Le réalisateur et ancien acteur Youssef Britel a reçu samedi dernier les réalisateurs Narjiss Nejjar (Les Yeux Secs, Terminus des anges, L’amante du rif) et Mohamed Abderrahmane Tazi (Le Grand Voyage, A la recherche du mari de ma femme, Les Voisines d’Abou Moussa) afin de discuter du processus d’adaptation du roman sur le grand écran. Ces réalisateurs ont en effet adapté deux romans de la littérature marocaine au cinéma. On se souvient tous du film d’Abderrahmane Tazi, « Les Voisines d’Abou Moussa » qui est une adaptation d’un roman d’Ahmed Toufiq et « L’Amante du Rif » de Narjiss Nejjar a adapté en 2011 le roman de Noufissa Sbaï.
Les réalisateurs sont tous les deux revenus sur l’histoire de l’adaptation cinématographique. Narjiss Nejjar a rappelé que dès les années 20, l’idée que le cinéma pouvait être un art autonome, même par rapport à ses sources d’inspiration, était présente, une idée avec laquelle elle est tout à fait d’accord. Mohamed Abderrahmane Tazi a lui évoqué le fait que, dans le monde arabe, l’art de l’adaptation cinématographie fut perçu comme une grande entrée dans la modernité occidentale. Il s’est attardé sur l’histoire du cinéma égyptien : des années 30 aux années 50, le cinéma égyptien a surtout adapté des œuvres occidentales mais cela change après la Révolution de 1952, et l’on commence à adapter de plus en plus d’œuvres littéraires arabes, avec notamment les romans de Najib Mahfouz.
Les réalisateurs ont également livré sur leur vision du processus d’adaptation au cinéma. Mme Nejjar considère qu’il est bien de garder une grande liberté puisque de toute façon la fidélité totale est un objectif irréaliste : le film et l’écrit n’utilise pas le même langage et un film ne pourra pas se substituer totalement à un livre. Il faut qu’il puisse devenir une œuvre autonome. Elle note également qu’alors que le roman est le plus souvent un travail individuel, un film est toujours un travail collectif, soit forcément influencé par différentes visions, et toutes ses lectures différentes mises ensemble fait que l’on est forcément conduit à, d’une certaine manière, trahir l’œuvre littéraire. M. Tazi a quant à lui évoqué la difficulté d’adapter des œuvres au cinéma, notamment à cause des problèmes posés par les maisons d’éditions. Le seul projet qui a pu aboutir, Les Voisines d’Abou Moussa, a bénéficié du fait qu’il avait été auto-édité par son auteur, avec qui M. Tazi a pu traiter directement. Il pense lui aussi que la fidélité totale n’est pas possible, et il a pour son adaptation à la fois supprimer et ajouter des scènes, pour des raisons cinématographiques mais également financière.
Enfin, Mme Nejjar et M. Tazi ont parlé de ce qu’ils les avaient attirés dans les romans qu’ils ont choisi d’adapter. Mme Nejjar est un cas un peu particulier car elle a choisi d’adapter le roman de sa mère, qu’elle considère comme un très beau roman. Elle a cependant trouvé le roman un peu trop prude et a voulu le rendre plus osé, tout en ayant le désir de ne pas trahir l’œuvre de sa mère. Elle a voulu réaliser sa propre vision, tout en ne s’éloignant pas trop du roman. M. Tazi a lui était attiré par les thèmes abordés dans le roman d’Ahmed Toufiq, notamment le soufisme, le rapport au pouvoir, la place de la femme dans l’Islam et les classes sociales. Il a également apprécié l’écriture très imagée du roman qui semblait fait pour le cinéma.
Ines Lamrani