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Mardi 07 Mai 2024
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L’éthique journalistique, l’autre victime de l’Affaire Rayan

L’affaire Rayan, le jeune garçon mort accidentellement après sa chute dans un puits abandonné, avait suscité de vives émotions sur le plan national et international. Largement médiatisée, l’opération de sauvetage qui avait été suivie en direct avait mis les médias, particulièrement ceux en ligne, à l’épreuve de la crédibilité et du professionnalisme. Fallait-il diffuser des informations sans vérification pour avoir la primeur ou procéder à du fact-checking, quitte à ne pas être parmi les premiers de la course aux scoops. Si certains pure-players sont restés professionnels dans leur approche, d’autres ont fait fi de toute éthique journalistique, en diffusant à tout-va des fake-news et des informations approximatives, voire inexactes. De quoi relancer le débat sur la question de la déontologie de la presse et surtout sur le statut de journaliste que n’importe qui peut s’arroger en toute impunité. Décryptage.

L’éthique journalistique, l’autre victime de l’Affaire Rayan

L’histoire du jeune Rayan mort après sa chute accidentelle dans un puits a suscité l’émoi de millions de personnes au Maroc et dans le monde. Et c’est grâce notamment aux réseaux sociaux que ce drame a été médiatisé. Le hashtag #sauvezrayan (en arabe) figurait la semaine dernière parmi les principales tendances de Twitter et faisait partie des sujets les plus commentés. L’opération de sauvetage, qui a duré plus de 4 jours, avait tenu en haleine des millions de Marocains et les différentes étapes de son déroulement avaient été largement suivies, donnant lieu à un élan de solidarité et de sympathie sans précédent.

L’affaire Rayan a montré ainsi à quel point les médias peuvent être un facteur fédérateur qui rapproche les peuples et qui unit les hommes, abstraction faite de leurs obédiences politiques ou religieuses. Seule ombre au tableau, la couverture médiatique de cette tragédie a connu des dérapages professionnels qui ont remis sur le tapis la question de l’éthique journalistique. De nombreux médias, majoritairement électroniques, dans leur course effrénée au scoop et à l’exclusivité, n’ont pas hésité à diffuser des fake news et des informations approximatives, voire inexactes, dans une logique sensationnaliste. Et malheureusement, ces détails ont été largement relayées sur les réseaux sociaux, suscitant ainsi confusion et émoi chez les citoyens assoiffés de connaître le sort de Rayan. «Nous avons eu droit à des informations décrivant en détail l’état de santé de l’enfant et les fractures dont il souffrait, alors qu’il se trouvait encore au fond du puits. Des images ont été diffusées montrant un petit garçon blessé comme étant Rayan, alors qu’il s’agissait d’un enfant syrien blessé dans d’autres circonstances. Tout était permis pour générer le maximum de clicks. C’était hallucinant», s’indigne le journaliste d’une chaîne internationale dépêché sur place. Face à la gravité de ces dérives, le Conseil national de la presse a dû réagir.

Lundi dernier, l’instance de régulation de la presse écrite et électronique a rendu public un communiqué sévère dénonçant les différentes infractions à la déontologie journalistique relevées lors de la couverture médiatique de l’opération de sauvetage. «L’affaire Rayan est un exemple des crises humanitaire pouvant constituer un vrai challenge pour la presse, particulièrement celle en ligne. Cette tragédie avait valeur de test pour cette presse qui devait prouver sa disposition à remplir sa mission sociale et respecter les valeurs professionnelles», nous confie Younes Moujahid, président du Conseil national de la presse. Abordant les mesures prises par le Conseil pour corriger ces dérapages, M. Moujahid a fait savoir qu’une équipe est à pied d’œuvre pour identifier et répertorier ces dépassements. Les cas identifiés seront ensuite transférés à la commission d’éthique pour qu'elle se prononce sur les mesures disciplinaires à engager. Il s’agirait d’une soixantaine de médias électroniques majoritairement natifs du web, a-t-il précisé. Questionné sur les moyens à mettre en œuvre pour mettre fin à ces dérives, le président du Conseil national de la presse a mis l’accent sur la responsabilité des entreprises de presse qui doivent ériger la question de l’éthique en priorité. En effet, à l’ère de la démocratisation de l’accès à l’information, on assiste de plus en plus à une prolifération des fake news et des informations sensationnelles, la responsabilité des instances représentatives de la presse (Fédération marocaine des médias, Fédération marocaine des éditeurs de journaux) dans l’encadrement des sites d’information, notamment les pure players. «La diffusion de fausses informations et la “rentabilisation” des tragédies ne datent pas d’aujourd’hui.

Le phénomène a fait son apparition avec l’avènement d’une nouvelle génération de sites électroniques cherchant à créer le buzz par tous les moyens afin de générer un flux de visites et rentabiliser leurs activités loin de tout respect de la déontologie. Généralement, les directeurs de ces sites ne disposent d’aucune formation journalistique et sont des “intrus” dans le métier. Par conséquent, ils n’ont aucune ligne éditoriale. Si le nouveau Code de la presse a permis d’atténuer ce phénomène, beaucoup d’efforts restent à faire», déclare Mohammed Laghrouss, directeur de publication du journal électronique arabophone «Al Ômk». Pour ce professionnel de la presse, les différentes fédérations représentatives de la presse devront jouer un rôle décisif dans la lutte contre ce phénomène à travers la dénonciation des dérapages et le refus de l’octroi de cartes d’adhésion aux réfractaires. Les entreprises de presse, quant à elles, doivent insister sur l’importance du fact-checking lors de la diffusion des informations afin que les titres respectueux de la déontologie soient reconnus à long terme comme des labels de fiabilité.
 

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