Menu
Search
Jeudi 28 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Économie

La recette de Mehdi Lahlou pour une croissance économique forte

L’économie nationale est plombée par trois facteurs : absence de visibilité, imprévisibilité et absence de gouvernance, selon l’économiste Mehdi Lahlou qui a été l'invité, jeudi dernier, de l’émission L’Info en Face du Groupe «Le Matin». Il en veut pour preuve la fermeture des frontières qui a trop duré pénalisant la relance de l’économie du pays. Pour réussir cette relance, il propose notamment de reventiler l’investissement public, faire appel à la diaspora, créer un fonds pour la recherche scientifique en Afrique et mobiliser, à titre gratuit, les compétences en âge de retraite.

La recette de Mehdi Lahlou pour une croissance économique forte
Mehdi Lahlou était l’invité, jeudi 27 janvier, de L’Info en Face du Groupe «Le Matin».

Absence de visibilité, imprévisibilité et absence de gouvernance sont 3 facteurs qui plombent l’économie nationale selon Mehdi Lahlou, économiste et professeur d’enseignement supérieur, qui a été l'invité, jeudi dernier, de l’émission L’Info en Face du Groupe «Le Matin». Il en veut pour preuve la fermeture des frontières qui a fini par déclencher, ces derniers jours, des manifestations organisées par les syndicats professionnels du tourisme qui ont rassemblé des travailleurs du secteur dans les villes de Rabat, Essaouira, Fès, Marrakech et Tanger pour demander l’ouverture des frontières, le 1er février prochain. Pour Lahlou, «si ces gens ont manifesté, c’est qu’ils se trouvent dans une situation de précarité absolue et de pauvreté totale. Certains n’arrivent même pas à boucler leurs fins de mois et même parfois leurs fins de journées». Le tourisme, c’est théoriquement 1,2 million d’emplois directs et indirects et 8% du PIB. C’est également un secteur qui irrigue l’ensemble de l’économie nationale.

Protection sanitaire vs préservation de l’économie : l’éternel dilemme

Faut-il donc prioriser la protection sanitaire ou préserver l’économie ? Pour le gouvernement, la priorité est clairement de préserver l’infrastructure sanitaire. C’est une manière de justifier la fermeture des frontières. Cependant, ailleurs c’est l’inverse qui se produit. «L’Espagne, l'Autriche et le Danemark ont décidé de considérer le virus comme une épidémie gérable et ont décidé d’ouvrir totalement leurs économies à partir du 1er février prochain. L’Espagne a même décidé de ne plus comptabiliser les dégâts sanitaires. Est-ce que la politique du gouvernement marocain serait meilleure que celle de ces trois pays ?», s'interroge l'économiste avant de poursuivre : «Lorsque vous fermez les frontières, vous fermez le pays également aux opérateurs économiques».

La pandémie a clairement mis en évidence un nombre de défaillances et de déficits sociaux dont le premier est certes sanitaire. «Nous avons découvert aussi que le système éducatif ne tient pas la route. Par ailleurs, la mise en place du compte spécial pour la Covid a révélé qu’entre 24 et 26 millions de Marocains vivent dans une situation de précarité ou de forte précarité. Les chefs de famille de cette population, 5 millions au total, travaillent dans l’informel, dans un secteur non précisé ou disposent de revenus très faibles. Les deux tiers de la population se trouvent donc dans une situation de précarité sociale parce qu’elle est dans une situation de précarité économique», relève Lahlou pour qui ces éléments auraient dû à la fois orienter les actions du gouvernement et les travaux du nouveau modèle de développement (NMD). D’ailleurs, notre invité reproche au NMD de ne pas être basé sur «une analyse et un diagnostic précis et profond des failles de l’économie marocaine».

Quant au gouvernement, annoncer un projet de création de 1 million d’emplois sur 5 ans n’est pas très réaliste, selon Lahlou. «Un point de croissance permet la création, au maximum, de 30.000 emplois pérennes. Donc, avec un taux de croissance de 3,2%, on ne peut créer, mathématiquement, que 90.000 emplois sur un an», explique Lahlou. De plus, il qualifie les chiffres avancés sur la création de 500.000 et 600.000 emplois sur la période 2014-2020, «d’erronés puisque les statistiques démontrent que sur 2014-2019 seuls 15.000 emplois ont été créés annuellement». Plus globalement, selon Lahlou, le virage industriel pris par le Maroc n’a pas réussi, car les ingrédients nécessaires manquent à l’appel : ressources humaines qualifiées, formation professionnelle, compétences marocaines. Nous avons aussi mal négocié certains accords et contrats commerciaux et industriels. «L’automobile marche sauf que nous ne sommes pas dans le cœur de la production. Nous sommes dans la production intermédiaire comme la carrosserie. Nous ne faisons pas la boîte à vitesses, pas encore les moteurs que nous importons de Roumanie ou du Mexique. De manière plus globale, le secteur automobile, c’est à peine 1.200 entreprises», affirme Lahlou. Pour l’accord avec les partenaires français, il est fondé, selon l’invité de L’Info en Face, sur un certain nombre d’incitations qui ont plus favorisé le transfert de dividendes et le transfert de valeur ajoutée de la main-d'œuvre locale vers l’étranger. «Nous n’avons pas développé un certain nombre de métiers qui auraient permis une meilleure intégration de la production nationale dans cette industrie. Et la progression que nous remarquons est réalisée en réexportant ce que nous importons. Ce programme industriel amorcé en 2014 disait qu’en 2020, l’industrie atteindrait 23% du PIB. Or aujourd’hui nous sommes à 14% seulement, selon le Haut-Commissariat au Plan et la Banque centrale», indique Lahlou.

L’investissement public doit être reventilé

Que propose Mehdi Lahlou ? La dépense publique doit être rationnelle et engagée dans des secteurs porteurs qui renforcent le capital humain comme l’éducation, la recherche scientifique, la préservation de la santé des citoyens pour qu’ils restent productifs et la formation professionnelle. L’investissement public, lui, doit être reventilé, selon Lahlou, et placé dans des projets d’infrastructures qui permettent une meilleure interconnexion entre les régions afin que toutes participent à la production de valeur ajoutée. En outre, rappelle-t-il, la diaspora est un important levier de développement économique : 450.000 compétences marocaines sont installées à l’étranger, selon Lahlou. «Nous disposons d’une large communauté de Marocains aux États-Unis, au Québec et ailleurs qui est prête, grâce au travail à distance, à promouvoir la production nationale. Utilisés à bon escient, les talents marocains vont contribuer, chacun à sa manière, au développement de l’économie marocaine», préconise cet économiste.
Autre proposition de Lahlou, celle faite lors de la dernière conférence générale de l'Unesco, pour la création d’un fonds pour le financement de la recherche scientifique en Afrique. «Je souhaite que les autorités marocaines y participent. Seuls, nous ne pouvons pas résoudre les problèmes du continent», souligne l’invité de L’Info en Face. Enfin, recommande ce professeur d’économie, il serait bénéfique de mobiliser les retraités hautement qualifiés dans des actions généreuses et de faire en sorte que les instances publiques les intègrent d’une façon ou d'une autre pour permettre la mise à niveau de notre système éducatif. Ce qui contribuerait à la réduction de l’inéquation formation-emploi.

Lisez nos e-Papers