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«Tisser le temps politique au Maroc» : les concepts et les images vulgarisés par Mohamed Tozy

La cinquième rencontre organisée par Book Club Le Matin, en marge du SIEL 2022, a été consacrée à l’ouvrage «Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’État à l’âge néolibéral». Co-écrit par Béatrice Hibou et Mohamed Tozy, le livre regorge de concepts, d’idées et d’images qui demandaient à être mieux explicités au public. Et c’est l’exercice auquel s’est livré M. Tozy, avec l’animateur de la rencontre, Abdellah Tourabi.

«Tisser le temps politique au Maroc» : les concepts et les images vulgarisés par Mohamed Tozy

La rencontre organisée mercredi par le Book Club Le Matin en marge du SIEL 2022 a été un moment d'échange intense. Et par moments, il faut le dire, la discussion s'apparentait à un cours magistral, compte tenu de la terminologie utilisée, mais également en raison de l'assistance composée majoritairement de chercheurs et d'universitaires venus interpeller l'auteur qui n'est pas à présenter : le professeur et politologue Mohamed Tozy. De même, l'animateur, Abdellah Tourabi, encore imprégné du monde de la recherche universitaire étant lui-même un récent doctorant, a ajouté à ce climat studieux, voire académique.

Autant d'ingrédients donc qui ont contribué à faire du débat autour du livre «Tisser le temps politique au Maroc», un échange de haute facture où les idées et les concepts les plus savants ont été décortiqués autant que faire se peut pour rapprocher le public de leur signification, de leur portée et du contexte de leur utilisation. Et il faut dire que l'ouvrage proposé à la discussion, «Tisser le temps politique au Maroc», en regorge.

Paru en septembre 2020 aux éditions Karthala, il est le fruit d'une trentaine d'années de recherches sur le terrain. A cet égard, Mohamed Tozy a souligné que «ce livre relève des sciences sociales et du politique. Le livre prend comme terrain le Maroc, mais il n'est pas dédié au Maroc uniquement. Je ne suis pas "marocologue". L'objectif de ce travail est de problématiser des sujets qui paraissent évidents comme les concepts d'État, néolibéralisme... Il y a donc un effort de conceptualisation à partir d'un terrain donné. C'est la trajectoire qu'on essaye de décrire», a-t-il
analysé.

Justement, lors de cette rencontre, l'auteur a été amplement interpellé sur les sens des concepts utilisés tout au long des 660 pages de cet ouvrage. Le but ayant été de mieux comprendre ce travail et être sur la même longueur d'onde que son auteur, d'autant qu'il s'agit de concepts qui méritent d'être clarifiés afin d'éviter au lecteur d'être prisonnier de ses propres préconceptions. En effet, les concepts utilisés, comme État, Makhzen, Empire, pouvoir, exercice du pouvoir, imaginaires politiques... sont lourds de sens et supposent différents registres de compréhension.

C'est ainsi que l'auteur a été interpellé en particulier sur le concept du néolibéralisme au Maroc. Là, M. Tozy a expliqué que le néolibéralisme est différent du libéralisme qui peut être à la fois politique ou économique. Il a ainsi essayé de définir ce concept par rapport aux mécanismes auxquels il a recours tels que le management, les contrats, l'admission de l'inégalité entre les individus... Selon lui, de tels mécanismes apparaissent par exemple dans l'islamisme en tant que système politique... «Un système dans lequel l'individu est l'acteur principal et non pas l'État. Les exemples des modèles islamistes en Indonésie, Égypte, Tunisie et au Maroc pendant 10 ans montrent les accommodements vis-à-vis des recommandations de la Banque mondiale et d'autres institutions qui sont les producteurs des normes néolibérales. Ce qui n'a jamais été aussi fort qu'au cours de ces gouvernements. Les réticences étaient par exemple beaucoup plus importantes durant le gouvernement d'alternance (NDLR : gouvernement d'Abderrahman El Youssoufi, 1998-2000)», a-t-il indiqué.

Pour lui, il faut faire la distinction entre libéralisme politique, libéralisme économique et néolibéralisme. «Ainsi, on ne dit pas que l'État
marocain est néolibéral, mais on dit qu'il s'accommode du néolibéralisme. Ce qui est intéressant, c'est de chercher quels sont les porteurs du néolibéralisme» , a-t-il déclaré. C'est ce à quoi répondent les nombreuses pages du livre, notamment le dernier chapitre intitulé
«les porteurs du néolibéralisme». Ce chapitre évoque les technocrates ingénieurs de l'économie et de la finance, les anciens hommes de gauche devenus acteurs économiques, les élites traditionnelles modernisées, la société civile bourgeoise, les notabilités locales multipositionnées, les experts, les islamistes, outsiders devenus insiders...

L'auteur a été également questionné sur la signification d'un autre terme qui revient à maintes reprises dans le livre, l'Empire. En réponse, M. Tozy a commencé par souligner que le livre, dans l'ensemble, s'insère dans un courant récent de pensée qui cherche à définir l'État. Il a évoqué l'existence d'un vrai courant assez récent défendu par des historiens et politistes américains, il y a quatre ou cinq ans, qui réfléchit sur la forme impériale.

Ainsi, pour lui, «l'Etat c'est d'abord un ensemble de façons ou d'ingénierie de gouverner et une conception de la relation gouvernant-gouverné. Il peut être l'État cité ou l'État empire comme ça peut être l'État-Nation. Le travail de conceptualisation que j'ai fait avec Béatrice Hibou commence par chercher quelles sont les caractéristiques ou les façons de gouverner dans un empire et dans un État-Nation. L'empire s'accommode dans sa façon de gouverner du pluralisme. Il peut gérer plusieurs religions, ethnies... On gouverne plus les hommes que les territoires, on peut gouverner sans administrer, on se réfère à la loyauté qui prime l'obéissance et le souci de l'économie dans les coûts», a-t-il expliqué. Pour lui, dans un empire, on parie sur le contrôle de l'information, sur le contrôle des points stratégiques, en précisant qu'il y a une série d'indicateurs pour dire s'il s'agit d'un gouvernement de type impérial. «Parallèlement, dans un État-Nation, on ne s'accommode pas du pluralisme qui est un danger pour lui, on a affaire à des citoyens, il y a absence de pluralisme juridique, on n'accepte pas la discontinuité territoriale», a-t-il précisé en essayant de rapprocher l'assistance de ce concept sur lequel il a co-travaillé.

Dès lors, une question s'est imposée en toute logique lors de cette rencontre : dans quelle case se trouve le Maroc d'aujourd'hui ? En réponse, il a affirmé qu'il faut voir les performances liées à la politique du Maroc, qui ont trait au gouvernement impérial et qui sont naturelles. Il a également souligné que le Royaume a utilisé le registre impérial dans la gestion du dossier du Sahara. L'auteur a aussi été questionné sur le choix du mot tisser dans le titre du livre, «tisser le temps politique au Maroc». Il a indiqué en réponse qu'il s'agit d'une métaphore intéressante choisie, d'abord, dans le sens de l'enchevêtrement des temporalités, des styles, des façons de gouverner, des postures... «Les Marocains tissent leur vécu d'une façon intéressante, notamment dans leur rapport à la religion, à la politique», a-t-il conclu.

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