C’est fait. La présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a dévoilé, jeudi lors d’un point de presse à Casablanca, les grandes lignes de son programme pour le prochain mandat 2023-2026. Ce plan arbore un slogan révélateur : «Libérer les énergies pour une croissance durable et inclusive». Dans un contexte national et international, marqué par de multiples perturbations et surtout d’incertitudes, le binôme Chakib Alj-Mehdi Tazi confirme sa détermination à poursuivre le combat avec le même degré d’engagement, de certitude et de pragmatisme de la mandature précédente. Le programme sera ainsi soumis à l’assemblée générale élective prévue le 16 mai.
Concrètement, le plan, présenté par le binôme tenant les rênes de la désormais Maroc Entreprises, est bâti autour de 4 principaux axes : améliorer le climat des affaires, libérer et développer le capital humain, œuvrer à l’inclusion économique, sociale et territoriale et préparer l’économie de demain.
En attendant leur élection pour un second mandat à la tête de la CGEM, Chakib Alj et Mehdi Tazi ne baisse pas le rythme. «Nous travaillons depuis le mois de mars dernier sur notre contribution au projet de Budget 2024, avec le concours de toutes les fédérations, la commission fiscalité et douanes et le groupe CGEM à la Chambre des Conseillers», assure Alj. L’objectif, selon lui, est d’ériger la fiscalité comme un levier de promotion de l’investissement, ainsi que d’instaurer une relation de confiance entre l’administration fiscale et l’entreprise. Le binôme dit se féliciter des avancées liées à la loi sur les délais de paiement et au nouveau décret relatif aux marchés publics qui contribuera à favoriser la préférence nationale et l’intégration locale et à faciliter l’accès aux TPME à la commande de l’État. «Nous suivons de près l’application et la mise en œuvre de ce décret», insiste le patron des patrons.
Climat des affaires : l’informel, l’éternel ennemi
Dans l’amélioration du climat des affaires, le travail du prochain mandat consistera à accompagner la mise en œuvre de la charte d’investissement et de l’activation du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Il s’agit également de contribuer à la simplification de l’acte d’entreprendre en accélérant la révision des procédures administratives et judiciaires liées à l’entrepreneuriat. «L’effort sera également consenti pour améliorer la compétitivité des facteurs de production, notamment l’accès et le coût du foncier et la compétitivité logistique», souligne Mehdi Tazi. Selon la CGEM, la problématique du foncier industriel représente, aux côtés d’autres aspects, un facteur déterminant de la compétitivité des entreprises. Pour le patronat, l’amélioration de son accessibilité représente un enjeu majeur pour promouvoir et encourager l’investissement productif créateur de valeur ajoutée et d’emplois durables.
Le NMD est d’ailleurs clair à ce sujet et inscrit le foncier parmi les facteurs de production freinant le dynamisme entrepreneurial, aux côtés de la logistique et de l’énergie. Malgré la mise en place de certaines réformes, le secteur privé soutient que l’accès au foncier industriel continue à être un véritable parcours du combattant pour les entreprises marocaines. Motifs : l’étroitesse de la réserve foncière, l’indisponibilité d’un foncier industriel adapté et les procédures administratives associées ou encore la compétitivité-prix. Pour y remédier, le patronat recommande d’adopter une approche tirée par la demande économique et non par l’opportunité foncière, pour l’identification et la priorisation des besoins en foncier industriel, en intégrant les acteurs privés dans les processus d’élaboration et de planification des documents d’urbanisme.
La lutte contre la concurrence déloyale, alimentée par les pratiques informelles et de corruption, figure également parmi les actions de ce premier axe du programme du prochain mandat. Le patronat est en effet favorable à la mise en place d’un package incitatif encourageant l’intégration des entreprises vers le secteur formel, notamment en simplifiant l’accès des TPME aux marchés publics, en mettant en place des aides à l’exportation, en renforçant l’accès aux solutions de financement classiques (bancaires en limitant le recours aux garanties personnelles) et alternatives (crowdfunding quasi-fonds propres) ou encore en mettant en place des procédures administratives simplifiées. Pour rappel, l’économie informelle représente au Maroc plus de 30% du PIB selon les dernières données de Bank Al-Maghrib, si l’on prend en considération les unités de production informelles (UPI), les activités illégales (contrebande et contrefaçon) et l’économie souterraine (travail au noir, sous-facturation, etc.). Les travailleurs informels (4 millions de personnes, dont une grande partie dans les UPI) se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité du fait des modalités de travail précaires et de l’absence de contrôle, alerte le binôme Alj-Tazi.
Capital humain : le système de la formation professionnelle à revoir
À travers le deuxième axe de son programme de la prochaine mandature, le binôme à la tête de la CGEM entend surtout œuvrer pour accélérer la réforme du système de la formation professionnelle, avec une révision du cadre institutionnel et réglementaire (la loi 60-17) mais aussi via une réforme de sa gouvernance. Ce qui préoccupe le plus le binôme Alj-Tazi, c’est surtout la formation professionnelle continue qui n’a pas réussi à se développer au profit des entreprises, pourtant pourvoyeuses de la Taxe de la formation professionnelle (TFP), en raison des lourdeurs administratives dont souffre le dispositif des Contrats spéciaux de formation (CSF). Selon les données de la CGEM, de 2012 à 2022, les entreprises ont injecté 24 milliards de dirhams dans le système de formation professionnelle, participant du coup à plus de 80% du financement de la formation initiale qui a consommé plus de 17 milliards de dirhams. La PME n’en a consommé que 500 millions pour la formation continue de ses collaborateurs. Selon la présidence de la CGEM, cette forte pression sur les fonds de la TFP n’a pas permis à la formation continue de se développer. Rappelons que plusieurs tentatives de réforme ont été enclenchées à ce jour, mais sans succès.
La dernière en date, portée par la loi 60-17, n’a fait, selon la CGEM, que réitérer, voire renforcer, les dysfonctionnements chroniques dont souffre le dispositif de la formation continue, principalement au niveau des modes de gouvernance et de financement. Un système qui a perdu toute crédibilité auprès des entreprises, en raison de sa complexité, rendant les budgets alloués aux CSF non consommables. En effet, affirme le patronat, seul 1% des entreprises bénéficient du dispositif des contrats spéciaux de formation (soit 1.514 entreprises sur près de 188.000 assujetties à la TFP). Au titre de l’exercice 2020, par exemple, la quote-part des 30% réservée à la formation continue s’élevait à 719 millions de dirhams. La TPME n’en a consommé que 12,5% en formation de ses collaborateurs au même titre que les grandes entreprises qui, à contrario, bénéficient de procédures simplifiées.
La TPME, force vive de l’économie marocaine, est la moins servie de ce système, déplore le binôme Alj-Tazi. Aujourd’hui, toutes les parties prenantes sont perdantes dans cette équation : l’entreprise, le salarié et l’État. La CGEM estime que l’entreprise a été dépossédée d’un atout majeur de compétitivité depuis plusieurs années et fait face à une situation d’obsolescence massive des compétences sur le marché du travail, qui ne peut perdurer. Son pilotage éparpillé entre différents opérateurs publics et privés, et reposant sur une logique de quantité au détriment de la qualité, ainsi qu’une offre de formation nationale concentrée autour d’un acteur unique, ont engendré une dissonance avec les besoins du marché du travail : en atteste le taux de chômage de 24,5% des lauréats de la FP en 2017. Pour faire converger l’offre et la demande, un système d’information prospective des compétences par branche couplé au système d’observation du marché du travail est nécessaire, selon la CGEM qui entend bien en faire une priorité de son prochain mandat. De même, la formation en milieu de travail reste très peu déployée en raison des difficultés d’ordre organisationnel, pédagogique et financier.
Autre chantier stratégique du binôme Alj-Tazi, l’amorçage de la fameuse réforme du Code du travail et la promulgation de la loi sur l’exercice du droit de grève, et ce en alignement avec les engagements de l’Accord social signé avec le gouvernement et les principales centrales syndicales en 2022. L’importance devra être également accordée à l’accompagnement des chantiers sociaux notamment la généralisation de la protection sociale et la réforme des retraites, en plus d’une accélération du processus de rapprochement du monde académique et de l’entreprise.
Inclusion économique : la région, une locomotive incontournable
Dans la vision de la prochaine mandature, la région devrait jouer un rôle déterminant dans la redynamisation de l’investissement et de l’emploi. En effet, la présidence de la CGEM entend pousser à l’encouragement de l’investissement et de l’emploi dans les régions, via une plus forte promotion des dispositifs d’accompagnement existants. Et pour donner un véritable coup de fouet à l’inclusion économique et sociale, le binôme Alj-Tazi fait de l’accompagnement au développement de l’entrepreneuriat et des TPME une priorité stratégique. L’accent sera ainsi mis sur l’accélération de la mise en œuvre du fameux Small Business Act qui traine des pieds depuis le gouvernement Benkirane. Le tout assorti de la sensibilisation à la responsabilité sociétale des entreprises, avec une mise à l’échelle du label RSE (accessibilité aux TPME, reconnaissance internationale) et la promotion de l’égalité des chances en milieu professionnel et l’autonomisation économique des femmes.
Préparer l’économie de demain : Tech et R&D, une priorité absolue
Le patronat n’a plus le choix. La décarbonation de l’économie est une urgence que le gouvernement et le secteur privé doivent accélérer en vue de maintenir la compétitivité du pays auprès des principaux partenaires économiques, essentiellement l’Union européenne qui imposera une taxe carbone à ses frontières. Le binôme Alj-Tazi confirme son intention d’accompagner le processus de révision du cadre réglementaire et la mise à disposition de différents outils liés à la décarbonation (évaluation des émissions, guides et formations). À cela s’ajoutent la promotion des pratiques d’efficacité énergétique et hydrique et le soutien au développement de la mobilité électrique. Sans oublier l’encouragement à l’innovation et la R&D, notamment industriels, via la promotion du programme TATWIR R&D et Innovation et son élargissement.
Le Maroc, qui a du retard à rattraper par rapport au développement d’un écosystème Tech, aura tout intérêt à mettre les gaz sur ce chantier qui, aux yeux de Alj-Tazi, figure au centre de son prochain plan d’action. Selon la CGEM, les dépenses dans la R&D dans le contexte industriel actuel ne peuvent plus être considérées comme un coût supplémentaire, mais plutôt comme un investissement productif dont le rendement est mesurable. D’ailleurs, les 5 pays concentrant plus de la moitié des dépenses mondiales dans la R&D figurent parmi les plus industrialisés dans le monde, à savoir les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne ou encore la Corée du Sud. Et cela a un impact direct sur la croissance économique. Selon une étude de l’OCDE, une augmentation de 1% des dépenses de R&D par rapport au PIB entrainerait une augmentation de 0,1 à 0,4% de la croissance économique à long terme. Au Maroc, les moyens financiers mis à disposition pour le développement de la R&D ont longtemps été limités. À titre illustratif, les dépenses en R&D se sont situées à moins de 0,8% du PIB en 2019, par rapport à une moyenne des pays de l’OCDE de 2,3%. Ce qui témoigne d’un retard criant, relève Tazi.
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