La politique industrielle volontariste du Royaume a contribué au développement de ce qui est communément appelé les «Métiers mondiaux du Maroc» (MMM). Ceci est intervenu dans un contexte marqué par des évolutions et des ruptures technologiques majeures dans ces principaux métiers. Or deux principales questions se posent. Le Maroc, qui table dans sa stratégie de développement sur ces métiers, est-il à l’abri d’une concurrence d’acteurs nouveaux sur la scène internationale ? L’évolution du comportement du consommateur, notamment sur les marchés classiques, ne bouleverse-t-elle pas les équilibres fragiles des écosystèmes en place ? Une problématique de taille pour laquelle l’Institut Royal des études stratégiques (IRES) a mobilisé ses équipes de recherche afin d'y consacrer toute une étude sur «L’avenir des métiers mondiaux du Maroc». Une étude faisant partie des travaux de réflexion menés par l'Institut depuis sa création sur la compétitivité globale.
En attendant la publication intégrale des conclusions de cette étude, les conclusions préliminaires sont maintenant connues (l’exposé de présentation vient d’être publié sur le site de l’IRES). Elles apportent de nombreux éléments sur la voie à suivre et des recommandations. L’étude s’est fixé six principaux objectifs à réaliser pour répondre à la problématique de départ. Elle a réalisé, tout d’abord, un diagnostic des six métiers mondiaux du Maroc (automobile, aéronautique, agro-alimentaire, textile-cuir, électronique et offshoring). Elle met en avant l’apport de ces métiers à l'économie et la société marocaines et cerne les enjeux qu’ils représentent pour le processus de développement du Maroc. L’étude explore, en plus, l’avenir des métiers mondiaux à l’échelle internationale, en mettant en exergue les mutations majeures et zoome sur les évolutions et les scénarios possibles quant à leur futur au Maroc.
Les équipes de l'IRES ont effectué une analyse comparative des expériences étrangères innovantes en termes de bonne intégration dans les chaînes de valeur mondiales dans le but d’en tirer des enseignements utiles pour le Maroc. L'étude a aussi identifié d'autres chaînes de valeur dans les MMM, aux niveaux mondial et régional, auxquelles le Maroc pourrait s’intégrer à moyen et long termes, en mettant en relief les atouts dont dispose le pays pour réussir cette intégration. Enfin, elle a formulé des propositions visant à assurer un développement futur harmonieux des métiers mondiaux du Maroc.
Anticiper les mutations qui vont façonner la réorganisation des chaînes de valeur mondiales
Cependant, est-il souligné, les propositions formulées mettent l’accent sur les mesures à caractère opérationnel. Les propositions d’orientations stratégiques devront faire l’objet d’un rapport à part. Lors de la présentation de ces conclusions préliminaires, le directeur général de l’IRES, Mohammed Tawfik Mouline, a déclaré que cette étude a fait ressortir que «ces métiers n’auraient pas pu voir le jour si le Maroc n’avait pas réalisé des infrastructures répondant aux normes internationales et conclu, au préalable, des accords de libre-échange avec les principaux pôles économiques mondiaux. Le Royaume se positionne comme étant une destination «best cost» avec, toutefois, une remontée progressive dans les chaînes de valeur mondiales pour certains métiers, notamment l’automobile et l’aéronautique.
Le développement des métiers mondiaux n’a pas permis, pour l’instant, de hisser le Maroc au rang des pays émergents. D’ailleurs, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB, qui s’élevait à 18,5% en 2000, n’a pas dépassé 15,5% en 2020. Le capital privé national s’est avéré peu présent dans les métiers mondiaux, ce qui a engendré une dépendance du Maroc aux investissements directs étrangers», a-t-il souligné. Aussi, selon lui, l’étude montre que l’impact de ces investissements en termes de création d’emplois est globalement positif. Toutefois, cela ne permet pas au Maroc de disposer de compétences en haute technologie, ni de suffisamment de profils de «middle management» et de techniciens supérieurs. L’étude révèle également que l’ancrage territorial des métiers mondiaux du Maroc demeure limité à certaines zones, particulièrement l’axe Casablanca-Tanger.
Ainsi, il est appelé à ce que le pays agisse pour «anticiper les mutations qui vont façonner la réorganisation des chaînes de valeur mondiales, dont le coût serait élevé pour le pays, s’il ne prenait pas à l’avance les virages nécessaires. Le futur de ces chaînes dépendra, notamment, des nouveaux paradigmes liés à la souveraineté, à la durabilité environnementale et à l'inclusivité, du changement de comportement des consommateurs, de la disruption digitale, de l'émergence d'une géopolitique des chaînes de valeur mondiales, structurée en fonction d’intérêts de puissance plutôt que sur une base objective d’efficacité économique, ainsi que de la montée en puissance de nouveaux lieux de compétitivité, en l'occurrence les chaînes de valeur régionales», a souligné Mohammed Tawfik Mouline. Par ailleurs, il est à souligner que l’étude fait état pour chacun des six secteurs analysés d’un diagnostic, d’une étude comparative avec d'autres pays et montre les perspectives de son développement à l’échelle internationale.
L’étude présente également les enjeux réels et potentiels des nouvelles tendances du secteur concerné, les scénarios possibles pour son développement, pour finir par des recommandations et des propositions sous forme de mesures opérationnelles à entreprendre. En guise de conclusion générale, le directeur général de l’IRES estime que le Maroc devrait réussir la transition d’une destination «best cost» vers une destination «haut de gamme». «À défaut de cela, les donneurs d’ordre risqueraient de se tourner vers d’autres destinations, répondant aux nouveaux paradigmes économiques, ou du moins le Maroc serait forcé de rester dans une sous-traitance industrielle de “bas de gamme”, sujette à la concurrence de nouveaux entrants “best cost” et, au mieux, d’évoluer vers une sous-traitance de “moyenne gamme”», prévient-il.
