Le Matin : La Banque européenne d’investissement et l’Union européenne ont adopté un positionnement stratégique sur le climat dans la région. Comment évaluez-vous le partenariat avec le Maroc dans ce domaine ?
: La BEI est la Banque du climat de l’Union européenne (UE). Nous avons fixé un objectif de financement climatique dès 2010 et depuis, notre ambition n’a fait qu’augmenter. Notre Feuille de route pour le climat (2021-2025) traduit cette ambition. Nous consacrons chaque année, partout dans le monde, une part croissante de nos financements aux investissements verts, à l’action climatique et à la durabilité environnementale. Des objectifs naturellement en phase avec la Stratégie nationale de développement durable (SNDD) du Maroc pour accélérer la transition vers une économie verte et inclusive d’ici 2030. La BEI est par ailleurs la première banque multilatérale de développement à être totalement alignée sur les objectifs de Paris depuis 2021. De 2012 à 2021, nous avons investi près de 200 milliards d’euros dans l’action climatique à travers le monde.
Les investissements consacrés à l’action pour le climat sont passés à 43% l’an dernier, malgré la crise de la Covid-19, nous rapprochant, d’ores et déjà, de notre objectif d’au moins 50%. Au Maroc, en tant que Banque du climat de l’UE, nous nous inscrivons dans la dimension extérieure du Green Deal européen. Le Maroc est un partenaire privilégié de l’UE à travers son engagement sérieux et ambitieux au niveau national et international sur les thématiques climatiques, énergétiques et environnementales. L’UE vient de signer un Partenariat vert avec le Maroc qui reconnaît ce partage d’ambition et définit le cadre de notre coopération future. C’est le premier Partenariat vert que l’UE développe avec un pays partenaire. À cet égard, la visite cette semaine au Maroc de Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, pour lancer le partenariat vert UE-Maroc, démontre la grande qualité de nos relations avec le Maroc. La BEI appartient aux 27 États membres. Ce qui nous confère une grande cohérence avec les objectifs politiques de l’UE, en ligne avec ceux de nos partenaires comme le Maroc, pour soutenir les projets qui contribuent activement au développement durable, à l’innovation et à la compétitivité, par des financements innovants.
Je suis heureux de pouvoir dire qu’au Maroc, en termes d’impact, cette stratégie se matérialise. Cette année, la BEI a déjà déboursé près de 190 millions d’euros (environ 2 milliards de dirhams) dans le pays, dont 70% étaient directement liés à des projets d’énergie renouvelable. Notamment 100 millions d’euros (plus d’un milliard de dirhams) pour le Programme éolien intégré de 850 mégawatts réalisé par l’ONEE, qui à lui seul permettra d’économiser plus de 2 millions de tonnes de CO2 chaque année, l’équivalent de la consommation d’une ville comme Casablanca. Nous avons lancé deux nouveaux partenariats récemment. L’un avec Masen pour réaliser une étude d’évaluation du potentiel de l’éolien offshore sur les côtes atlantiques marocaines. L’autre avec le Crédit Agricole du Maroc (CAM) avec une mission de 18 mois visant à mieux intégrer les risques climatiques et identifier les opportunités de financement en faveur du climat. Nos objectifs en matière de climat, d’innovation et de développement sont interdépendants et complémentaires. Ils se renforcement mutuellement et font partie d’un même ADN pour construire des économies durables et sobres en carbone.
Pouvez-vous citer quelques exemples de réussite de cette collaboration dans le Royaume ?
Nous entretenons un partenariat de grande qualité avec le Royaume du Maroc depuis 1979, avec près de 10 milliards d’euros d’investissements engagés sur cette période.
Rien que pour la période 2014-2021, nous avons mobilisé plus de 3 milliards d’euros. Le Maroc est l’un des principaux bénéficiaires du soutien de la BEI dans la région.Nous avons financé des secteurs clés de l’économie marocaine tels que les petites et moyennes entreprises, l’agriculture, l’eau et l’assainissement, l’éducation, la santé, les transports et les énergies renouvelables.Ce mercredi, je serai à Casablanca pour signer un nouvel accord de garantie avec la Banque Centrale Populaire (BCP) afin de renforcer notre soutien aux PME marocaines dans quatre secteurs d’exportation clés pour le Maroc, l’agriculture, l’agro-industrie, l’automobile et le textile. Ce sera le premier accord conclu dans le cadre du «Programme de l’UE pour le commerce et la compétitivité», élaboré par la BEI avec le soutien financier de l’UE. Il permettra de faciliter l’accès à des financements durables et d’offrir de nouveaux mécanismes de soutien aux PME, qui constituent l’épine dorsale de l’économie marocaine, une source de création de richesse et d’emplois. En début de semaine, je me suis rendu à l’éco-campus de l’Université euro-méditerranéenne de Fès, un projet financé par un prêt de la BEI et des subventions de l’UE, fruit d’un partenariat d’exception avec le gouvernement du Maroc. Nous sommes fiers d’appuyer son développement dans les années à venir pour offrir des formations de qualité autour des valeurs d’ouverture et d’excellence en matière de création et d’innovation.Au Maroc, le dénominateur commun de tous nos financements reste l’impact sur le développement humain. Nous nous efforçons de proposer un mix de prêts pour financer des projets à fort impact sur la population et aux meilleures conditions financières. Notre gamme d’opérations est large et diversifiée. Par exemple, en 2021, nous avons conclu six contrats de financement, également répartis entre le public et le privé avec un mélange de prêts, de garanties et d’assistance technique.Cette année, nous avons signé un projet phare de 102,5 millions d’euros (plus d’un milliard de dirhams) dans l’éducation pour financer la construction et l’aménagement de 150 écoles communautaires, avec une subvention supplémentaire de 23,3 millions d’euros de l’Union européenne. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme gouvernemental de réforme du secteur de l’éducation et soutient les efforts du pays pour créer des écoles publiques de qualité, capables de garantir l’équité et l’égalité des chances.
Dans tous nos projets, nous privilégions les interventions où l’argent privé n’irait pas facilement, en raison de l’horizon à long terme des projets financés et de leurs risques plus élevés, y compris en faveur des institutions de microfinance (IMF) et des micro-entrepreneurs.À l’avenir, nous continuerons d’appuyer les programmes nationaux érigés en priorité par l’action gouvernementale, notamment en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique à travers des mesures d’adaptation, mais aussi en ce qui concerne l’appui au secteur social.Les appuis futurs de la banque seront alignés totalement avec les priorités de l’UE au Royaume du Maroc, et ce dans le cadre du nouveau partenariat pour la Méditerranée, l’initiative Team Europe et bien sûr le partenariat vert.Rappelons qu’au cours des 10 dernières années, l’UE a également investi près de 700 millions d’euros dans la transition verte au Maroc. La Banque et les autres institutions de l’UE coopèrent dans les énergies renouvelables, avec le parc solaire d’Ouarzazate et le parc éolien de Midelt, mais également dans l’eau, pour la protection des ressources hydriques et le développement rural.Le Maroc est bien positionné dans la lutte contre le changement climatique. Quelle est la feuille de route de votre Banque dans le Royaume ?
Le Maroc a toujours été un «pays de pionniers» en matière d’atténuation du changement climatique, bien avant la COP22 de Marrakech. Grâce à l’impulsion du Roi Mohammed VI, le Maroc s’est doté d’une ambitieuse Stratégie nationale de développement durable (SNDD) pour accélérer la transition vers une économie verte et inclusive d’ici 2030.
Nous soutenons depuis plusieurs années l’objectif du Maroc d’atteindre 52% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique total d’ici 2030, avec des projets phares d’énergies renouvelables, tels que des centrales solaires concentrées et photovoltaïques, des centrales hydroélectriques, et des parcs éoliens terrestres. Le Maroc dispose d’énormes atouts.La production solaire représente environ 5% de la demande nationale, en hausse de 20% par rapport à 2020. La production éolienne représente environ 13% de la demande nationale (en hausse de 11%), et dépasse désormais la part de la production de gaz naturel (8,5%).En développant rapidement les énergies renouvelables, cela contribuera également à soutenir les objectifs économiques et sociaux du pays à l’avenir.Actuellement, notre priorité absolue au Maroc est de soutenir les programmes nationaux érigés en priorité par l’action gouvernementale pour accélérer la transition verte et renforcer la lutte contre le changement climatique, sur la base de son ambitieuse contribution déterminée au niveau national (CDN).La COP27 aura lieu dans moins d’un mois en Égypte. Quelles avancées sur le financement du climat devraient avoir lieu lors de ce sommet ?
Il est évident que nous devons agir collectivement, maintenant. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies a publié son dernier rapport. Il tire la sonnette d’alarme. Les engagements actuels en matière de climat sont bien insuffisants pour maintenir l’augmentation de la température en dessous de 1,5 degré.
Seule, l’UE ne parviendra pas à lutter contre la crise climatique si elle n’investit qu’en Europe. Plus de 90% des émissions mondiales de CO2 se produisent en dehors de l’Europe. Il est essentiel de pouvoir aider les économies en développement et émergentes dans leur transition verte, particulièrement dans le contexte de crise énergétique actuelle.Car les turbulences du marché de l’énergie causées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont constitué un revers pour la réduction des émissions nettes. Mais la voie à suivre restait inchangée. La seule alternative est d’accentuer la dynamique des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Nous avons besoin d’une approche résolument collective pour l’action climatique. Chaque année, la BEI finance 65 à 80 milliards d’euros pour tous les projets, dont la moitié pour le climat, mais cela ne suffira jamais.À la COP26, les Banques multilatérales de développement ont fait un certain nombre de déclarations collectives. Nous devons maintenant les mettre en œuvre. En particulier à la lumière de la guerre en Ukraine, nous devons intensifier nos efforts pour soutenir en particulier les énergies propres, y compris une transition énergétique juste à l’échelle mondiale et les efforts d’adaptation, afin de soutenir la mise en œuvre de l’Accord de Paris et de l’Agenda 2030. La mobilisation du secteur privé est aussi une composante clé de la transition climatique, en soutenant les projets d’adaptation et le financement des énergies propres grâce à l’innovation technologique. Pour ce faire, l’assistance technique est essentielle pour concevoir et réaliser des projets d’investissement. Ce que nous faisons au Maroc avec les exemples que j’ai donnés. Nous avons besoin de davantage de soutien consultatif en amont pour l’atténuation des risques climatiques, l’adaptation et les investissements écologiquement durables.
L’adaptation est un aspect essentiel de l’action climatique. Elle nécessite des investissements accrus, notamment pour intégrer des considérations d’adaptation dans tous les projets d’infrastructure (routes, chemins de fer, hôpitaux), afin que ces actifs puissent résister à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents. En outre, des investissements spécifiques sont nécessaires pour renforcer la protection des zones côtières, développer des systèmes de protection contre les inondations et d’alerte précoce, verdir les villes pour réduire l’exposition à la chaleur ou développer des cultures plus résistantes. En ce qui concerne la BEI, nous sommes totalement mobilisés et engagés à accroître l’impact de nos activités y compris à l’extérieur de l’Union européenne, en mettant l’accent sur l’action en faveur du climat et la viabilité environnementale. Le lancement, début 2022, d’EIB Global, la branche du Groupe BEI spécialisée dans le financement du développement, constitue une étape opportune à cet égard et s’accompagne d’une modification de notre modèle opérationnel, notamment d’un renforcement de notre présence locale en dehors de l’UE.