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Covid, sécheresse et hausse des prix à l'international : le gouvernement au pied du mur

Si le retard des pluies se prolonge au-delà de la période «janvier-début février», où il n'y a pratiquement pas eu de précipitations, il est tout à fait envisageable que le Maroc soit frappé par l'une des pires sécheresses qu'il ait connues. Une sécheresse qui ne rime pas seulement avec décélération économique, mais qui aura des répercussions importantes sur l'ensemble de la population, notamment dans les zones rurales, largement dépendantes de la clémence du ciel.

Covid, sécheresse et hausse des prix à l'international : le gouvernement au pied du mur

L’hypothèse d’une récolte céréalière de 80 millions de quintaux retenue par le gouvernement pour la loi de Finances 2022, prévoyant un taux de croissance de 3,2%, est certainement à revoir. Il en est de même pour l'hypothèse de 75 millions de quintaux retenue par Bank Al-Maghrib, qui table sur un taux de croissance de 2,9%. Compte tenu de l'état pluviométrique qui prévaut actuellement, les prévisions des spécialistes vont dans le sens d'une récolte céréalière de 40 à 50 millions de quintaux, pour autant que le ciel se montre plus généreux.

Une sécheresse qui complique encore la relance économique

Le déficit actuel en précipitations est particulièrement préoccupant dans le contexte marqué par la pandémie et ses aléas. Une pandémie qui a pratiquement ruiné des secteurs comme le tourisme, mais pas le secteur agricole, qui est resté jusque-là très bien loti et a même enregistré une campagne exceptionnelle l'année dernière. De l'avis du professeur d'économie à l'Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA), Driss Effina, «c'est surtout cette intrication de la situation économique, plombée par la pandémie de Covid, la sécheresse et la hausse des prix de certains produits au niveau international, notamment le pétrole, qui grève tout calcul prévisionnel du gouvernement».

Cela étant, et en ce qui concerne l’agriculture, indique M. Effina, «le Maroc, qui a fait face à des successions d'années de sécheresse, a mis en place des mécanismes de riposte consistant notamment à élargir le paramètre des surfaces irriguées et à se prémunir par conséquent contre les aléas climatiques». Ainsi, aujourd'hui, «ce n'est pas l'ensemble du secteur agricole qui sera impacté par cette sécheresse, ni l'ensemble de la population rurale, sachant que 50% de cette population est directement connectée au domaine agricole», explique l'économiste. Et M. Effina de faire observer que c'est du côté de l'élevage qu'il faut porter l'attention, d'autant que les prix des produits servant à l'alimentation du bétail ont augmenté considérablement et que les éleveurs ne peuvent pas supporter une telle montée des prix, ni même d’ailleurs se débarrasser de leurs cheptels en raison de la faible demande.

Quelles mesures immédiates peuvent être prises pour atténuer l'impact de cette sécheresse ?

Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baïtas, a déclaré jeudi, lors du point de presse hebdomadaire à l'issue du Conseil de gouvernement, que l'Exécutif comptait déployer une série de mesures pour gérer les effets du retard des pluies. En réponse à une question du «Matin» sur la nature de ces mesures, l’économiste, membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et ancien ministre de l’Emploi, Abdeslam Seddiki, a souligné que le Maroc «n'en est pas à sa première expérience avec la sécheresse» et qu'il existe toute une panoplie de programmes de soutien aux agriculteurs et éleveurs qu'il suffit «de réactiver».

Par ailleurs, M. Seddiki tient à mettre l'accent sur la nécessité de ne pas se focaliser uniquement sur l'aspect «production agricole-élevage», mais également d'adopter des mesures en faveur de l'emploi, de la lutte contre la pauvreté et de l'accès à l'eau potable dans le monde rural. À ce titre, le membre du bureau politique du PPS plaide pour le soutien du pouvoir d'achat des ménages dans le monde rural où la pauvreté a pris des proportions très importantes, le soutien de l'emploi dans ce milieu en y consacrant prioritairement le programme «Awrach» et la sécurisation de l'accès à l'eau potable dans les régions qui pâtissent des effets du stress hydrique.

Même son de cloche chez l'économiste, Taïb Aisse, qui indique qu’«en guise de mesures immédiates, le gouvernement doit consentir un geste social aux populations dépendant de l’agriculture». Et par «geste social», M. Aisse sous-entend une aide financière directe, comme ce fut le cas pour les familles nécessiteuses lors de l'apparition de la Covid et de la proclamation du confinement général pour l’endiguer. «Le gouvernement a les moyens pour faire cela et n'a pas besoin de passer par une loi de Finances rectificative», affirme l'économiste.
Pour sa part, l'ingénieur agronome et expert du monde rural, Abdelmoumen Guennouni, qui avait déjà confié au «Matin» dans un précédent article que «la campagne agricole est déjà condamnée, même avec l'arrivée des pluies», a exprimé le souhait de voir le gouvernement s'affranchir des «mesurettes» auxquelles on recourait à chaque fois qu’il y avait situation pareille. «Les agriculteurs et les éleveurs sont certes pessimistes, surtout les petits d'entre eux, mais si le gouvernement compte faire quelque chose en leur faveur, qu'il le fasse comme il se doit, en plaçant au premier plan l'être humain», a indiqué au «Matin» M. Guennouni, faisant remarquer «que ces agriculteurs qui avaient à peine de quoi vivoter avant, n'ont presque plus rien désormais».

Un changement de cap s'impose en ce qui concerne l'agriculture, le monde rural et la gestion des ressources en eau

D'après les économistes Abdeslam Seddiki et Taïb Aisse, le temps est à présent venu de procéder à une réorientation stratégique en faveur du monde rural, de l'agriculture et de la gestion des ressources en eau. Pour le premier, actuellement, toute chute de la production agricole de 7% se traduit par une baisse du PIB de 1%, et le secteur agricole accapare 30% de la force de travail au niveau national. Autrement, explique M. Seddiki, les mauvaises saisons se soldent toujours par une baisse du PIB et un chômage massif, notamment dans les zones rurales. D'où la nécessité de multiplier les efforts pour aller vers une agriculture plus résiliente vis-à-vis des aléas climatiques, et de repenser l'emploi en milieu rural de manière à le diversifier et à l'étendre à d'autres secteurs, indique l'économiste. Il est en outre impératif de s'atteler à la sécurisation de l'accès à l'eau potable dans les régions en proie au stress hydrique, le manque commençant même à se faire sentir dans les centres urbains, ajoute M. Seddiki.

De même, l'économiste Taïb Aisse abonde dans le même sens, indiquant qu’actuellement «40% de la population marocaine vivant dans les zones rurales ne contribue qu'à 15% du PIB national». Pour lui, il s'agit d'une «aberration» et le modèle actuel doit être revu afin que le monde rural apporte une plus forte contribution au PIB national, ce qui suppose d'y implanter de nouvelles activités non agricoles. Plus concrètement, M. Aisse est pour que 15% de la population du monde rural reste arrimée à l'agriculture, mais pour le reste, il faut songer à asseoir des écosystèmes propices à l’émergence d’activités artisanales (il rappelle que la campagne marocaine produisait abondamment d’objets d'artisanat dans les années 60 et 70 du siècle dernier), de petites industries, de petits commerces et aussi profiter de la digitalisation pour développer les activités de services externalisés. L'économiste appelle également à agir sur la problématique de l'accès à l'eau potable pour laquelle le recours au dessalement semble être une option de premier ordre.

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