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Objectif zéro sida en 2030 : les inégalités et la stigmatisation des patients, un frein aux progrès

Les résultats préliminaires d'une étude sur l’indice de stigmatisation des personnes vivant avec le VIH conduite en 2022 par le ministère de la Santé montrent que près de 19% ont vécu des expériences de stigmatisation en milieu de soins et près de 58% s’auto-stigmatisent. Cette stigmatisation ainsi que les différentes inégalités dont souffrent ces personnes entravent la fin de cette pandémie.

Objectif zéro sida en 2030 : les inégalités et la stigmatisation des patients, un frein aux progrès

L’objectif de mettre fin au sida d’ici 2030 semble de plus en plus difficile à atteindre. C’est ce qu’a déclaré la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima, mardi dernier lors de la présentation du rapport 2022 sur le sida. Intitulé «Inégalités dangereuses», ce document publié à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre le sida (1er décembre) montre que les efforts fournis pour éradiquer cette maladie butent sur la discrimination et les violences domestiques alors que l'on constate une hausse des nouvelles infections et des personnes continuent d'en mourir dans de nombreuses régions du monde.

Les femmes plus susceptibles de contracter le VIH Sida

Selon l’étude, les jeunes femmes sont parfois plus susceptibles de contracter le VIH que leurs homologues masculins, tout comme les femmes qui ont subi des violences domestiques au cours de l’année écoulée. Dans les régions très touchées par le VIH, les femmes victimes de violences commises par leur partenaire intime ont jusqu’à 50% de risque en plus de contracter le VIH, a détaillé l’agence onusienne. Et d’ajouter que «les effets des inégalités entre les sexes sur les risques liés au VIH chez les femmes sont particulièrement prononcés en Afrique subsaharienne, où les femmes représentaient 63% des nouvelles infections au VIH en 2021. Dans cette région, les adolescentes et les jeunes femmes (15-24 ans) sont trois fois plus susceptibles de contracter le VIH que les adolescents et les jeunes hommes du même âge».

D’après Mehdi Karkouri, président de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), des inégalités sociales, économiques, raciales et des inégalités liées au genre persistent également au Maroc et entravent l’éradication de la maladie. «Ces différentes inégalités sont des déterminants de vulnérabilité vis-à-vis de l’infection à VIH. Les populations cumulant ces vulnérabilités sont dites “populations-clés particulièrement exposées aux risques d’infection par le VIH”. Ces inégalités les empêchent souvent de bénéficier d’une couverture sociale, ou d’utiliser les services conventionnels de prévention. Au Maroc aussi elles sont souvent laissées pour compte», déclare le président de l’ALCS. Et d’ajouter que «le Royaume identifie, dans le cadre de son Plan stratégique national de lutte contre le sida, ces populations comme prioritaires et prévoit des actions de prévention combinée des infections sexuellement transmissibles et du VIH/sida les ciblant. De même, la Stratégie nationale “Droits humains et VIH/sida” prévoit de nombreuses actions pour une revue législative, en vue de créer un environnement socio-juridique favorable à l’atteinte des objectifs de la déclaration politique des Nations unies relative au VIH/sida de juin 2021 que le Maroc a adoptée».

Le Maroc compte 23.000 personnes atteintes du Sida

Dans un entretien accordé au «Matin», Pr Karkouri rappelle qu’au Maroc, en 2021, le ministère de la Santé estimait le nombre de PVVIH à 23.000 dont 18% ne savaient pas qu’elles étaient infectées par le VIH. Un total de 18.159 personnes, soit près de 79% des PVVIH estimées, étaient sous traitement antirétroviral. L’ALCS a fourni, durant la même année, des services d’appui social et médical à près de 7.000 personnes, dont 94,2% ne disposaient d’aucun revenu stable et 55% n’étaient couvertes par aucun régime de prévoyance sociale.

D’après l’étude sur l’indice de stigmatisation des PVVIH réalisée en 2016 par le ministère, près de 50,2% étaient victimes d’attitudes discriminantes et près de 41,2% s’étaient vues refuser des soins. Les résultats préliminaires d’une étude similaire conduite en 2022 ont montré que près de 19% des PVVIH avaient vécu des expériences de stigmatisation en milieu de soins et près de 58% s’auto-stigmatisent. «Au-delà de ces chiffres, les médiateurs thérapeutiques et sociaux de l’ALCS, qui prennent en charge les PVVIH en leur assurant un appui psychologique et social ainsi que la médiation thérapeutique, remontent régulièrement des expériences très douloureuses de stigmatisation et discrimination vécues par les PVVIH. Parmi ces expériences, on peut citer des femmes enceintes séropositives auxquelles on a refusé des soins, des personnes dont le statut a été divulgué contre leur gré et qui étaient obligées de quitter leur travail, de changer l’école de leurs enfants, voire de déménager et de changer de lieu de vie. Vu la stigmatisation et la discrimination dont elles sont sujettes, ces personnes n’osent même pas utiliser les systèmes de recours mis à leur disposition en cas de violation de leurs droits humains», déplore le président de l’ALCS.

Ce dernier rappelle, en outre, que selon les données du Rapport national sur le VIH/sida de 2021, la couverture des populations clés par les actions de prévention combinée du VIH/sida se situerait entre 45 et 57%, ce qui reste loin de l’objectif fixé pour 2025 qui prévoit une couverture minimale de 95%. De même, une étude conduite par le ministère de la Santé et de la protection sociale, en 2017, auprès des personnes usagères des drogues, a montré que près 30% de ces dernières éviteraient les services de la santé par peur de stigmatisation et discrimination. «La pandémie de la Covid-19, ayant accentué la vulnérabilité et la fragilité socio-économique de ces populations, a ralenti l’effort national de lutte contre le sida. Ainsi, même si le Maroc a fourni beaucoup d’efforts pour réduire les nouvelles infections de près de 50% comparativement à 2010, et malgré qu’il soit leader au niveau de la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), il doit redoubler d’efforts pour réduire les inégalités sociales, économiques, raciales et les inégalités liées au genre qui constituent des freins structurels pour l’atteinte de l’objectif d’élimination du VIH/sida en 2030», estime Pr Karkouri.

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Questions à Mehdi Karkouri, président de l’ALCS


«Le Maroc élabore une nouvelle stratégie d’accélération des efforts pour rester sur la bonne voie vers l’élimination du VIH en 2030»

L’Onusida estime qu’au rythme actuel, le monde n’arrivera pas à atteindre les objectifs internationaux pour le sida. Croyez-vous que ce soit également le cas au Maroc ?
En effet, la crise liée à la Covid-19, les crises politiques et l’inflation économique qui en résulte ont ralenti considérablement les efforts de lutte contre le sida dans le monde et la maladie du VIH/sida gagne du terrain. Les nouvelles infections dans le monde étaient de 1,5 million en 2021 ce qui nous place loin des 370.000 nouvelles infections prévues pour 2025 pour rester sur la bonne voie d’élimination du VIH. De même, nous sommes encore loin de l’objectif fixé pour le dépistage de l’infection à VIH, à savoir que 95% des personnes séropositives estimées connaissent leur statut sérologique en 2025.

Le Maroc a bien progressé en réduisant les nouvelles infections de 48% et les décès liés au sida de 58% par rapport à 2010. Malgré cette progression, il est encore loin des objectifs fixés par la feuille de route émanant de la déclaration politique de juin 2021, à savoir 95% des populations clés couvertes par des programmes de prévention combinée de qualité, 95% des PVVIH estimées connaîtront leur statut sérologique. Par ailleurs, il est à noter que les réalisations en tests de dépistage VIH sont en diminution continue depuis 2017 en passant de plus de 700.000 tests par année à 275.500 en 2021.
Le Maroc connaît également un retard dans l’atteinte des objectifs liés à la lutte contre la stigmatisation et la discrimination des populations clés et des PVVIH, la lutte contre la violence basée sur le genre, l’autonomisation des femmes, la couverture sanitaire des populations clés et la revue législative pour un meilleur environnement socio-juridique d’intervention.
Dans ce contexte, le Maroc est en train d’élaborer une nouvelle stratégie d’accélération des efforts de lutte contre le sida pour rester sur la bonne voie vers l’élimination du VIH en 2030, un chantier de couverture sanitaire universelle est également en cours ainsi qu’une revue du Code pénal. Ce sont autant d’éléments qui seront déterminants dans l’atteinte des objectifs fixés pour 2030.

Quelles sont les actions à mener pour améliorer le quotidien des personnes vivant avec le VIH au Maroc ?
Pour améliorer le quotidien des PVVIH, il faut améliorer leurs conditions socio-économiques et leur assurer une couverture sociale afin qu’elles soient plus autonomes pour gérer leurs problèmes de santé et leurs problèmes sociaux.
La lutte contre la stigmatisation et la discrimination, notamment en milieu de soins, est un enjeu majeur pour une prise en charge de qualité de l’infection à VIH. La décentralisation des services, la délégation des tâches liées à la dispensation des traitements antirétroviraux et le suivi des PVVIH par des acteurs communautaires ainsi que la mise en place de services différenciés, tenant compte des particularités des populations clés, sont la clé de voûte pour améliorer le quotidien des populations clés et des PVVIH.
La mise en place d’un système de recours administratif et juridique, adapté et efficace, qui pourrait être utilisé en cas de violation des droits humains des populations clés et des PVVIH, est d’une importance capitale pour réparer les injustices dont ces personnes sont victimes. Un tel système donnerait plus de confiance aux PVVIH et améliorerait leur rétention et leur épanouissement dans le soin.

Quelles sont les actions de l’ALCS pour lutter contre le sida au Maroc ?
L’ALCS couvre une grande partie du territoire national à travers ses 19 sections et antennes ainsi que ces 5 unités mobiles et contribue à la réalisation de près de 70% des objectifs nationaux en matière de prévention combinée du VIH/sida en direction des populations clés les plus exposées aux risques d’infection.
L’ALCS est membre fondateur d’une Coalition internationale contre le sida «Coalition PLUS» qui intervient dans près de 50 pays auprès d’une centaine d’associations partenaires qu’elle renforce pour une meilleure implication des communautés concernées dans l’effort de lutte contre le sida, pour offrir des services différenciés et de qualité pour les populations clés et pour qu’elle participe pleinement dans l’élaboration des politiques nationales et régionales de lutte contre le sida.
En 2021, l’ALCS a couvert plus de 67.000 personnes appartenant aux populations clés par des actions de prévention. En matière de dépistage, elle a réalisé 30.239 tests VIH, 10.103 tests de la syphilis, 580 tests VHC et 8.488 consultations pour infections sexuellement transmissibles. De même, elle a distribué 638 autotests VIH pour les personnes éloignées des centres de dépistage ou bien qui ne pouvaient pas se rendre à ses locaux pour se faire dépister.
L’ALCS a dépisté 519 personnes séropositives au VIH, soit 32,4% des cas dépistés au Maroc en 2021. En matière d’appui à la prise en charge des PVVIH, l’ALCS a fourni près de 19.300 prestations au profit de 7.000 PVVIH.
Afin d’améliorer l’environnement d’intervention, l’ALCS a mené plusieurs actions de sensibilisation et de plaidoyer pour l’inclusion de toutes les populations clés dans la couverture sanitaire universelle.

Quelles sont les actions prévues par l’ALCS pour la célébration de la Journée mondiale de lutte contre le sida ?
L’ALCS déploie ses équipes durant toute l’année afin de maintenir une offre de services de santé sexuelle et reproductive différenciée et adaptée aux populations clés là où elles vivent. Pour cela, elle adopte de nombreuses stratégies notamment la stratégie fixe, la stratégie mobile, à travers ses bus aménagés en unités mobiles de dépistage VIH, et la stratégie avancée par les mallettes de dépistage qui sont utilisées aux points de regroupement des populations clés.
Afin de rattraper les retards en dépistage VIH, l’ALCS contribue à la campagne nationale du dépistage VIH qui s’étend tout le long du dernier trimestre 2022. Elle participe également à une campagne internationale de dépistage des VIH et hépatites virales initiée par «Coalition PLUS» du 22 au 28 novembre 2022.
Durant tout le mois de décembre 2022, l’ALCS mènera une large campagne de sensibilisation et de communication sur le VIH/sida en organisant des actions de dépistage selon diverses stratégies, des actions de sensibilisation auprès des jeunes, des conférences au niveau des établissements universitaires, des journées portes ouvertes au niveau de ses centres de dépistage et centres communautaires de santé sexuelle et reproductive...

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