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Mehdi Alioua : «Supprimer la mobilité et arrêter le temps, en période de Covid-19, ont des impacts sur l’Homme et la société»

Après des mois de crise sanitaire, il est temps aux sociologues de se pencher sur les répercussions multiples qu’elle a eues, et continue d’avoir, sur les comportements des Hommes et des sociétés. Mehdi Alioua, sociologue et enseignant-chercheur à l’Université Internationale de Rabat, partage sa lecture de la situation et notamment de l’impact de la fermeture des frontières qui fait débat.

Mehdi Alioua : «Supprimer la mobilité et arrêter le temps, en période de Covid-19, ont des impacts sur l’Homme et la société»
Mehdi Alioua, sociologue et enseignant-chercheur à l’Université Internationale de Rabat.

La pandémie nous a donné l’occasion d’apprendre beaucoup de leçons, mais nous avons ce sentiment d’être prisonniers d’une réalité qui nous dépasse. «C’est un moment dans l’histoire qui va marquer des générations, que les scientifiques et les historiens étudieront dans les détails. Mais avant, c’est une histoire du temps présent qui a contraint les politiques à faire des choix pragmatiques en terme de gestion de la crise», explique l’invité de L’Info en Face. Il explique toutefois que pour les sociologues et les philosophes, une crise est avant tout un ensemble d’éléments qui sont mis à jour, que l’on ne voyait pas forcément auparavant dans une société embarquée dans une routine quotidienne, et qui donnent lieu à des analyses et études qui vont pour la plupart remettre en question des réalités et des évidences que l’on croyait acquises.

Mais la grande question pour Mehdi Alioua est notre capacité à tirer les bonnes leçons de cette crise. Au-delà de l’approche sociologique, la pandémie a dévoilé une certaine vulnérabilité à laquelle nous sommes tous confrontés et que nous avons des fois tenté d’ignorer. Cette crise nous a surtout appris que l’on ne peut pas vivre sans deuil et que l’on est appelé à faire attention aux vies qui nous entourent. Nous nous sommes rendu compte que nous sommes vulnérables et dépendants les uns des autres. On a tellement côtoyé la mort que nous nous préoccupons davantage de l'«après» et de ce que nous allons laisser comme héritage et impact pour la société. Ce sont là quelques leçons qui sont pour le sociologue un résultat direct de ce chamboulement imposé par la crise sanitaire. Autre constat majeur évoqué par le sociologue, mais qui implique des études profondes pour mieux le saisir, est celui relatif à la vision que le monde a aujourd’hui de la mort. Face à des bulletins quotidiens qui affichent des nombres inquiétants de décès, on a ce sentiment d’être très proches de la mort.

Cette vulnérabilité face à la mort, qui préoccupait auparavant une partie limitée de gens, est aujourd’hui générale sans distinction entre les pauvres et les riches, les grandes et les moins grands ou encore les personnes en bonne santé et celles qui sont faibles. Poursuivant sa lecture de sociologue des changements observés dans la société, M. Alioua évoque le mouvement des réseaux sociaux pour jeter la lumière sur les classes pauvres et mettre en avant les cas de populations démunies qui souffrent lourdement de la crise. Sur l’impact de restrictions liées à la mobilité et notamment la fermeture des frontières, le sociologue tient d’abord à noter que la logique voudrait que le Maroc rouvre le ciel puisque le variant Omicron est bel et bien installé. «Le Maroc n’est pas une île, nous ne sommes pas isolés du monde. Nous sommes connectés à un monde qui est, à son tour, connecté à nous», souligne l’invité de L’Info en Face qui de surcroît rappelle qu’économiquement parlant, nous avons des dépendances par rapport au reste du monde.

Pour le sociologue, plus un pays est ouvert sur le monde, plus il joue son rôle dans un monde globalisé suivant un rythme accéléré. «Penser que l’on peut arrêter le temps, c’est une approche philosophiquement très mauvaise et qui aura un impact certain sur une société qui était lancée dans la mondialisation», précise-t-il. Sans vouloir se positionner par rapport à la réouverture ou non des frontières, le sociologue admet que le choix pour les autorités dans cette conjoncture incertaine reste compliqué. Cependant, il estime que la gestion de la pandémie nécessite une certaine agilité qui va de pair avec la rapidité avec laquelle nos sociétés ont l’habitude d’avancer. «Nous sommes une société connectée dans laquelle les personnes dépendent de cette mobilité. Les Marocains ont l’habitude de se déplacer, en témoignent nos trajectoires sociales, notamment au niveau de la famille, qui se caractérise par une dispersion dans l’espace des Marocains. Cela a donné lieu à de nouvelles modes de vie et une création de la richesse», explique le sociologue. Et de poursuivre, «si on stoppe cette circulation, on bloque la capacité des Marocains à être mobiles et du coup, on les fragilise». «L’immobilité a un coût immense», résume l’invité de L’Info en Face.

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