En dix ans, le volume d’audience global de la radio au Maroc a fléchi. Et les habitudes de consommation ont aussi beaucoup changé. Historiquement centrée sur les «mornings», l’audience radio est aujourd’hui répartie sur l’ensemble de la journée et les auditeurs ont diversifié leur choix de stations. Dans une étude inédite du cabinet «Angle Large», le spécialiste du conseil décrypte les statistiques que CIRAD (Centre interprofessionnel de la mesure d’audience radio) produit sans discontinuer depuis dix ans. Ces chiffres de référence sont utilisés par l’ensemble des acteurs de l’écosystème : médias, régies, annonceurs, agences, etc. Les radios et leurs annonceurs financent, à 8 millions de DH l’an, cet outil basé sur un échantillon (52.000 interviews l’an) représentatif de la population marocaine des 11 ans et plus. Ainsi, lors du 1er trimestre de l’année, et en semaine, 52% des Marocains de 11 ans et plus écoutent en moyenne chaque jour la radio, soit environ 14,843 millions d’auditeurs. «Au lancement de Radiométrie Maroc (au 1er trimestre de 2012), la pénétration du média était de 61%.
Par comparaison, en France, le média réunit au quotidien 72% de la population de 13 ans et plus (Médiamétrie 1er trimestre 2022)», note le cabinet. En un jour de semaine, les tranches d’écoute 6-10h (6,620 millions d’auditeurs), 10-12h (6,784 millions d’auditeurs) et 14-17h (23,5% millions d’auditeurs) présentent des audiences assez similaires. «Les soirées ont perdu en écoute, sans doute au profit des écrans en général (pas que la télévision). Le nombre moyen des radios écoutées par un auditeur sur un jour de semaine est passé de 1,4 à 2,4. Par contre, la durée d’écoute quotidienne par auditeur (2h54) n’a pas changé en dix ans», explique le cabinet. En regard des standards internationaux, on peut dire que les radios marocaines gardent des marges de progrès : «l’audience radio est aujourd’hui répartie sur l’ensemble de la journée et les auditeurs ont diversifié leur choix de stations».
Les radios qui performent le mieux aujourd’hui
En parts d’audience (PDA), les stations gagnantes sur le long terme sont les plus clairement profilées. On constate que les généralistes, comme Médi1 ou Al Idaa Al Watania, sont davantage soumises à l’érosion. Pratiquement inexistants jusqu’en 2006, les opérateurs indépendants rassemblent deux tiers des parts d’audience (67%). Ils ont gagné dix points depuis 2012. Par contre, Médi1 (6,6% de PDA) a perdu 60% de sa puissance en dix ans. Med Radio (12,5% PDA) et Hit Radio (10,2% PDA) sont les nouveaux leaders toutes catégories, derrière la radio Mohammed VI du Saint Coran. Les parts d’audience des stations étatiques sont détenues pour moitié par la radio coranique (15% PDA), en tête dès les débuts de Radiométrie. Tandis que les parts de la généraliste Al Idaa Al Watania diminuaient presque de moitié, celles de la radio Al Idaa Al Amazighia ont été multipliées par trois. Étonnamment, Radio 2M (5,2% PDA) ne tire pas un grand profit de sa proximité avec sa puissante grande sœur télé. En dix ans, Chaîne Inter (0,5% PDA), pourtant créditée d’un excellent réseau technique, n’a pas trouvé de nouveaux ressorts pour se relancer. On précisera que les stations Atlantic Radio et Luxe Radio ne sont pas souscriptrices de l’étude. Leurs audiences, mesurées mais non publiées nominativement, alimentent la catégorie «Autres radios» (y compris des émetteurs étrangers) dont la part d’audience globale est de 2,84%.
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Un fonds d’aide à la création radiophonique ?
Pour Angle Large, c’est la richesse de l’offre et son adéquation aux publics qui font ou défont les audiences. En 2006 et 2009, l’arrivée des radios indépendantes a enrichi la proposition et suscité un enthousiasme curieux de la part des publics. Depuis, sans doute sous la pression des coûts, certains programmes ont eu tendance à s’écarter de leur promesse, à se simplifier et à se recopier l’un l’autre. Les micro-blablas des «experts» et les robinets musicaux (ce qui coûte le moins cher à produire) se sont répandus, sans que se mette en place une politique publique d’encouragement économique aux contenus mieux-disants (par exemple par la mise en place d’un fonds d’aide à la création radiophonique). De nouveaux projets susceptibles d’élargir l’offre ont bien été déposés sur la table de la HACA, mais certains y attendent depuis plusieurs années. Les opérateurs privés demandent de longue date au Régulateur la réalisation d’une étude indépendante pour objectiver la capacité économique du marché et mesurer le degré de satisfaction des publics en termes de diversité de l’offre. De quoi prendre des décisions éclairées.
Les effets sur les radios du déficit publicitaire consécutif à la crise Covid
Les audiences ont tenu, mais les recettes commerciales des radios ont été très abimées (-50% et plus). L’État a aidé les radiodiffuseurs privés, comme les autres secteurs, à traverser la crise, mais la question des rentrées est aussi d’ordre structurel. Elle est notamment liée à la captation massive de recettes publicitaires par les plateformes technologiques mondiales (GAFAM). Tous les médias traditionnels y sont confrontés. «Les entrepreneurs de la radio ont besoin de dégager des revenus complémentaires par la création de nouveaux services adossés à leur offre initiale. Sur les marchés matures, un même groupe peut opérer un, deux ou trois produits complémentaires. Ce que fait d’ailleurs largement le pôle public marocain. Le Régulateur marocain devrait s’ouvrir plus largement à cette perspective de consolidation horizontale pour stabiliser le marché de la radio et lui offrir de nouveaux leviers de croissance», soutient le cabinet.
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Questions à Jean-Claude Fyon, expert belge des médias, actif au Maroc
«Les radios auraient besoin d’un nouveau souffle créatif»
«Le Matin» : L’évolution des audiences sur dix ans montre la radio en perte de vitesse. En 2012, 61% des Marocains de 11 ans et plus écoutaient le média chaque jour, contre 52% en 2022. Comment analyser cette décrue ?
Jean-Claude Fyon : À la libéralisation des ondes (2006-2009), l’effet découverte a joué. C’était la radio comme on ne l’avait jamais entendue, dans les thèmes, la musique et le ton. En dix ans, l’effet s’est estompé. Des programmes ont eu tendance à s’écarter de leur promesse, se simplifier et se recopier. L’offre a perdu en originalités. L’écoute de musique sur les plateformes de streaming a aussi pris de la place. Les radios auraient besoin d’un nouveau souffle créatif. Les auditeurs aiment la nouveauté, comme ils se lassent des tables de restaurant qui ne renouvellent pas leur carte. En regard des standards internationaux, les radios marocaines conservent des marges de progrès ; il reste des trous à combler dans l’offre. Au-delà du fléchissement du volume d’audience global, on ajoutera que les habitudes de consommation ont beaucoup évolué. Historiquement centrée sur les mornings, l’audience est aujourd’hui répartie sur toutes la journée, dont les grandes tranches présentent des audiences similaires en volume. La gestion des grilles est devenue plus complexe. Il ne suffit plus de tirer en longueur l’écoute matinale pour faire sa journée.
Les chiffres montrent des auditeurs qui papillonnent entre radios. On est passé de 1,4 à 2,4 stations écoutées chaque jour en moyenne, mais la durée d’écoute moyenne par auditeur (2h54) reste stable. Comment l’expliquer ?
Plus de stations ne veut pas dire que l’auditeur augmente mécaniquement son temps de radio disponible. L’effet sur la durée d’écoute tient plus au pouvoir de séduction de l’offre qu’à son volume. L’auditeur peut simplement se montrer plus éclectique, voyager dans l’offre au gré des émissions. Jadis, le bouton de sélection était verrouillé sur le récepteur de la maison. La libéralisation a multiplié l’offre par cinq et offert au public la liberté de choisir.
Les stations privées représentent deux tiers des parts d’audience. En dix ans, ce sont ces radios qui enregistrent les progressions les plus importantes. Cela tient-il à une meilleure capacité de prise en compte des souhaits des auditeurs ?
Il n’y a pas d’un côté des stations privées qui gagnent à tous les coups et de l’autre des stations publiques qui perdent systématiquement. La radio publique amazighe, par exemple, a triplé sa part d’audience en dix ans. La station publique coranique (15% de PDA) est en tête des audiences depuis la toute première vague de Radiométrie Maroc. Cela dit, les champions des parts d’audience appartiennent majoritairement à la catégorie des privés. Les indépendants rassemblent 67% des parts d’audience et ont gagné dix points depuis 2012. Faut-il y voir une meilleure capacité à prendre en compte les auditeurs ? Je dirais une plus grande capacité à mettre en place de nouvelles agilités. La plus grande fracture entre «perdants» et «gagnants» me semble à rechercher dans les formats de programme.
Qu’est-ce qui rassemblerait Med Radio, Hit Radio et Aswat, qui signent les plus importantes prises de parts de marché sur le long terme ?
Ces trois stations présentent des offres profilées. En parts d’audience (PDA), les stations gagnantes sur le long terme sont les plus clairement positionnées. Ce sont des chaînes qui ont de la personnalité, un ciblage, et qui s’y tiennent. Elles présentent une promesse lisible dans laquelle le public se retrouve facilement. Med Radio (12,5% PDA) et Hit Radio (10,2% PDA) en sont de bonnes illustrations.
À l’inverse, Al Idaa Al Watania et Medi1 enregistrent les plus fortes pertes de parts d’audience en dix ans...
Médi1 a perdu 60% de sa puissance en dix ans et les parts de Al Idaa Al Watania ont diminué presque de moitié. Ce sont des généralistes un peu à l’ancienne qui chassent sur toutes les terres, au risque de se perdre dans un positionnement confus. Il y a aussi quelquefois des difficultés manifestes à se renouveler en profondeur. Chaîne Inter en offre un exemple, avec un demi pour cent de part d’audience et depuis dix ans la même ambition : redevenir ce qu’elle a été. C’est tout le contraire de se réinventer.
On fait beaucoup d’analyses quantitatives sur le paysage radio mais peu d’études qualitatives...
Les études quantitatives constituent le socle du système de mesure. Elles quantifient et classifient les audiences, dégagent des profils de stations. La mesure du CIRAD (Centre interprofessionnel de la mesure d’audience radio) produit des chiffres de référence utilisés par l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Chaque trois mois, les opérateurs souscripteurs reçoivent de l’Institut Ipsos, en charge de la mesure, la data nécessaire pour les aider à piloter leurs émissions et leurs offres commerciales. Maintenir depuis dix ans une mesure d’audience mutualisée d’une telle régularité et solidité n’est en soi déjà pas banal. Les études qualitatives dont vous parlez complètent la mesure quantitative et permettent de comprendre finement les attentes des publics, de percevoir des signaux faibles parmi les auditeurs... et les non-auditeurs (le vivier de croissance). Elles ne sont pas une pratique courante parmi les opérateurs radio du Maroc, peut-être moins que jamais. Sous la pandémie, certaines chaînes ont dû couper dans les budgets des études qualitatives : focus groupe, validation de concept, tests musicaux. Une activité qui se mesure moins peut rendre plus complexe les améliorations.