’est pourquoi il a insisté en particulier sur des détails liés à la forme et à l’approche adoptée pour prendre cette décision en faveur du Maroc. Il en est de même pour Vox, à cette différence près qu’il tient à refléter l’insatisfaction de l’institution militaire, toujours nostalgique du passé colonial, d’une part, et, d’autre part, en raison de calculs tactiques visant à mettre la pression pour augmenter le budget des armées. Les autres formations comme Podemos et les partis nationalistes sont mus dans leurs démarches par des idéologies et des accointances avec le polisario, un mouvement séparatiste, certes, mais qui a su pendant des décennies se forger en Espagne une image idéalisée qui n’a rien à voir avec la réalité.
Quelle incidence pourrait avoir un changement de parti majoritaire au Parlement sur cette nouvelle ligne de conduite de Madrid ?
Globalement, il existe deux principaux partis en Espagne qui se relayent aux commandes : le PP et le PSOE. Ce dernier a pris la décision de prendre fait et cause pour l’approche marocaine visant le règlement de ce conflit régional. Et cette décision l’engage en cas de victoire lors des prochaines élections. Il en est de même pour le PP, car le gouvernement de Pedro Sanchez lui a offert un cadeau sur un plateau d’argent en lui permettant d’avoir des relations plus fluides avec le Maroc, d’en tirer des bénéfices économiques et d’avoir moins de frictions avec le Maroc sur fond de la question du Sahara. Donc le PP à mon sens est le principal gagnant de cette décision, bien qu'il ait montré une opposition sur la forme. S’agissant de «Vox», qui pourrait être un des soutiens du PP en cas de victoire de ce dernier, il accorde la priorité aux questions de l’immigration, de Sebta et Mellilia. Son opposition à Sanchez est plutôt de nature conjoncturelle.

A. Rmiche

 

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