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Souveraineté sanitaire : Les prescriptions des laboratoires marocains pour une industrie pharmaceutique forte

Les laboratoires pharmaceutiques marocains veulent faire de leur secteur une industrie souveraine. Renforcer la préférence nationale dans les marchés publics, fermer le robinet à l’importation pour les laboratoires fantômes, instaurer le principe de la réciprocité import/export, favoriser la prescription et la vente de génériques marocains font partie de leurs conditions pour y arriver. La Matinale organisée, vendredi dernier, par le Groupe «Le Matin» sur la souveraineté pharmaceutique, a été l’occasion pour eux de le rappeler.

Souveraineté sanitaire : Les prescriptions des laboratoires marocains pour une industrie pharmaceutique forte
Le Groupe «Le Matin» a organisé, vendredi à Casablanca, une Matinale sur le thème «Souveraineté sanitaire : Comment développer une industrie pharmaceutique nationale forte». Ph. Sradni

L’industrie pharmaceutique marocaine était au cœur d’un débat très animé, vendredi, lors de la deuxième d’une série de 5 Matinales de l’actuel Cycle de conférences du Groupe «Le Matin» traitant de la souveraineté. Cette matinale, organisée sur le thème «Souveraineté sanitaire : Comment développer une industrie pharmaceutique nationale forte», a permis de mettre la lumière sur les difficultés auxquelles font face les laboratoires marocains.

Dans son discours d’ouverture de la Matinale, le président du Groupe «Le Matin» a rappelé qu’«il n’y a pas eu de solidarité sanitaire lors de la pandémie. Et les pays les plus riches, ou ceux qui avaient des réserves affichaient des taux de vaccination élevés par rapport aux autres». Cette situation a fait de la Souveraineté pharmaceutique une priorité dans beaucoup de pays. Qu’en est-il au Maroc ?

De l’avis de l’ensemble des intervenants, le Maroc subit, depuis 2 ans, une situation difficile à cause de la pandémie de la Covid-19 et de la crise Ukraine-Russie. «L’industrie pharmaceutique marocaine a subi deux lourdes années et continue avec la crise Ukraine-Russie. En plus de la hausse des prix, des pénuries sont carrément observées sur certains produits et matières premières», partage Lamia Tazi, PDG de Sothema et vice-présidente de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP).

En plus de ces difficultés, l’industrie pharmaceutique marocaine n’a pas une protection suffisante», souligne Hakima Himmich, membre de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement (NMD).

En effet, malgré la hausse des prix des intrants, les laboratoires marocains vendent à des prix réglementés et sont même «déficitaires sur certains produits à cause de cette flambée des prix des intrants», indique Mia Lahlou Filali, PDG de Pharma 5 et vice-présidente de la FMIIP. Pourtant, nos laboratoires ont du mal à faire face aux produits importés alors que «les médicaments qui sont très chers au Maroc sont ceux importés», révèle Lahlou Filali. Pourquoi ?

Les raisons d’un déséquilibre chronique

«La souveraineté, au bout du compte, c’est sauver des vies. Et développer une industrie pharmaceutique solide est une condition sine qua non pour y arriver», déclare Abdelhakim Yahyane, directeur de la Population au sein du ministère de la Santé. Sauf que, pour l’instant, la situation penche en faveur des médicaments importés.

D’abord, «les médecins ne prescrivent pas assez de génériques fabriqués par les laboratoires marocains», affirme Lahlou Filali. Il faut dire que la problématique de l’éthique du secteur et la relation laboratoire-officine-médecins est souvent pointée du doigt. À ce propos, Lahlou Filali souligne que la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) «commence à épingler les écarts». Les ventes en pharmacie, elles, devraient, selon les professionnels, s’orienter plus vers les génériques même quand le médecin prescrit un princeps. «Les remboursements des frais de médicaments ne doivent être calculés que sur la base du prix des génériques. De plus, le pharmacien doit avoir l’obligation de substituer les principes par des génériques, une démarche plus compliquée sûrement», reconnaît Hakima Himmich.

Des médicaments importés plus cher au Maroc qu’ailleurs

Ensuite, même si les médicaments importés sont 10% plus chers au Maroc qu’ailleurs, «le robinet est ouvert à l’importation», regrette la PDG de Pharma 5. Résultat des courses, l’industrie pharmaceutique marocaine ne couvre que 55% des besoins, alors qu’elle en couvrait plus des deux tiers 10 ans plus tôt. «Car il y a eu des largesses et on a autorisé les laboratoires fantômes important des génériques fabricables au Maroc à des prix plus chers», regrette Lahlou Filali. Cette «largesse» a causé une baisse de la consommation moyenne de médicaments au Maroc : 420 à 430 DH par an, contre 700 à 800 DH auparavant. De son côté, Najem Basmail, de la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) au sein du ministère de la Santé, reconnaît qu’il faut «revoir le décret sur les prix des médicaments et révèle que le ministère a démarré des concertations avec les professionnels pour revoir les modalités de calcul des prix». Mais est-ce suffisant ?

Des solutions radicales pour une industrie pharmaceutique forte

Les industriels du secteur veulent que le produit made in Morocco ait plus de valeur. «L’Égypte a traité tous ses malades d’hépatite C par son propre générique. Et nous, au Maroc, nous ouvrons la porte à un produit importé. C’est honteux !», s’étonne Himmich. Selon les professionnels, il faut commencer par remédier à l’absence de réciprocité : «Pour exporter des médicaments produits au Maroc, les sites de production sont inspectés plusieurs fois avant l’obtention de l’autorisation. En revanche, le Maroc n’impose aucune condition similaire pour importer des médicaments étrangers», révèle Lahlou Filali. Et d’ajouter : «le Maroc accepte les médicaments égyptiens, je défie n’importe quel laboratoire marocain de réussir à y enregistrer un médicament marocain». Par ailleurs, les professionnels appellent à renforcer la préférence nationale pour les marchés publics et proposent un «Fast-track qui permet l’enregistrement rapide des médicaments génériques marocains dès qu’un princeps tombe dans le domaine public», note Tazi. Car jusqu’à présent, partage Tazi, «le traitement des dossiers de demandes d’autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des produits made in Morocco prend plus de temps que pour celui des génériques indiens ou égyptiens».

Une stratégie plus agressive face aux brevets internationaux

Pour Himmich, le Maroc devrait également adopter une stratégie plus agressive pour s’assurer une industrie pharmaceutique forte. «Ça suffit avec les accords de protection des brevets», réclame-t-elle. Et pour cause, des pays comme l’Inde et l’Égypte ne reconnaissent pas les brevets et ont donc une longueur d’avance sur nous. «Il faut une volonté politique pour aligner la politique de santé avec la politique diplomatique», souligne Himmich.

Innovation, une étape qui sera franchie lorsque les problèmes de base seront réglés

Le secteur pâtit d’un faible investissement dans la recherche et l’innovation. Sur ce registre, les professionnels ont déjà entrepris quelques actions, mais restent prudents en raison des difficultés actuelles. «Oui à l’innovation. Mais réglons d’abord nos problèmes basiques», recommande la PDG de Pharma 5. Car l’enjeu est de taille : «2 milliards de DH à gagner sur la balance commerciale si certains médicaments fabricables au Maroc sont lancés», révèle Tazi. Et d’ajouter : «Ce volume peut être réalisé avec les capacités de production actuelle, sans aucun investissement additionnel». Sans parler des pertes fiscales. «Les importateurs de médicaments ne paient pas d’impôts au Maroc. Toute leur marge reste à l’étranger», explique Lahlou Filali. En effet, l’importation de médicaments génériques n’apporte aucune valeur ajoutée au Maroc et inonde le marché de médicaments mis sur le marché par des laboratoires «fictifs» au Maroc.

Ainsi, selon les laboratoires marocains, avoir une industrie pharmaceutique forte et indépendante dont les produits sont préférés aux médicaments importés et accessibles à des prix raisonnables ne peut se faire qu’en coupant avec les pratiques actuelles et en instaurant des mécanismes assurant une concurrence loyale et un accès rapide aux dernières innovations. «La DMP actuelle a hérité des dégâts de deux mandats gouvernementaux catastrophiques», martèle Lahlou Filali. Régler tous les dossiers demandera certainement du temps, mais il faudra cependant agir vite. «Si l’État veut une industrie moue, on se mettra tous à importer, car c’est plus rentable et moins compliqué», prévient Lahlou Filali.

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Le Maroc n’est pas attractif pour les médecins

Offrir des soins de qualité au Maroc peut passer aussi par des partenariats public-privé. «Car l’État ne peut pas tout faire seul, le privé est incontournable», affirme Abdelhakim Yahyane. L’exemple le plus éloquent à ce propos est celui de la dialyse (achat par le public de dialyse dans le privé). Mais l’hôpital devra continuer ses missions de soins, notamment dans les zones reculées. «Il faut préserver l’hôpital public, car le privé ne peut pas assurer toutes les missions, notamment celle de former des médecins», souligne Himmich. Seul bémol, l’hôpital marocain n’attire plus les médecins. «Pour les concours de médecine, sur 500 postes ouverts, il n’y a que 80 qui se présentent. Mais ils refusent d’être affectés dans le rural. Ils préfèrent des villes comme Rabat et Casablanca», reconnaît le représentant du ministère de tutelle. Et même quand on a démarré la formation, l’envie de quitter le Maroc reste très forte : «7 étudiants en médecine sur 10 souhaitent quitter le Maroc», se désole Himmich. Pour compenser cette fuite des compétences, recruter des médecins étrangers peut être une solution bénéfique. Seulement, le Maroc n’est pas attractif non plus pour cette catégorie. «Seuls 47 dossiers de médecins étrangers ont été déposés pour exercer au Maroc. C’est faible, il faut mieux communiquer», reconnaît Yahyane. Pour Himmich, dont le parcours professionnel est exclusivement dans le public, il faut rendre l’hôpital plus attractif et instaurer certaines règles et incitations. «Il n'y a pas de facturation ni d’informatisation dans les hôpitaux publics. C’est anormal !», déplore-t-elle. Une fois ce dysfonctionnement réglé, il serait évident, selon cette professionnelle, d’instaurer un système d’incitations récompensant les médecins assidus et productifs dans les hôpitaux.

 

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