L’envolée des cours des combustibles sur le marché international impacte lourdement les coûts de production de l’Office national de l’eau et de l’électricité (ONEE). Selon les projections de l’Office, le surcoût lié à cette inflation des produits pétroliers devra avoisiner les 25 milliards de dirhams pour l’ensemble de l’exercice 2022. C’est ce qu’a affirmé Mohammed Bouramtane, directeur du Pôle développement à l'ONEE, lors des Matinales organisées par Groupe Le Matin, sur le thème de la souveraineté énergétique, le 1er juillet à Casablanca. Le responsable rassure toutefois qu’en dépit de ce lourd impact sur les finances de l’Office, aucune hausse ne sera répercutée sur les ménages et les industriels. À l’en croire, l’ONEE est en train d’étudier avec l’État les différents mécanismes à activer pour éviter toute répercussion à court et moyen termes.
Concrètement, il s’agit de mettre sur les rails une stratégie globale de rationalisation et d’optimisation des dépenses d’investissement de l’Office. Ainsi, les projets d’investissement non prioritaires seront reportés pour que l’établissement puisse amortir le choc lié à cette flambée des prix des combustibles. De même, rappelle le responsable, la stratégie nationale énergétique prévoit une montée en puissance des énergies renouvelables d’ici 2030.
Le Maroc immunisé contre les crises
Bouramtane rappelle, par ailleurs, que la crise actuelle n’est pas la première. Le Maroc a pu, selon lui, faire face à d’autres situations difficiles par le passé et a su tirer son épingle du jeu grâce à des mesures strictes. Ainsi, affirme-t-il, lors de la crise de 2008 et même pendant le confinement de 2020, aucune coupure ou arrêt d’exploitation des centrales de production n’a eu lieu. «L’ONEE en tant qu’établissement public stratégique est garant de l’approvisionnement du pays en électricité et en eau potable. Le Maroc a pu vaincre bien des situations difficiles par le passé. Par exemple, lorsque le gazoduc qui liait l’Algérie à l’Espagne via le Maroc a été mis à l’arrêt, nous avons mis en œuvre toutes les actions nécessaires pour qu’il n’y ait pas de coupures ou de chamboulements de la production d’électricité», explique Bouramtane.
Face à la montée des prix des combustibles, dont celui du charbon qui a été multiplié par 5 et l’arrêt du gazoduc, l’ONEE affirme avoir agi sur 2 aspects : opérationnel et économique. Sur le plan opérationnel, «nous avons redémarré certaines unités qui étaient à l’arrêt de réserve», indique le responsable. En plus, poursuit-il, nous avons établi un plan d’anticipation des opérations de maintenance pour ne pas nous retrouver face à l’arrêt d’un équipement au moment où il ne faut pas. Et aujourd’hui, techniquement, tout est fait pour qu’il n’y ait pas d’arrêt d’exploitation, assure-t-il.Deux leviers : les prix et l'approvisionnement
Saïd Mouline, directeur général de l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique (AMEE) qui était également invité de la Matinale, affirme que la crise actuelle doit surtout être un facteur d’accélération du processus de réalisation des projets d’énergie renouvelable. «En dépit de sa stratégie énergétique lancée en 2009 et qui a mis le cap sur les énergies renouvelables, le Maroc demeure fortement dépendant des combustibles, soit à 89%. Il est donc aujourd’hui prioritaire d’enclencher un inversement de tendance en donnant un coup d’accélérateur aux projets d’énergie renouvelable et en renforçant davantage notre efficacité énergétique», suggère le patron de l’AMEE. Face à l’envolée des prix des hydrocarbures, Mouline estime que le Maroc peut agir à travers deux volets : les prix et l’approvisionnement.
La formule consiste en effet à sécuriser d’abord l’approvisionnement dans un contexte de fortes tensions sur les ressources, ensuite faire en sorte que ces dernières soient acquises à des prix compétitifs. Pour le DG de l’AMEE, la demande en électricité au Maroc devra afficher une forte croissance dans les années à venir eu égard à la montée en puissance du modèle industriel du Royaume et du taux d’équipement des ménages en appareils électroniques. Face à cette augmentation de la demande, le pays a tout intérêt à ce que ses besoins soient satisfaits via ses ressources renouvelables locales et avec une efficacité énergétique importante.
Les ENR, un facteur d'équilibre entre offre et demande
Mohamed Ouhmed, directeur des énergies renouvelables au ministère de la Transition énergétique et du développement durable, quant à lui, assure que grâce à la politique de diversification des ressources d’énergie engagée depuis 2009, le Royaume dispose de marge de manœuvre pour maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande. «Le modèle énergétique adopté par le Royaume commence aujourd’hui à porter ses fruits puisque les énergies renouvelables contribuent déjà à satisfaire le 1/5 de notre demande énergétique», argue-t-il. Selon lui, face à l’envolée des prix des combustibles, des mesures ont été prises au département de l’Énergie. Ainsi, un mécanisme de suivi «rigoureux» du programme d’approvisionnement du pays a été mis en place. Il s’agit en fait de commissions qui intègrent aussi bien les sociétés importatrices que les opérateurs publics impliqués. Leur mission : suivre de près l’approvisionnement du marché et la situation des stocks. À terme, une commission nationale présidée par le Chef du gouvernement est aussi prévue. Sa mission : assurer le suivi de la disponibilité des ressources d’énergie. Le responsable indique en outre qu’en termes de capacité globale ENER installée, le Maroc est actuellement à 4GW. Soit 38% de la capacité globale de production d’électricité.
Cette capacité sera davantage renforcée avec l’entrée en service d’une soixantaine de projets actuellement en phase de développement qui cumulent une capacité de 4,6 MW. Ce qui veut dire que la capacité ENER sera ainsi multipliée par 2. Pour Ouhmad, la recherche de la souveraineté énergétique a toujours figuré dans la stratégie énergétique du Royaume. «Nous œuvrons depuis toujours à diversifier nos sources d’importation mais aussi nos ressources énergétiques locales. Cette volonté a été accentuée en 2009 en lançant un nouveau modèle basé sur le développement des énergies renouvelables mais également en renforçant l’efficacité énergétique pour laquelle nous disposons d’un potentiel économique extrêmement important. Sans oublier l’intégration régionale à travers la valorisation des interconnexions électriques avec nos partenaires européens», développe le responsable ministériel. Selon lui, la situation du marché actuellement est instable, car marquée par des fluctuations répétitives. La crise est due en partie à la relance économique mondiale post-Covid qui a boosté la demande en énergie et à la guerre en Ukraine.
-----------------------------------------------------Des économies d'énergie salvatricesL’efficacité énergétique est l’une des conditions clés pour assurer la souveraineté énergétique du Royaume. Pour Mouline comme pour Ouhmed, l’optimisation de la consommation de l’énergie dans les différents secteurs de l’économie pourrait permettre de réaliser des économies importantes en termes de facture énergétique. «Si chaque Marocain réussit à économiser 1% de sa consommation d’énergie, l’on pourrait économiser 1 milliard de DH. Donc, l’enjeu est dans l’adoption de bons comportements de consommation aussi bien par les ménages, que les industries, les transports et le bâtiment », développe Mouline qui rappelle au passage que pas moins de 60.000 agriculteurs sont aujourd’hui équipés en pompes solaires.
Dans le bâtiment, il est tout aussi prioritaire et stratégique de changer la manière de construire en recourant à des matériaux plus écolos et en équipant les logements de panneaux solaires. En industrie, Ouhmad souligne que le projet de loi sur l’autoproduction, actuellement au Parlement, permettra d’aller vers plus d’efficacité énergétique dans l’industrie. En plus de satisfaire leurs besoins, les auto-producteurs auront la possibilité de vendre leur excédent d’électricité. Ce qui contribuera fortement à renforcer la souveraineté énergétique du Royaume. Selon le Monsieur Energie renouvelable du ministère, d’ores et déjà les demandes d’autoproduction ont commencé à affluer sur son bureau. En reprenant la parole, Mouline a profité de l’occasion pour rappeler que le secteur bancaire offre aujourd’hui toute une panoplie de produits dédiés au financement des actions d’efficacité énergétique en industrie. Des leviers donc à mettre à profit pour aller vers une décarbonation substantielle de l’industrie.
Le gaz naturel pour flexibiliser la production d'électricitéEn misant sur le gaz naturel, le Royaume a fait le bon choix. Selon Saïd Mouline, cette ressource énergétique est stratégique dans la mesure où elle permettra au pays de flexibiliser sa production d’électricité. En effet, explique-t-il, le gaz naturel pourrait jouer un rôle de substitution lorsque, par exemple, il y a une absence de vent pour l’éolien. «La politique d’approvisionnement du Maroc en gaz naturel est tout à fait bénéfique dans ce sens où elle sera un complément pour les énergies renouvelables», développe le DG de l’AMEE. De même, poursuit-il, le gaz naturel pourrait jouer un rôle déterminant en industrie puisqu’il permettra aux opérateurs d’être plus compétitifs et en ligne avec les exigences en termes de décarbonation des process de production. Pour son approvisionnement, le Maroc mettra à profit la connexion qui le relie déjà à l’Espagne.
Le directeur de développement de l'ONEE abonde dans le même sens soutenant que la montée en puissance des énergies renouvelables mettra le Maroc face à des défis. «En effet, vu le caractère intermittent des énergies renouvelables, nous devons avoir une source d’énergie alternative. C'est-à-dire que quand le soleil n’est pas là ou encore le vent, le gaz naturel pourrait jouer ce rôle de substitut pour qu’il n’y ait pas de rupture de la production», développe Bouramtane.
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Ils ont dit
Saïd Mouline, DG de l'Agence marocaine pour l'efficacité énergétique (AMEE)
«Le Maroc est toujours très dépendant énergétiquement, il faut accélérer les choses»
• Le Maroc est toujours très dépendant énergétiquement, nous n’avons pas de ressources fossiles pour le moment.• Il y a quelques années, nous étions dépendants à 96%, aujourd’hui, ce taux est passé à 89% en termes d’énergie primaire. Il faut donc accélérer les choses.• Il faut assurer la ressource et l’approvisionnement et puis réfléchir à comment adopter les prix les plus compétitifs possible.• Le Maroc affiche un taux de 0,65 TEP (tonne équivalent pétrole) par habitant. Nous sommes très loin de la moyenne mondiale.• Le Maroc a une croissance de la demande énergétique qui est normal parce que le pays se développe, les ménages s’équipent de plus en plus, sans oublier les changements du mode de vie dans le monde rural.• La flexibilité du gaz est importante, car elle permet d’avoir plus de renouvelable sur le réseau.• Beaucoup d’industriels sont à la demande de gaz naturel pour avoir un meilleur rendement de leurs process et une facture plus basse.• 40% de la consommation énergétique du Maroc est allouée au secteur du transport, l’industrie, 20%, le résidentiel 25% et l’agriculture 7%.• Un Marocain émet 7 fois moins de CO2 qu’un européen. Et face à la crise, des pays européens font renaître leurs centrales à charbon.• Il faut faire la distinction entre capacité renouvelable sur le réseau et la production réelle. La capacité actuelle au Maroc est de 40%, la production n’est que de 25%.• L’éolien a très bien fonctionné cette année, alors que l’hydraulique a produit moins à cause de la rareté de l’eau.• L’approche marocaine basée sur le partenariat public-privé a bien fonctionné.• Nous avons comptabilisé la part renouvelable centralitée, mais pas la décentralisée. Pourquoi les 600 mégawats des pompes solaires ne sont pas comptabilisés dans le bilan global de cette énergie ?• L’Afrique compte 600 millions de citoyen sans électricité. On ne peut pas dire à ces pays qui dispose de gaz de ne pas l’’utiliser pour des raisons d’écologie, c’est n’importe quoi !• SI un pays africain dispose d’énergie fossile, il faut l’utiliser et mener en parallèle une politique de mix énergétique.• Le Maroc a le potentiel pour développer l’hydrogène vert. L’Europe cherche à importer cette énergie, le Royaume doit donc se positionner sur ce segment.• L’hydrogène vert est pour la première fois moins cher que l’hydrogène gris cette année.• Le Maroc peut passer d’un pays importateur d’énergie grise à un exportateur d’énergie verte.• La facture énergétique peut dépasser les 100 milliards de DH cette année. 1% d’économie d’énergie, à réaliser uniquement par l’amélioration de certains comportements, équivaut à 1 milliards de DH de charge en moins pour notre facture énergétique et donc un gain pour notre souveraineté énergétique.*********************************************************************
Mohammed Bouramtane, directeur du Pôle développement à l'ONEE«Il n’y aura pas d’impact sur la facture électrique des citoyens et des industriels à court et moyen termes»
• Le mix énergétique national est composé aussi bien d’énergie renouvelable que combustible fossile.• Dans ce contexte de crise, le prix du charbon a été multiplié par 5, le pétrole par 3 et le prix d’importation du gaz a connu un pic important.• L’ONEE gère ces fluctuations sur deux volets : opérationnel et économique.• L’ONEE a procéder au redémarrage de certaines unités qui était à l’arrêt de réserve et planifie une maintenance anticipée.• Aujourd’hui, l’ONEE n’enregistre aucun arrêt sur la production de l’exploitation de l’électricité.• L’impact financier est important sur la trésorerie de l’Office qui gère cette situation avec l’État sans impacter la facture du citoyen.• C’est l’ONEE qui supporte l’inflation créée par la hausse des prix des énergies, l’Office fait appel à des mécanismes spéciaux pour gérer la situation sans toucher la facture des citoyens et des industriels, au moins dans les court et moyen termes.• En tant que planificateur du système électrique, on prévoit une montée en puissance des énergies renouvelables, toute énergie confondue.• À l’horizon 2030, on planifie près de 8,5 gigawatts de renouvelable entre l’éolien et le solaire. Ces projets sont ouverts au public et au privé.• Avec la libéralisation du secteur et la mise en place de l’agence de régulation et la multiplication des opérateurs privés, nous sommes dans l’obligation de séparer les taches entre la production, le transport et la distribution pour arriver à évaluer les coûts réels et encourager la concurrence dans l’objectif de baisser la facture énergétique.• Nous avons l’obligation d’augmenter la production qui est dictée par le taux de croissance.• L’énergie disponible au Maroc c’est le solaire et l’éolien, le gaz est en cours d’exploration.• On ne pense pas au nucléaire pour le moment en raison des coûts et des opportunités présentes, mais les départements concernés suivent les évolutions dans le monde et le moment opportun, nous aurons notre centrale nucléaire certainement.• Toute source d’énergie compétitive est la bienvenue. Nous sommes prêts à aller vers l’hydrogène vert si ça permet de contribuer à la baisse de la facture énergétique.
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Mohamed Ouhmed, directeur des Énergies renouvelables au ministère de la Transition énergétique et du développement durable«On ne pense pas au nucléaire pour le moment, mais notre mix énergétique n’exclut aucune ressource»
• Le modèle qui a été adopté en 2009 commence déjà à porter ses fruits. Les énergies renouvelables couvrent aujourd’hui près du 1/5e de notre demande énergétique.• Pour augmenter ce taux, des mesures sont prises à court terme, notamment la mise en place d’un mécanisme pour le suivi rigoureux des programmes d’approvisionnement, la situation des stocks énergétiques et la consommation.• Le ministère de la Transition énergétique se base sur un certain nombre d’initiatives déjà entamées pour développer un mix énergétique équilibré et à bas carbone.• La refonte du cadre institutionnel est l’une des orientations prioritaires du nouveau modèle de développement énergétique du Maroc.• L’efficacité énergétique est un levier important de cette stratégie et il est assuré au niveau de l’AMEE.• 80 mesures sont initiées à ce jour pour gagner en efficacité énergétique. Nous appelons les acteurs du public et du privé pour leur mise en œuvre.• La gouvernance du secteur est également un des leviers pour atteindre la souveraineté énergétique. C’est un chantier déjà amorcé, notamment avec la séparation des rôles de la production, le transport et la distribution, ainsi qu’une approche régionalisée et une amélioration du cadre législatif et réglementaire.• Nous traitons beaucoup de demandes relatives à l’autoproduction de l’énergie. Nous mettons en place un cadre simplifié qui s’aligne avec les grandes orientations du Maroc en termes de simplification des procédures administratives et pour doter les opérateurs de la visibilité nécessaires pour leurs projets.• L’efficacité énergétique signifie une optimisation de la consommation en luttant contre le gaspillage, c’est aussi un enjeu de souveraineté.• Les 80 mesures mises en place en collaboration avec l’AMEE permettent d’attendre au moins 20% d’économie d’énergie à l’horizon 2030.• Le développement de bio-carburants et de la mobilité électrique permettront de réduire notre dépendance par rapport aux énergies fossiles et de l’importation.• Pour gagner en efficacité énergétique, nous sommes obligés de recourir aux technologies de l’information et de digitaliser le secteur pour notamment renforcer le monitoring de la production renouvelable intermittente et en particulier éolienne et solaire.• Le ministère travaille sur un texte de grande importance qui est celui des ESCO privés (Energy service company) qui vont booster ce chantier d’efficacité énergétique en apportant les solutions technologiques adéquates et les financements nécessaires.• Les énergies renouvelables c’est plus qu’une priorité, c’est une orientation et un choix stratégique. Le Maroc est train d’explorer d’autres filières pour renforcer sa souveraineté énergétique : les énergies marines, la biomasse et l’hydrogène vert.• Notre mix énergétique n’écarte aucune ressource, y compris le nucléaire. Pour le moment, il n’y a pas de plan identifié à ce niveau, il y a des prérequis à étudier et le ministère est déjà sur ce chantier.
Souad Badri