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Nous devons partager davantage le modèle marocain en Afrique ! (BAD)

La Banque africaine de développement (BAD) enclenche le processus de préparation du nouveau programme de partenariat avec le Maroc. Selon le responsable pays de la Banque pour le Maroc, Achraf Hassan Tarsim, le nouveau cadre sera axé sur le capital humain pour une croissance plus forte et inclusive ainsi que la gestion des ressources en eau et en énergie pour renforcer la résilience de l’économie nationale aux chocs exogènes. Dans cet entretien, le responsable revient sur les points forts du Maroc et met en avant son expertise dans l’agriculture, l’eau et les énergies renouvelables. Une expertise qui, selon lui, doit être partagée avec le reste du continent.

Nous devons partager davantage le modèle marocain en Afrique ! (BAD)
Achraf Hassan Tarsim.

Le Matin : Comment ont évolué les financements de la Banque africaine de développement au Maroc ces cinq dernières années, et quels en sont les principaux secteurs bénéficiaires ?

Achraf Hassan Tarsim : Depuis 2017, la Banque a approuvé le financement de 33 opérations – quatre dans le secteur privé et 29 relevant du secteur public – pour un montant total cumulé de 3,6 milliards de dollars. Deux mots d’ordre impulsent notre action : l’inclusion économique et sociale et la résilience climatique, en recherchant le maximum d’impact. Ils sont incarnés par deux domaines d’intervention prioritaires : d’une part, l’industrialisation «verte» décarbonée par les petites et moyennes entreprises et le secteur exportateur ; d’autre part, l’amélioration des conditions de vie par l’emploi pour les jeunes et les femmes, et dans les zones rurales ; la promotion d’une croissance verte étant le thème transversal. Face à des situations d’urgence, quatre opérations non programmées ont également été approuvées dans le secteur de la santé, avec la réponse apportée à la pandémie de la Covid-19, pour soutenir l’amélioration de la protection sociale et afin de sécuriser l’accès à l’eau potable pour la population marocaine.

Le Maroc premier partenaire de la Banque africaine de développement

Historiquement, le Maroc, qui figure parmi les pays fondateurs de la Banque, est notre premier partenaire. Cette relation nous a permis, depuis plus d’un demi-siècle, d’améliorer les conditions de vie de millions de Marocains à travers une approche intégrée du développement, dont le nouveau cap répond à une Vision ambitieuse de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en faveur d’une croissance durable et inclusive.

La Banque agit au Maroc comme une banque de solutions : elle soutient le développement social et humain en appuyant les réformes dans les secteurs de la santé, de la protection sociale, de l’éducation et de la formation professionnelle ; elle appuie une agriculture de transformation résiliente et créatrice de valeur et d’emploi ; elle favorise la création d’emplois par l’appui à l’entrepreneuriat et le développement de la formation professionnelle ; elle accompagne la modernisation de l’économie en appuyant les grands chantiers de réformes, comme le développement du secteur financier ; elle apporte son expertise en matière de financement de projets structurants, à l’image du projet de complexe solaire Noor Ouarzazate et du port Nador West Med ; elle contribue à l’accélération industrielle et à l’amélioration de la compétitivité territoriale du Maroc ; elle appuie aussi la compétitivité logistique de l’économie nationale via la modernisation des infrastructures de transport (routier, ferroviaire, aérien et portuaire). Enfin, elle soutient le processus de désenclavement rural à travers le développement des réseaux de transport d’électricité et d’électrification rurale, d’approvisionnement en eau potable et de construction de routes en zones rurales.

Depuis plus d’un demi-siècle, le groupe de la Banque est engagé au Maroc pour plus de 12 milliards d’euros. Il est l’un des principaux bailleurs de fonds qui ont accompagné le Royaume dans l’accélération de son développement. D’après votre expérience, quelles sont aujourd’hui les forces du pays et les contraintes majeures à sa croissance, auxquelles il faudra encore trouver des solutions ?

Stable politiquement, le Maroc bénéficie de nombreuses forces, à commencer par sa position géographique et sa capacité en tant que plateforme en force pour le commerce entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Pays à revenu intermédiaire, le pays a vu son PIB par habitant être multiplié par 2,4 en vingt ans. De même, le Royaume est aussi un des pays du continent les plus attractifs pour les entreprises en termes d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Parmi les défis majeurs à relever, nous devons renforcer la résilience du pays au changement climatique, notamment dans un contexte de stress hydrique. C’est, d’ailleurs, le thème principal de nos prochaines Assemblées annuelles en Égypte. Dans les années qui viennent, la Banque soutiendra le capital humain pour une croissance plus forte et inclusive ainsi que la gestion des ressources en eau et en énergie pour renforcer la résilience de l’économie aux chocs exogènes.

Qu’en est-il de votre soutien au secteur privé ?

Comme je l’ai souligné, la Banque africaine de développement a soutenu fortement l’industrialisation verte par les petites et moyennes entreprises et le secteur exportateur : appui aux politiques industrielles et à la gouvernance des zones industrielles, à l’inclusion financière et à l’entrepreneuriat. En termes d’accompagnement d’opérateurs privés, la Banque a notamment participé à des projets d’investissement comme dans le secteur industriel, par exemple la production de ciment ou les fertilisants. Notre institution a apporté un appui indirect aux petites et moyennes entreprises à fort potentiel de croissance via des prises de participation dans des fonds d’investissement. La Banque a également soutenu le tissu productif marocain durant la crise sanitaire avec la mise en œuvre du Programme d'appui à la réponse à la Covid-19 en 2020.

L’Afrique, continent qui pollue le moins la planète, est aujourd’hui l’une des régions les plus vulnérables au changement climatique. En quoi consiste la stratégie de la Banque pour la mobilisation des ressources financières pour faire face aux conséquences du changement climatique ?

Effectivement, le constat est alarmant : la Terre s'est réchauffée de plus de 1 °C depuis l'ère préindustrielle et nul n’est épargné par le dérèglement climatique. Face à ce phénomène, l’Afrique ne perçoit que 3% de la finance climatique mondiale, et si la tendance se poursuit, le déficit de finance climatique de l’Afrique atteindra 100 à 127 milliards de dollars par an d’ici à 2030.

La Banque africaine de développement engagée en faveur de l'adaptation climatique en Afrique

La Banque africaine de développement œuvre, avec constance, à mobiliser des ressources pour l'adaptation climatique en Afrique. La Banque a doublé la part des financements consacrée à la finance climatique pour atteindre 25 milliards de dollars d'ici à 2025. Elle dédie 67% de ses financements climatiques à l'adaptation, ce qui est la plus grosse quote-part de toutes les institutions au niveau mondial. En décembre 2022 à Tanger, la Banque et ses partenaires ont mobilisé 8,9 milliards de dollars pour le Fonds africain de développement (FAD-16). À cette occasion, un nouveau guichet d’action climatique destiné aux pays africains à faible revenu a été créé, avec l’objectif de mobiliser entre 4 et 13 milliards de dollars pour soutenir le développement d’infrastructures de qualité durables et résilientes au changement climatique. Ces montants permettront notamment d’aider 20 millions d’exploitants agricoles à accéder à des technologies agricoles résilientes. Fin janvier, le Sommet Dakar 2, coorganisé par la Banque et le gouvernement du Sénégal, était, lui, consacré à la souveraineté alimentaire et à la résilience du continent africain, notamment face au dérèglement climatique. Sous l’impulsion de la BAD, les partenaires du développement se sont engagés à hauteur de 30 milliards de dollars sur cinq ans pour soutenir la mise en œuvre de pactes nationaux agricoles, incluant une contribution de 10 milliards de dollars de notre institution pour aider l’Afrique à éradiquer la faim et devenir le principal fournisseur de denrées alimentaires dans le monde.

La Banque africaine de développement projette d’aborder la question d’une «nouvelle architecture mondiale» pour la mobilisation des ressources financières destinées aux investissements durables en Afrique, dans le cadre d’un échange de haut niveau lors de ses Assemblées annuelles qui se déroulent du 22 au 26 mai en Égypte. Comment la Banque conçoit-elle cette nouvelle architecture mondiale des ressources financières, et comment entend-elle convaincre les investisseurs internationaux de s’inscrire dans cette nouvelle formule ?

Lors du Sommet sur l’adaptation climatique en Afrique qui se tenait en septembre 2022 à Rotterdam, aux Pays-Bas, le président du groupe de la Banque africaine de développement, Akinwumi A. Adesina, a déclaré que l’Afrique avait besoin de financements massifs pour lutter contre le changement climatique. À cette occasion, il a rappelé que l’engagement pris par les pays développés d’octroyer 100 milliards de dollars par an de financements climatiques aux pays en développement devait rapidement se concrétiser. Des initiatives concertées se mettent néanmoins en place à l’initiative de la Banque, comme le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique (AAAP) qui a le soutien des Chefs d’État africains et qui entend mobiliser davantage de ressources pour lutter contre le changement climatique, afin de faire progresser les objectifs de l’Initiative d’adaptation pour l’Afrique. Autre initiative de grande ampleur, la Banque et le Centre mondial pour l’adaptation sont en train de mobiliser 25 milliards de dollars pour ce programme, pour lequel la Banque africaine de développement s’est déjà engagée à hauteur de 12,5 milliards de dollars. Il s’agit du plus grand effort d’adaptation au changement climatique jamais entrepris à ce jour à l’échelle mondiale.

Le continent africain est, aujourd’hui, plus que jamais confronté aux risques d’une crise alimentaire aiguë, en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et de la montée des tensions inflationnistes. Comme vous le soulignez très souvent, une véritable souveraineté alimentaire continentale est l’unique solution à cette problématique qui menace plusieurs États de l’Afrique. Pensez-vous que les ingrédients de cette souveraineté alimentaire sont aujourd’hui disponibles, notamment le financement ? Quelle vision promeut concrètement la Banque pour enclencher une véritable révolution agro-alimentaire de l’Afrique ?

Au Sommet de Dakar en janvier dernier, le président Adesina a suggéré que le succès des efforts de l’Afrique pour atteindre sa souveraineté alimentaire reposait sur les investissements et les partenariats.

Prenant exemple sur la manière dont la Banque utilise la technologie pour stimuler la productivité agricole dans divers pays africains, il a illustré son propos en parlant du programme TAAT (Technologies pour la transformation de l’agriculture africaine) qui, selon lui, a permis d’augmenter considérablement les rendements de blé de pays du continent. La Banque met également en place des Zones spéciales de transformation agro-industrielles, conçues pour faire évoluer le secteur agricole africain vers un secteur fortement productif qui retient la valeur ajoutée et les emplois sur les territoires plutôt que de continuer à exporter des matières premières en l’état. Face à des situations de crise alimentaire, la Banque sait également réagir face à l’urgence. Pour aider le continent à atténuer les effets de la hausse des prix des denrées alimentaires induite par la guerre en Ukraine, la Banque a lancé, en mai 2022, une Facilité de production alimentaire d'urgence dotée de 1,5 milliard de dollars, approuvant des opérations pour 34 pays africains en seulement quelques mois. L’initiative visait à aider 20 millions d'agriculteurs à produire 38 millions de tonnes métriques de nourriture, d'une valeur totale de 12 milliards de dollars. «Nourrir l’Afrique» est la première des cinq priorités opérationnelles, les «High 5», du groupe de la Banque africaine de développement.

Quel rôle pourrait jouer le Maroc dans cette révolution agro-alimentaire du continent, eu égard à l’expertise du Royaume dans les domaines agricole, agro-industriel et l’industrie des engrais ?

À l’échelle nationale, le Maroc a connu des expériences réussies dans le développement de son agriculture, qui peuvent contribuer à la sécurité alimentaire de l’ensemble de l’Afrique.

En 2016, le pays a lancé l’initiative pour l’Adaptation de l’Agriculture Africaine («AAA»), regroupant 38 pays du continent. Début mai à Meknès, la troisième Conférence ministérielle annuelle de l’initiative «AAA» a permis d’exposer les avancées significatives réalisées dans la mise en œuvre de ses actions de mobilisation des ressources du progrès scientifique et technologique au service de l’adaptation de l’agriculture africaine au changement climatique. Les ministres de l’Agriculture et les institutions de financement internationales et régionales ont également souligné l’intérêt de piloter le pilier de l’agriculture résiliente, en se concentrant sur le développement économique et les emplois verts. Autre exemple qui a fortement dynamisé le secteur agricole, le Plan Maroc vert qui a été lancé il y a quinze ans, avec un investissement de près de 13 milliards de dollars sur la période 2008-2020. Le PIB dans l’agriculture a connu une croissance de plus de 5,5% par an, mais surtout, le secteur est aujourd’hui encore plus résilient au changement climatique et aux épisodes de sécheresse.

Cette stratégie a permis la mise en place de 19 contrats-programmes conclus entre l’État et les professionnels et visant le développement des chaînes de valeur des filières agricoles. Enfin, la nouvelle stratégie du Maroc appelée «Génération Green», également soutenue par la Banque, offre un cadre de référence vers davantage de résilience du système alimentaire. D’une part, elle vise à faire émerger une classe moyenne agricole, encourager l’entrepreneuriat des jeunes et étendre la couverture sociale à tous les agriculteurs et travailleurs agricoles ; d’autre part, elle entend consolider les acquis du «Plan Maroc Vert» et doubler le PIB agricole et les exportations, tout en mettant en place des solutions nouvelles, pour la rationalisation des ressources en eau au regard des nouveaux enjeux climatiques. Mais au-delà de l’agriculture, le Maroc est un modèle à suivre dans bien des domaines. Afin de renforcer la coopération Sud-Sud, nous devons travailler davantage à favoriser le partage d’expérience du Royaume avec le continent. Et les domaines sont multiples, de l’agriculture à l’eau, les énergies renouvelables ou encore les transports, pour ne citer que ceux-là.

Lire aussi : Les nouveaux «warnings» de la BAD aux pays africains

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