Les travaux du colloque international sur la généralisation de la protection sociale se sont clôturés mercredi à Skhirate. Deux jours durant, les 26 et 27 juillet, de hauts responsables nationaux et internationaux prenant part à cette manifestation, initiée par l’Association des membres de l’Inspection générale des finances et le ministère de l’Économie et des finances, ont tour à tour présenté, chacun en fonction de son champ de compétence, un regard pour pérenniser cet immense chantier visant à consolider les fondements de l’État social.
Assorti d’un calendrier clair et précis, ce projet d’envergure vise à inclure, à l’horizon 2025, 22 millions d’individus supplémentaires qui pourront bénéficier de l’assurance maladie obligatoire, et cela grâce à la transformation prochaine du régime d’assistance médicale en régime assurantiel et à la mise en œuvre du régime de l’AMO pour les non-salariés (2021-2022), puis, dans une deuxième étape, la généralisation des allocations familiales (2023-2024) et enfin la dernière étape qui consiste à généraliser la retraite et l’indemnité de perte d’emploi pour toutes les personnes occupant un emploi stable.
Cette réforme s’avère ainsi être une entreprise audacieuse permettant en particulier une intégration du secteur informel pour plus de justice sociale et d’équilibre économique, et constitue donc un excellent levier pour réduire la taille de ce secteur. La question de la viabilité de cette réforme, dont le coût annuel est estimé à 51 milliards de DH, et la maîtrise de ses effets sur les équilibres financiers des différentes caisses de sécurité sociale, ainsi que ses répercussions sur les finances publiques de notre pays, était au centre des échanges. La finalité étant de mobiliser les sources de financement nécessaires à la pérennité du système.
Dans son discours à l’ouverture de ce colloque, la ministre de l’Économie et des finances, Nadia Fettah Alaoui, a affirmé que son département «a tenu à élaborer un plan d’action global comprenant le planning, le cadre légal, les options de financement et les mécanismes de bonne gouvernance susceptibles d’assurer une généralisation effective de la protection sociale. À ce titre, le ministère a mobilisé toutes ses compétences ainsi que celles des partenaires au sein d’une commission technique pour l’examen de toutes les propositions, la facilitation de la mise en œuvre du cadre juridique et la recherche de solutions optimales pour le financement de cette réforme». Répartis en quatre panels, les travaux de ce colloque ont porté sur les allocations familiales pour la protection contre les risques de l’enfance, la généralisation de l’AMO comme gage de solidarité sociale, la généralisation de la retraite pour une équité intergénérationnelle et les leviers d’accompagnement du chantier de la protection sociale.
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Généralisation des allocations familiales : un mécanisme crucial pour renforcer le capital humain
Les intervenants au premier panel relatif à la généralisation des allocations familiales pour la protection contre les risques de l’enfance ont été unanimes à souligner le rôle déterminant de la généralisation de la protection sociale dans la réduction de la pauvreté.
La présidente de la Caisse nationale des allocations familiales en France, Isabelle Sancerni, a fait le point en ce sens sur les initiatives et pratiques françaises en matière de sécurité sociale, couvrant plusieurs prestations liées au soutien familial, au logement et au handicap. Elle a également indiqué que la France attache une grande importance à la protection sociale, en consacrant 4,7% de son PIB à la politique familiale, en partenariat avec les associations familiales.
Le chef de l’unité de l’Unicef sur la pauvreté des enfants et la protection sociale, David Stewart, a, de son côté, mis en avant l’importance des allocations familiales en tant que mécanisme crucial pour renforcer le capital humain et libérer le potentiel des enfants, et ainsi de la société tout entière. Pour sa part, l’économiste principal en protection sociale et emploi à la Banque mondiale pour la région MENA, Carlo Del Ninno, a relevé que les allocations familiales font progresser le capital humain des enfants, surtout lorsqu’elles sont associées à des mesures de développement de la petite enfance. Il a également précisé qu’elles permettent d’assurer un revenu aux ménages pauvres et vulnérables avec des femmes enceintes, des enfants en bas âge, ou des personnes en situation de handicap.
Le ministre de l’Éducation nationale, du préscolaire et des sports, Chakib Benmoussa, a souligné, quant à lui, que les allocations familiales constituent un moyen important pour lutter contre la déperdition scolaire. Le ministre a souligné dans ce sens que le volet «appui social aux élèves et parents» contribue fortement au renforcement de l’équité et l’égalité de chances, et partant favorise la scolarisation et réduit les taux d’abandon, qui demeurent encore élevés, avec près de 330.000 élèves quittant l’école de manière prématurée.
La ministre de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, Aouatif Hayar, s’est, quant à elle, arrêtée sur les mutations qui affectent le modèle familial et la démographie au Maroc : le premier étant marqué par une propension au petit nombre, et le second par l’augmentation constante des personnes âgées. Elle a rappelé ensuite les recommandations du nouveau modèle de développement (NMD) qui insiste sur l’importance de la protection sociale et l’investissement dans le capital humain.
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AMO : plus de deux millions de travailleurs non salariés immatriculés
Dans le cadre du deuxième panel, le président de la Caisse nationale d’assurance maladie de France, Fabrice Gombert, a affirmé que la sécurité sociale en France est l’un des principes de valeur de l’État auquel tous les Français sont attachés, et qu’elle repose principalement sur l’entraide entre les différentes catégories de la société, riches et pauvres, jeunes et vieux. Il a précisé que dans le modèle français, chacun contribue selon ses moyens et reçoit des prestations selon ses besoins.
S’exprimant au cours du même panel, le directeur général de la Caisse nationale de la sécurité sociale, Hassan Boubrik, a fait le point, lui, sur la progression des inscriptions à la CNSS depuis le lancement du chantier de la généralisation de la protection sociale. «À date d’aujourd’hui, nous avons pu immatriculer un peu plus de deux millions de travailleurs non salariés, dont 840.000 agriculteurs, 380.000 artisans, près de 300.000 auto-entrepreneurs, 250.000 artisans et commerçants qui sont dans le cadre de la contribution professionnelle unique et la quasi-totalité des professions libérales et indépendantes», a-t-il fait savoir. Et de poursuivre : «Sur les deux millions, nous avons déjà 330.000 personnes qui ont ouvert leurs comptes sur nos portails et ont commencé à déclarer leurs familles (conjoints et enfants) pour bénéficier effectivement de l’Assurance maladie obligatoire (AMO)». M. Boubrik a également indiqué que la CNSS traite quotidiennement une moyenne de 2.000 dossiers de l’AMO déposés par des travailleurs non salariés. «Cela veut dire qu’aujourd’hui l’AMO est une réalité sur le terrain», s’est-il félicité.
Le directeur de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), Khalid Lahlou, a fait savoir, pour sa part, que la couverture médicale constitue à la fois un engagement et un défi, et s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations des différentes institutions, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a aussi souligné que le rapport sur le nouveau modèle de développement (NMD) a mis l’accent sur la question de la santé et que l’État marocain dispose d’une vision bien claire en ce qui concerne ce volet.
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Retraite : A peine 20% des plus de 60 ans couverts
Les intervenants au troisième panel ont mis en exergue les difficultés liées à la généralisation de la retraite pour une équité intergénérationnelle. Ils ont abordé ainsi la question de la correction des déséquilibres des régimes existants et dressé un état des lieux, qui montre une faible couverture des régimes de retraite au Maroc ne dépassant pas 40% pour les personnes en âge de travailler et 20% pour les personnes de plus de 60 ans. Le système de retraite au Maroc, ont-ils rappelé, a fait l’objet de plusieurs réformes, dont celle de 2017 qui a touché le régime des pensions civiles. Cette réforme paramétrique a permis d’ajuster le calcul de la cotisation et de réduire la dette ancienne de 53% et, par conséquent, de retarder l’essoufflement dudit régime en reportant son déficit à 2028, donnant ainsi aux pouvoirs publics des marges supplémentaires pour engager une réforme profonde, qui prend en considération, d’une part, la situation actuelle des régimes de retraite et, d’autre part, les ambitions de sa généralisation.
Intervenant à cette occasion, le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, Younes Sekkouri, a souligné que la réussite d’une reforme aussi complexe que celle de la retraite nécessite plusieurs conditions, notamment un climat social apaisé, basé sur la clarté, la transparence et le dialogue. Il a aussi dit que cette réforme ne se fait pas par le gouvernement tout seul, mais avec les partenaires sociaux et dans le cadre d’un dialogue tripartite. «Toute réforme de retraite génère des tensions sur le plan social puisque celle-ci fait appel au poids des représentations du monde des travailleurs et soulève des problématiques financières et budgétaires que beaucoup de gouvernements peinent à surmonter», a fait remarquer M. Sekkouri.
Pour sa part, Faouzia Zaaboul, directrice du Trésor et des finances extérieures (DTFE), a indiqué que l’un des objectifs fondamentaux de la réforme est de «mettre un terme aux déficits et aux engagements futurs qui ne pourraient être couverts dans le cadre actuel». Mme Zaaboul a également mis en avant la méthodologie adoptée dans le cadre de l’étude sur la réforme du système de retraite et sa généralisation au Maroc, expliquant que le processus de celle-ci est cadré par les principes directeurs de la Commission nationale qui ont constitué les fondements des termes de référence. «Il s’agit d’un processus formalisé puisque la décision d’aborder la réforme et de lancer l’étude a été prise par le Chef du gouvernement qui a chargé le ministère de l’Économie et des finances de piloter les travaux et de constituer un comité de pilotage pour valider aussi les termes de référence pour toutes les étapes de l’étude», a-t-elle précisé. Et Mme Zaaboul d’annoncer : «Aujourd’hui, l’étude est finalisée et nous disposons désormais d’un document de référence».
Le directeur de la Caisse marocaine des retraites (CMR), Lotfi Boujendar, a souligné de son côté qu’«au Maroc, nous nous sommes inscrits dans une dynamique de réforme depuis plusieurs années dans l’objectif d’instaurer un système viable, cohérent et répondant notamment aux objectifs fondamentaux de l’équité intragénérationnelle et intergénérationnelle et aux questions de l’efficacité et de la pérennité». Le système de retraite marocain, ajoute M. Boujendar, présente des atouts, notamment la vocation sociale importante que revêtent actuellement les régimes en assurant une couverture vieillesse adéquate aux populations concernées avec des taux de remplacement décents pour les retraités. «À cela s’ajoute l’instauration de la pension minimale, qui a évolué au fil du temps et se situe actuellement autour de 1.500 dirhams par mois», a-t-il fait savoir.
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Colloque international «Protection sociale : un chantier de règne»
Quels leviers pour accompagner la généralisation de la protection sociale ?
Intervenant lors du quatrième panel du colloque international «Protection sociale : un chantier de règne», le directeur de la recherche au Service public fédéral belge de la sécurité sociale, Koen Vleminckx, a relevé que la protection sociale n’est pas un luxe, et que lorsqu’elle est bien conçue, elle peut être la pierre angulaire de l’économie dans plusieurs pays et un stabilisateur économique durant les crises. «La protection sociale peut être un investissement social intelligent et stimulant du développement social et économique à l’avenir, tout en contribuant de manière significative à la cohésion sociale», a ajouté M. Vleminckx. Revenant sur l’expérience de son pays, le responsable belge a fait savoir qu’un système d’évaluation permettant d’évaluer les réformes avant de les implémenter a été mis en place sur la base de données administratives anonymisées de 10% de la population. Dans ce sens, il a expliqué que ce modèle permet d’évaluer l’impact des réformes, d’un côté, en matière de financement et de dépenses et, de l’autre, en matière d’impact sur la pauvreté.
Pour sa part, la ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, Ghita Mezzour, a souligné que la numérisation constitue un moyen pour accompagner la réforme de la protection sociale, notamment avec la hausse du nombre des affiliés. Mme Mezzour a également mis l’accent sur la simplification des procédures et la qualification des ressources humaines comme levier pour accompagner ce chantier de grande envergure.Par ailleurs, le président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Chakib Alj, a rappelé que la généralisation de la protection sociale est une responsabilité partagée qui requiert l’adhésion de tous les acteurs. La Confédération, a-t-il poursuivi, est mobilisée depuis plusieurs décennies pour la mise en place et le financement d’un arsenal de programmes sociaux (retraites, CNSS, CIMR, AMO, allocations familiales et indemnité de perte d’emploi), assurant que les entreprises marocaines sont aussi prêtes à investir, dans le cadre d’un partenariat public-privé, pour la construction d’hôpitaux de proximité, la formation d’une nouvelle génération de personnel médical et l’accélération de la digitalisation du système de santé.
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Les principales recommandations du Colloque
Au chapitre des recommandations, les participants à ce colloque international sur la généralisation de la protection sociale en ont émis une panoplie, dont voici les plus saillantes :
• Mener des études d’impact pour l’amélioration des services existants.• Veiller à la cohérence d’ensemble avec les autres branches de la réforme de la protection sociale, telles que la généralisation du préscolaire, de l’offre d’écoles communautaires, le renforcement de la santé scolaire et le programme de soutien aux élèves en grande difficulté.• Anticiper les conditions de réussite des réformes via le renforcement du lien entre la scolarité et le registre de population, le ciblage à l’aide d’un scoring basé sur le revenu, la proximité, le genre et l’engagement civique.• Développer des concepts qui vont au-delà d’un ciblage des individus, tels que la famille solidaire et la famille d’accueil, qui peuvent servir comme unité de ciblage.• Adopter une approche holistique pour l’appui familial en intégrant aussi bien la phase prénatale que la petite enfance (sensibilisation à la nutrition, à l’hygiène et à la vaccination).• Exploiter les apports des nouvelles technologies pour le déploiement du chantier (Intelligence artificielle et Big Data).• Accorder plus d’attention à la prévention et la promotion de la santé.• Élargir et mettre à jour annuellement le panier des soins et développer une offre médicale performante et équilibrée au niveau territorial.• Développer des mesures d’attractivité, de motivation et de fidélisation des ressources humaines médicales.• Revoir le système de tarification nationale des médicaments et des prestations médicales.• Respecter le schéma médical de traitement.• Exploiter les leviers relatifs, en particulier, au renforcement du contrôle et à l’élargissement de l’assiette à travers l’inclusion économique du secteur informel.• Mettre en place des dispositifs de gouvernance et de pilotage adaptés aux réformes.• Mobiliser l’administration pour accompagner le chantier de la protection sociale à travers le renforcement des compétences et des ressources humaines de l’administration en matière de digital, afin d’assurer un service public de qualité et d’optimiser les coûts liés à la protection sociale pour le citoyen et pour l’État.