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Sécurité alimentaire : pourquoi le Maroc n’a rien à craindre

Malgré la flambée des prix des céréales à l’import et une baisse prévue de la production, le Maroc a encore de la visibilité sur ses sources d’approvisionnement. Le constat est partagé par les différents intervenants à la 1re Matinale organisée mardi par le Groupe Le Matin sur la souveraineté alimentaire. Cependant, des actions semblent nécessaires pour à la fois renforcer le système productif agricole, baisser la consommation et s’orienter vers la substitution. Les détails.

Le Maroc pourra-t-il atteindre sa souveraineté alimentaire ? «Probablement non», de l’avis des experts qui ont animé, mardi à Casablanca, la première Matinale du cycle de conférences du Groupe Le Matin, dédiée à la Souveraineté alimentaire, sur le thème «Quels choix pour une plus grande autonomie du Maroc ?», devant un parterre de spécialistes. Cependant, tous s’accordent à dire que la sécurité alimentaire, elle, est possible à atteindre.

D’emblée, il existe une différence entre la souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire qu’il convient de garder à l’esprit. Le concept de sécurité alimentaire favorise l’abondance des denrées alimentaires sans aucune considération pour leurs provenances ou les conditions de leur production et commercialisation. La production locale n’est, à ce propos, pas une condition fondamentale pour atteindre la sécurité alimentaire. Inversement, c’est cette même production locale qui définit la souveraineté alimentaire qui, en plus d’être un objectif étatique, exprime le fond des aspirations paysannes, car elle prône la valorisation des producteurs locaux, la production locale et la création ainsi que l’amélioration du savoir-faire local.

Pour El Mostafa Chehhar, directeur du Domaine vert au Groupe Crédit Agricole, «la souveraineté alimentaire, c’est produire tout ce dont le Maroc a besoin. Et cela est impossible». La sécurité alimentaire, elle, suggère l’indépendance, une production locale maximum optimisée, un circuit de stockage et de commercialisation adapté, l’accessibilité économique et physique et une certaine stabilité. En gros, c’est rendre l’agriculture plus performante, résiliente et intégrée et c’est l’objectif des différentes stratégies (Plan Maroc Vert, Génération Green). La souveraineté alimentaire ne peut donc être atteinte pour plusieurs raisons dont la première est l’incapacité du Maroc à s’affranchir des marchés mondiaux et assurer son autosuffisance pour beaucoup de produits agricoles, souligne Chehhar.

Une céréaliculture en deçà des aspirations

Cette incapacité d’atteindre l’autosuffisance est prouvée, par exemple, dans la céréaliculture par la faiblesse de l’actuelle campagne agricole. «La faible récolte prévue pour l’actuelle campagne céréalière (32 millions de quintaux, soit un repli de 69% par rapport à la campagne précédente) peut s’expliquer par la sècheresse. Mais ce n’est pas la seule cause. La prédominance de la petite agriculture, la faiblesse du rendement moyen à l’hectare et le choix d’itinéraires techniques pas toujours adéquats sont également en cause», explique-t-il. À cela s’ajoute la conjoncture internationale qui a un effet direct sur les prix des intrants.

Multitude des facteurs impactant à la baisse la campagne actuelle

«On n’a jamais vécu ça : une faible pluviométrie, des barrages presque à sec et des prix d’intrants qui flambent. Les prix de l’azote ont grimpé pour atteindre 1.000 DH le quintal contre 400 DH auparavant. Et c’est connu, si on utilise moins d’azote, les rendements à l’hectare diminuent», s’étonne, pour sa part, Rachid Benali, premier vice-président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader). Cette hausse des prix serait le résultat de plusieurs facteurs. «Le Maroc traverse un contexte difficile avec plusieurs facteurs contraignants. Changements climatiques, pandémie et situation géopolitique Ukraine-Russie ont perturbé les marchés internationaux», explique pour sa part Hamid Felloun, DG de la Fédération nationale de l’agroalimentaire (FENAGRI).

L’industrie agroalimentaire peine à s’alimenter localement

Une bonne partie des besoins intérieurs est satisfaite par la production locale. Pour la céréaliculture, la production est concentrée dans des zones favorables des régions de Fès-Meknès et de Rabat-Salé-Kénitra (environ 60% de la production, ndlr). «Le problème majeur de l’Agriculture est que le rendement moyen reste en deçà des aspirations. Cela a un impact non négligeable sur l’industrie agroalimentaire. Aujourd’hui, l’industrie peine à s’alimenter en matières premières telles que les céréales, les oléagineux pour l’huile de table… en raison de l’augmentation de leurs prix», précise Felloun. Bien évidemment, au début, les acteurs ont essayé de résister au renchérissement en absorbant ces hausses des prix. Beaucoup ont malheureusement fini par les répercuter. Faut-il pour autant solliciter les pouvoirs publics ? «Non», martèle le DG de la FENAGRI : «Le soutien des pouvoirs publics n’est pas que financier. L’industrie bénéficie déjà d’appui technique, d’accompagnement et de plein d’autres mesures. Il n'y a tout simplement pas de baguette magique et il existe d’autres mécanismes que le soutien direct».

La baisse de l’offre ne constitue pas un risque pour le Maroc

Grâce au Plan Maroc vert, la production céréalière nationale couvre 60 à 65% de nos besoins. Le Maroc reste cependant obligé d’importer le reste. Cette importation a pour objectif de couvrir les besoins pour l’alimentation humaine et animale. «La majorité de la production, soit 80%, provient des zones pluviales. Bien sûr, les prix flambent partout dans le monde. Mais nous avons encore de la visibilité sur les sources d’approvisionnement», rassure de son côté, Redouane Arrach, secrétaire général du ministère de l’Agriculture. Et d’ajouter : «Par ailleurs, le Maroc a renforcé le rôle du secteur privé dans sa stratégie de sécurité alimentaire ; l’État, lui, garde un rôle de régulation. Les pays qui ont fait cela ont fait preuve d’une plus grande capacité à absorber les chocs. De plus, le Royaume dispose d’une logistique alimentaire développée par rapport au reste de la région».

Le Directeur du Domaine vert au Groupe Crédit Agricole abonde dans le même sens : «Certes, on constate une diminution de l’offre, mais ce n’est pas encore un vrai problème». En gros, c’est la flambée des prix qui inquiète, pas la baisse de l’offre. Quant aux sources d’approvisionnement qui s’offrent au Maroc, elles restent diversifiées : Égypte, Turquie, Bangladesh, Roumanie, Hongrie, Canada, France… Le Maroc s’en sort bien pour l’instant, s’accordent à dire l’ensemble des intervenants.

Surconsommation : augmenter les prix pour y mettre fin

Pour Benali, le plus grave, ce n’est pas l’approvisionnement mais la surconsommation : «On consomme trop de farine. Le pain à 1,20 DH ce n’est plus acceptable. Cela crée une perte phénoménale. Beaucoup de pain est jeté». À titre d’exemple, en 2020, 30 millions d'unités de pain ont été jetées chaque jour, selon la Fédération nationale de la boulangerie et la pâtisserie du Maroc (FNBPM), soit un quart de la production quotidienne totale. En d’autres termes, quelque 36 millions de DH sont jetés chaque jour, sur la base d’un prix de vente de 1,20 DH l’unité. Et c’est le prix qui incite à l’achat de quantités supérieures aux besoins réels. C'est pourquoi Benali invite à une révision «du plafonnement des prix qui incite à la surconsommation. La consommation atteint 350 kg par habitant par an». L’intervenant plaide pour un prix du pain plus raisonnable qui permet de trouver un équilibre et corriger la consommation. La FENAGRI adopte le même discours : «Le pain, on en consomme beaucoup. Mais on en gaspille beaucoup aussi». La fédération appelle à un réajustement de la politique publique dédiée à la céréaliculture.

Cette politique devra-t-elle obligatoirement inclure une extension des superficies dédiées à la céréaliculture ? «Non», répond immédiatement le secrétaire général du ministère de tutelle. «Les pouvoirs publics doivent faire les meilleurs choix tout en gardant à l’esprit que chaque choix implique des coûts. Ces choix prennent en compte la réalité des choses : contraintes climatiques, coûts, disponibilité… tout en s’assurant de maintenir la sécurité alimentaire. Je pense qu’il existe des solutions plus intéressantes que d’augmenter les superficies dédiées. On peut, par exemple, obtenir de meilleurs rendements à l’hectare, supérieurs même à ceux des pays développés», explique le secrétaire général du ministère de tutelle.

L’idée est partagée par la FENAGRI : «Il y a une marge de manœuvre pour les céréales. Il est possible d’améliorer les rendements dans les terres bours favorables et les petites superficies irriguées. Le concept de l’agrégation a prouvé lui aussi qu’il pouvait réussir à augmenter la productivité. Sans oublier les nouvelles technologies», propose-t-elle. Combinés, ces éléments présentent même un potentiel de substitution intéressant pour l’industrie agroalimentaire, car sur les 18 milliards de DH d’intrants dont elle a besoin annuellement, 10 milliards sont importés.

Eau : le nerf de la guerre

Selon Benali, le prix du blé au Maroc n’a pas changé depuis 30 ans. «Les prix sont tellement élevés aujourd’hui qu’il est plus rentable pour le Maroc d’opter pour le transfert d’eau», révèle-t-il. Il propose même d’opter pour de petits barrages dédiés à l’irrigation, moins budgétivores que les stations de dessalement d’eau de mer. Le ministère de tutelle, lui, est convaincu que le Maroc est situé dans une zone exposée aux changements climatiques. «Il faut donc travailler sur la maîtrise de l’eau», souligne le vice-président de la Comader.

Les accords de libre-échange pointés du doigt

Pour les agricultures de moins de 5 hectares, la subvention est de 100% quel que soit le produit agricole cultivé, fait remarquer Benali. De même, les petits agriculteurs ne sont pas soumis à la CNSS ni aux impôts. Malgré cela, certaines filières ont pratiquement disparu. «Dans beaucoup de cas, les accords de libre-échange en sont la cause», indique le vice-président de la Comader. Il est ainsi difficile de faire face à du concentré de jus importé d’Égypte quand on sait que le SMAG journalier y est à 2 dollars. «Nous sommes perdants surtout face à l’Égypte, la Tunisie et la Turquie», poursuit Benali. La subvention accordée, elle, va directement dans la poche de l’agriculteur d’en face. D’où l’intérêt d’une agriculture de substitution et d'un réajustement des mécanismes et des subventions.

En parallèle, et puisque Generation Green concourt vers une meilleure intégration de l’agroalimentaire, peu intégré actuellement, la préparation du nouveau contrat-programme lié à cette stratégie prend en charge ces préoccupations, révèle le DG de la FENAGRI. Enfin, le circuit de commercialisation, qui a un impact direct sur les prix de vente aux consommateurs finaux, est important. Et la stratégie Generation Green s’y attaque heureusement. «La pomme, par exemple, ne sort jamais à plus de 3 DH le kilo de chez l’agriculteur. Elle arrive chez le consommateur final à 12 DH», s’étonne Benali.

Sucre et colza : des objectifs biens définis pour réduire la dépendance 

Augmenter le taux de couverture de besoins alimentaires via la production locale est une nécessité afin de réduire la dépendance aux marché internationaux. Ainsi, pour les huiles de table, «l’objectif du ministère de l’Agriculture est d’atteindre une couverture allant de 30 à 40% des besoins contre 3 à 5% aujourd’hui», partage Redouane Arrach, secrétaire général du ministère de l’Agriculture. Un objectif réaliste et réalisable à l’horizon 2030, à l'en croire : «avec 400.000 à 500.000 hectares de terres bour, où le Colza est cultivé uniquement en rotation avec les céréales, l’objectif sera atteint sans difficultés», assure Arrach. Pour le sucre, la production actuelle couvre 47 à 50% des besoins annuels. De même, un million de tonnes est importé chaque année, dont une partie est destinée au marché national tandis que le reste est raffiné puis réexporté. L’objectif du ministère est de porter le taux de couverture à 70% des besoins par la production locale à l’horizon 2030.

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