Le forfait déclaré face au Tchad en Coupe d’Afrique des nations 2023 restera pour longtemps un gros point noir dans l’histoire du volleyball nationale. À défaut de briller par les résultats, la sélection nationale a fait plutôt la «Une» des faits divers. La nouvelle de son forfait a été reprise en écho par les médias nationaux et internationaux. Pourtant, rien ne laissait présager une telle fin. Le Six national ambitionnait d'aller le plus loin possible dans cette compétition pour retrouver sa place parmi le gotha africain, surtout en présence de deux professionnels : Mohamed Al Hachdadi et Zouheir El Graoui. Finalement, les espoirs ont été déçus, laissant place à un «scandale» qui a nettement écorné l’image du volleyball national, sachant que la présidente de la Fédération Royale marocaine de volleyball, Bouchra Hajij, n’est autre que la présidence de la Confédération africaine de la discipline.
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Après avoir tiré leur épingle du jeu en phase de poules (leaders du groupe D devant le Rwanda, le Sénégal et la Gambie), les nationaux ont dominé le Mali en huitièmes, mais se sont lourdement inclinés face à l’Égypte en quarts de finale. Cette élimination a fait ressurgir tous les vieux démons, puisque le sélectionneur national, l’italien Paolo Montagnani, réclamait la suspension du capitaine Al Hachdadi et de Zouheir El Graoui (c’était le 11 septembre), juste avant le match de classement face à la Tunisie (entre la 5e et la 8e position). Le lendemain (le 12 septembre), les joueurs de l’équipe nationale ont refusé de disputer le 2e match de classement face au Tchad, se solidarisant ainsi avec leurs deux coéquipiers suspendus. L’équipe a refusé de quitter les vestiaires, malgré les interventions des dirigeants de la FRMVB, de la CAVB et des membres de la commission d’organisation de la CAN 2023 en Égypte.
Quelques heures plus tard, sur les réseaux sociaux et les pages spécialisées, les premières réactions des joueurs se faisaient déjà entendre. Plusieurs internationaux ont ainsi dénoncé des conditions de préparation «catastrophiques», d’autres ont parlé des primes et des maillots qui n’ont été fournis qu’à la dernière heure. La réaction officielle de la FRMVB, elle, est survenue le 15 septembre à travers un communiqué où l’on pouvait lire : «Le bureau dirigeant de la FRMVB considère le refus des joueurs de porter le maillot national... comme un manquement grave au devoir national et une violation flagrante des statuts de la Fédération et du règlement général du volleyball. S’ajoute à cela l’atteinte à la réputation du Royaume du Maroc et le tort infligé aux structures de la FRMVB».
Versions diamétralement opposées
Pour recueillir les versions des joueurs avec celle de la FRMVB concernant la préparation, «Le Matin» a pris contact avec le capitaine de la sélection, Mohamed Al Hachdadi, puis avec Mustapha Boulbars, le trésorier de la fédération et membre de la délégation marocaine ayant fait le déplacement en Égypte. Pour le joueur de l'équipe russe Belogorie Belgorod, le sentiment d’insatisfaction des joueurs a été nourri depuis la préparation pour la CAN, qui a duré 3 mois. «C’est la première fois que j’effectue la préparation de la CAN en intégralité avec la sélection. Lors des précédentes éditions, je ne rejoignais l’équipe qu’une semaine avant le coup d’envoi. Cette année, j’ai pu constater à quel point les conditions étaient catastrophiques. À titre d’exemple, lorsque nous devions nous diriger vers l’aéroport en vue d’effectuer une concentration en Turquie, on nous a d’abord proposé de faire le trajet en grand taxi ! Après les matchs disputés dans une salle couverte à Aïn Sebaâ, on n’avait pas droit à la douche... Une fois en Turquie, nous n’avons pas pu trouver des sparring-partners à la hauteur. Une fois, nos adversaires avaient encore les pieds ensablés, ils étaient visiblement arrivés de la plage. Les scores étaient vraiment risibles, des 25-7...», a confié Al Hachdadi.
De l’autre côté, le dirigeant Mustapha Boulbars a insisté sur le fait que la FRMVB a fourni toutes les conditions du succès : «La préparation a eu lieu à Mohammedia, à la demande du même Al Hachdadi qui espérait voir ses proches là-bas... Toutes les conditions nécessaires à une bonne préparation étaient réunies. Tous les joueurs avaient reçu leurs primes à temps, en plus de l’argent de poche qui leur a été réservé et une somme supplémentaire qui leur a été versée en Égypte pour acquérir d’autres équipements. Tout cela en plus de la rémunération journalière allouée par la Fédération. Il faut savoir que les joueurs marocains sont parmi les mieux payés sur le continent africain, s’ils ne sont pas les mieux rémunérés».
Les équipements, l’autre sujet de discorde
La qualité de la préparation n’est pas le seul point ayant accentué le conflit entre les deux parties, puisque les joueurs se plaignent également de la rémunération et des équipements réservés à l’équipe première. Pour Al Hachdadi, ses coéquipiers ont vécu des conditions difficiles avant et au cours de la CAN : «Il y a beaucoup de dysfonctionnements à signaler. Déjà, je n’ai pas de contrat d’assurance pour me protéger en cas de blessure. Ensuite, notre rémunération journalière est de l’ordre de 166,66 DH par jour, alors qu’elle était de l’ordre de 250 DH en 2011 lorsque j’ai débarqué en sélection la première fois... Nous n’avons reçu nos maillots finalisés qu’une fois en Égypte, et ils nous ont donné les tenues sans aucun autre équipement (sandales, survêtements, chaussettes...). Lors de la première journée, des joueurs ont d’ailleurs été pris en photo vêtus des maillots de leurs clubs marocains. C’est une honte, sachant qu’on a su que tous les équipements ont été réceptionnés».
Une fois de plus, l’avis de Mustapha Boulbars est venu contredire cette version : «En ce qui concerne les équipements, nous avons d’abord proposé aux joueurs des survêtements et des maillots confectionnés par une célèbre marque marocaine, mais ils ont refusé. Nous avons ensuite opté pour une autre marque italienne, leader en son domaine. Ils ont tout reçu, survêtements, maillots, polos, sandales... Je crois qu’il n’y avait aucune raison de se plaindre quant aux moyens déployés lors de la préparation et toute la période avant le déplacement en Égypte. Les membres du bureau fédéral étaient vraiment aux petits soins. Les joueurs ont pourtant insisté pour manifester leur insatisfaction, même quand cela n’était vraiment pas justifié».
Le sélectionneur Paolo Montagnani au cœur de la polémique
La décision de suspendre Al Hachdadi et El Graoui a été prise suite à un rapport du sélectionneur italien Paolo Montagnani, qui n’a pas apprécié que les deux joueurs manquent les séances d’entraînement ayant suivi l’élimination face à l’Égypte. Lorsqu’on demande au capitaine Al Hachdadi quelle a été la raison de cette absence, la réponse est claire : «J’étais souffrant. J’étais enrhumé et j’en ai avisé le kinésithérapeute qui m’a rendu visite et qui m’a donné un médicament. Zouheir El Graoui, lui, était touché au talon d’Achille. Mais cela ne nous a pas empêché de nous présenter sur le terrain face à la Tunisie, avant de comprendre que nous étions suspendus. Le coach était avisé de notre état de santé et je ne trouve aucune explication à cette suspension. Je crois aussi que le sujet du coach est un problème à soulever. Il impose des programmes d’entraînement inadaptés, alors qu’il n’est pas diplômé en préparation physique... Le lendemain, face au Tchad, les joueurs ont refusé de jouer tant qu’on ne nous aura pas expliqué les raisons de la suspension. C’était leur décision et pas la nôtre. Je n’ai aucune autorité sur eux, je ne peux pas les retenir ou les priver de jouer, contrairement à ce qui a été véhiculé.»
Les membres de la délégation marocaine, ainsi que des représentants de la CAVB, ont donc tenté de dissuader les joueurs, qui ont finalement campé sur leur position. «C’était un vrai scandale. Nous avons tout fait pour les convaincre de disputer la rencontre, sans résultat. Tout le monde a assisté à cette triste scène. C’est un vrai coup pour l’image du sport et du volleyball marocain. Il y avait même des injures qui ont été prononcées... Le Maroc a déjà perdu 11 places au niveau du classement mondial. Le conseil de discipline devrait se tenir la semaine prochaine, mais ce dossier ne s’arrêtera pas là», confie Mustapha Boulbars, qui a indiqué que la FRMVB risque désormais d’être suspendue lors de la prochaine CAN, en plus d’une amende de 20.000 francs CFA. Les joueurs et les dirigeants semblent donc en parfait désaccord, mais les principaux perdants demeurent l’image du sport marocain et le volleyball national, qui est déjà assuré de rater les JO de Paris 2024 et la prochaine Coupe d’Afrique des nations de la discipline.