«Al Moutcho», dernier ouvrage de l'écrivain Hassan Aourid, est un roman qui croise habilement réflexions intellectuelles et qualité littéraire. À travers un personnage qui cherche à transcender sa partition identitaire, M. Aourid dépeint également la situation problématique d'un monde arabe en proie au repli identitaire.
«Al Moutcho» : un savant compromis entre délectation du lecteur et élucidation
L'enjeu pour l’auteur de «Al Moutcho» était de traiter dans une trame littéraire des questions intellectuelles brûlantes. «Je dois avouer qu'au fil d'une carrière longue d'une décennie d'enseignement sur le monde arabe à des étudiants étrangers, je suis parvenu au constat que les Arabes sont méconnaisseurs de leurs causes et déficients en termes de vision critique», a dit M. Aourid. Le monde arabe, marqué par un crépuscule de la pensée, est resté «suspendu entre la Da'wa et la poésie, et n'a pas enfourché la monture de la pensée. On ne peut pas changer une réalité sans une conception, et donc sans pensée. Revenir sur les axiomes, critiquer la réalité et prévoir l'avenir. Voilà en résumé les principales consignes si l’on veut sténographier la pensée».
«Mais faut-il pour cela écrire un roman ?» s'interroge M. Aourid. «Ne serait-il pas plus sensé de faire un essai plutôt que de lasser le lecteur, sachant que la condition première de l'écriture romanesque est de procurer de la délectation ?» «J'essaie toujours de combiner amusement et élucidation. Il est nécessaire que le lecteur bénéficie d'une expérience enrichissante à travers la pensée. C'est pourquoi cette œuvre est faite de trois strates : des préoccupations intellectuelles, et quand je sens que j'ai trop chargé le lecteur, je passe à la narration, et je mélange cela avec des passages humoristiques», explique-t-il. «J’ai relu le livre et j’ai trouvé qu'il y avait une “surcharge intellectuelle”, raison pour laquelle je l'ai élagué pour en conserver l'aspect distrayant».
De l'amateurisme au professionnalisme
Le fort intérêt du public pour «Al Moutcho» et sa grande résonance sont autant de motifs de satisfaction. «Ce travail se démarque complètement des autres que j'ai écrits, et gagne peut-être en professionnalisme. Il est probablement juste de dire que je suis passé de l'amateurisme à ce que l'on pourrait appeler le professionnalisme», affirme l’écrivain, ajoutant qu’un «roman est un mensonge qui vaut pour vérité. Nous inventons des choses pour traiter de réalités».
Une allusion à Abdellah Laroui ?
Hassan Aourid a-t-il fait allusion à Abdellah Laroui dans son roman ? Sa réponse est non. «Abdellah Laroui n'est pas nommé dans le roman. L'acteur principal, “Al Moutcho”, parle d'un intellectuel arabe sérieux qui a su scruter la culture arabe. Et je pense qu'il n'est pas offensant de qualifier quelqu'un de sérieux, précis, mais n'ayant pas une perception approchée, bien que de nos jours, ses écrits se soient mués, selon l'expression de Mallarmé, en “bibelots d'inanité sonore”», explique M. Aourid. «Il y a un extrait très important de Sartre sur sa conception de l'intellectuel. Il y a deux sortes d'intellectuels : celui qui est engagé, «qui est dans le coup», et celui qui préfère prendre de la distance et écrire des “bibelots d'une inanité sonore”», souligne l’écrivain. «M. Laroui est-il impliqué dans les débats ayant secoué ou qui secouent la société marocaine ? L'appréciation faite par «Al Moutcho» n'est pas forcément la mienne. Il y a plusieurs personnages dans ce roman, et Al Moutcho se caractérise par le fait qu'il est issu du mouvement du 20 février, mouvement qui n'a pas trouvé grâce aux yeux de M. Laroui. Comment voulez-vous donc que quelqu'un qui a participé au mouvement du 20 février apprécie celui qui dénigre ce mouvement ?», fait remarquer l’écrivain.
Mais au-delà de ce débat, «je m'étonne que certains ne puissent finalement pas toucher à ce qu'ils considèrent comme sacré avec toutes leurs prétentions à la modernité. Cioran (philosophe et écrivain roumain, ndlr), dans un de ses écrits les plus importants, considère l'archaïsme comme l'idolâtrie des personnes et des commencements. Sincèrement, j'ai été étonné de voir des gens incarnant le courant libéral et moderniste, s'éclipser devant ce qu'ils qualifient de sacré. Cela m'a surpris !» dit-il. Et de préciser : «Abdellah Laroui n'a pas besoin de moi pour dire du bien ou du mal de lui. Il tient une place éminente dans le paysage culturel arabe et marocain. Ses livres, surtout les premiers, sont inédits. Et même ses récents ouvrages font état de sa conscience. C'est ma propre évaluation. Mais ce qui m'intéresse, c'est cette réponse venant d'une catégorie qui se considère comme moderniste, mais qui est incapable de soulever des questions. C'est un problème !»
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