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Entretien exclusif avec Mohamed Benchaâboun, DG du Fonds Mohammed VI pour l’investissement

Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement représente une formidable opportunité de voir émerger des acteurs consolidés et crédibles, qui pourront rayonner à l’échelle du continent et qui seront appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la création de valeur pour les entreprises, affirme son directeur général, Mohamed Benchaâboun. Dans cet entretien exclusif accordé au «Matin», le haut responsable revient également sur les actions entreprises par le Fonds depuis son opérationnalisation, sur la contribution des sociétés de gestion qui sont rattachées à la promotion de l'investissement privé ainsi que sur l’appui et l’accompagnement proposés aux PME/PMI.

Entretien exclusif avec Mohamed Benchaâboun, DG du Fonds Mohammed VI pour l’investissement
Mohamed Benchaâboun.

Le Matin : Vous étiez ministre de l'Économie et des finances lorsque Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné ses hautes instructions pour la création du Fonds Mohammed VI pour l'investissement le 29 juillet 2020, et vous en êtes aujourd'hui le directeur général. Depuis, qu'est-ce qui a changé ?

Mohamed Benchaâboun : Les missions du Fonds Mohammed VI pour l’investissement ont été précisées dans les discours de Sa Majesté le Roi du 29 juillet 2020 et du 9 octobre de la même année. La loi portant création du Fonds a ensuite formalisé lesdites missions et le Fonds est entré dans sa phase opérationnelle avec la nomination de son directeur général lors du Conseil des ministres, présidé par Sa Majesté le Roi, le 18 octobre 2022.

Nous parlons là d’un outil puissant pour :

• Accélérer le rythme de réalisation des investissements.

• Promouvoir l’action du secteur privé.

• Contribuer à la croissance économique et à la création d’emplois.

• Faciliter la double transition numérique et écologique et, partant, maximiser l’impact sur les plans économique, social et environnemental.

Depuis lors, au-delà des volets juridique, administratif et organisationnel inhérents au démarrage du Fonds, la feuille de route découlant des Orientations Royales a été présentée et validée. Elle a précisé les domaines d’intervention du Fonds, les principaux mécanismes financiers qui seront créés ainsi que l’allocation budgétaire réservée aux grands axes de son action. Pour cela, le Fonds proposera aux opérateurs économiques des mécanismes de financement variés et adaptés à leurs besoins pour leur développement au Maroc et à l’international, pour l’accroissement de leur compétitivité, pour accélérer la transition vers une économie verte et la durabilité de leur chaîne de valeur ainsi que pour s’adapter aux normes et réglementations internationales de plus en plus complexes et contraignantes.

Pour les projets d’envergure ou de portée stratégique, le Fonds pourrait intervenir directement dans leur financement. Dans ce cas, l’apport du Fonds sera dans son implication très en amont dans les projets pour s’assurer de leur viabilité économique et pour l’optimisation de leur business modèle. Dans une deuxième phase, en participant au tour de table et/ou en contribuant à leur financement et à leur structuration.

L’intervention du Fonds sera également indirecte à travers la structuration et la participation dans des sous-fonds thématiques ou sectoriels. L’action du Fonds reposera sur des sociétés de gestion partenaires qui seront sélectionnées à la suite d’un processus (en cours) de consultation ouverte. Cela contribuera à l’émergence d’une industrie du capital-investissement plus solide et dont l’impact économique et social sera plus perceptible.

Le Fonds Mohammed VI envisage de compléter son intervention en structurant un produit de dette subordonnée (assimilé à des quasi-fonds propres) qui sera proposé aux entreprises marocaines de manière jumelée avec un crédit bancaire et sur une durée plus longue que la dette bancaire en vue d’inciter les entreprises à réaliser leurs projets d’investissement et à dépasser la contrainte d’apport en fonds propres qui constitue à ce jour un des freins majeurs à l’accès au financement bancaire.

Concrètement, quelles sont les actions entreprises par le Fonds depuis qu'il est opérationnel ?

Depuis son opérationnalisation, le Fonds a tenu deux conseils d’administration et a lancé plusieurs initiatives. Tout d’abord, s’agissant des fonds thématiques et sectoriels, un premier appel à manifestation d’intérêt a été lancé le 8 mai dernier pour sélectionner des sociétés de gestion partenaires pour gérer lesdits fonds qui couvriront les thématiques de l’industrie, de l’agriculture, de la promotion des PME, de l’innovation et des secteurs à fort potentiel de croissance (hors startups qui feront l’objet d’une approche spécifique) et du tourisme. Les sociétés devront déposer leurs propositions avant le 13 Juillet 2023.

Le Fonds travaille avec un ensemble de partenaires nationaux et internationaux pour structurer et proposer un produit de dette subordonnée en faveur des entreprises marocaines ayant des projets d’investissement dont les plans de financement ne sont pas complets. La dette subordonnée permettra de combler le gap de financement tout en renforçant les fonds propres de ces entreprises, sans effet dilutif et avec des modalités souples de mise en place à travers l’appui du système bancaire (dette jumelée avec une dette bancaire).

Dans le domaine des infrastructures, le Fonds travaille en étroite collaboration avec les donneurs d’ordre publics pour la préparation de projets aux meilleurs standards internationaux en vue d’accélérer leur réalisation et attirer des investisseurs et des bailleurs de fonds privés aux meilleures conditions du marché.

Où en sommes-nous aujourd'hui en ce qui concerne les 30 milliards de DH additionnels que des investisseurs institutionnels marocains et des bailleurs de fonds internationaux voudraient apporter au capital initial du Fonds ? Pouvez-vous nous donner des noms et pour quels apports ?

L’effet de levier est une des règles de base du Fonds Mohammed VI. Chaque dirham investi par le Fonds devra être jumelé à un minimum de deux dirhams provenant de différents investisseurs. C’est ainsi que l’objectif du Fonds est d’être associé directement ou indirectement à la mobilisation de deux fois son capital initial qui est de 15 milliards de DH. D’où les 30 milliards DH de capitaux à lever, objet de votre question. Le recours aux marchés financiers complétera ces capitaux pour contribuer en fin de compte à l’engagement de près de 150 milliards de DH d’investissements au cours des cinq prochaines années. Dans ce cadre, le Fonds Mohammed VI est en discussion avec divers partenaires. Parmi eux le groupe Banque mondiale, les institutions financières internationales comme la BEI (Banque européenne d'investissement) et la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) ainsi que des fonds internationaux d’envergure.

Vous avez lancé un premier appel à manifestation d'intérêt pour la sélection des sociétés de gestion appelées à créer et gérer des fonds sectoriels ou thématiques. Combien de dossiers avez-vous reçus jusqu'à présent ?

La remise des offres est prévue pour le 13 juillet. Nous constatons un fort intérêt de la part des sociétés de gestion, à la fois locales et internationales, qui voient toutes dans ce premier appel à manifestation d’intérêt une opportunité de structurer des sous-fonds qui, par la présence du Fonds Mohammed VI, permettraient d’attirer des investisseurs d’horizons très divers (investisseurs privés nationaux et internationaux, institutions financières internationales, caisses de retraite et compagnies d’assurances nationales et internationales, family offices, etc.).

Comment les sociétés de gestion rattachées au Fonds Mohammed VI et financées en partie par celui-ci contribueront-elles à stimuler l'investissement privé ?

Les sociétés de gestions sélectionnées seront amenées à créer et à gérer, de manière indépendante, des fonds thématiques et sectoriels dans lesquels le Fonds souverain sera actionnaire. Les sociétés de gestion auront pour premier mandat de compléter les tours de tables des fonds par la mobilisation de capitaux tant au niveau national qu’à l’international et leurs relations avec le Fonds Mohammed VI seront encadrées par des cahiers des charges.

Comme vous le savez, beaucoup d’entreprises marocaines souffrent d’insuffisance des fonds propres pour investir et poursuivre leur développement. Les sociétés de gestion, qui auront la responsabilité de gérer les fonds sectoriels et thématiques, devront jouer leur rôle dans l’identification des entreprises porteuses de plans d’investissement viables en vue de les accompagner dans leur développement, à travers notamment des prises de participation dans leur capital. Les sociétés de gestion devront également contribuer à l’amélioration de la gouvernance au sein des entreprises investies et à la mise en place d’une gestion transparente, rigoureuse et performante.

La gouvernance du Fonds sera-t-elle ouverte aux partenaires privés issus de ces sociétés de gestion  ?

En termes de gouvernance, il est important de distinguer le mode de gouvernance au niveau du Fonds Mohammed VI pour l’investissement et celui des fonds thématiques ou sectoriels. Le Fonds Mohammed VI a été érigé sous forme de Société anonyme avec une gouvernance en ligne, selon les dispositions de la loi 76-20 régissant le Fonds. La gouvernance des fonds thématiques ou sectoriels reposera sur une gestion discrétionnaire confiée aux sociétés de gestion indépendantes. Le mode de gouvernance proposé par les sociétés de gestion dans le cadre des réponses à l’appel à manifestation d’intérêt constitue un critère de sélection majeur. Les sociétés de gestion seront attendues sur la mise en place d’un mode de gouvernance en ligne avec les meilleurs standards internationaux, reposant sur une gestion discrétionnaire et robuste alliant expertise de l’équipe de gestion et indépendance de la décision de gestion.

Quels sont les autres domaines/axes, en plus des six prévus initialement, sur lesquels les nouveaux fonds sectoriels ou thématiques devraient intervenir ?

Le Fonds interviendra sur toutes les thématiques considérées comme prioritaires pour le Maroc. À titre d’exemple, les problématiques de verdissement de l’économie marocaine, d’inclusion financière, de transition énergétique et numérique des entreprises et d’accompagnement dans l’expansion à l’international sont autant de domaines auxquels le Fonds accorde une importance particulière.

Le Fonds intervient prioritairement dans six domaines, dont le financement et le soutien aux PME/PMI. Quel est le profil de celles parmi ces entreprises susceptibles de bénéficier d'un appui ?

L’ensemble des PME/PMI marocaines justifiant d’un projet d’investissement viable et d’un plan de croissance durable pourront bénéficier d’un appui du Fonds. Dans ce domaine, le Fonds interviendra à travers deux mécanismes :

• D’une part, à travers des fonds thématiques dédiés aux PME/PMI gérés par les gestionnaires de fonds qui seront sélectionnés. Le Fonds Mohammed VI sera l’un des actionnaires de ces fonds aux côtés d’autres actionnaires privés nationaux ou internationaux. Ces fonds PME/PMI seront amenés à prendre des participations en capital dans les entreprises de ce segment visant une croissance issue, entre autres, d’une mise à niveau de leur mode de gouvernance, de la conquête de nouveaux marchés et de la création de valeur générée par leurs projets d’investissement.

• D’autre part, le produit de dette subordonnée décrit plus haut permettra aux PME/PMI de bénéficier de ressources financières nouvelles en vue de financer leurs projets d’investissement. La dette subordonnée rendra possible la réalisation de projets d’investissements portés par les PME/PMI qui, pour des raisons d’insuffisance de fonds propres, n’auraient pas vu le jour. En vue de compléter son intervention financière, le Fonds travaille également sur une offre d’accompagnement et d’assistance technique destinée aux entreprises et permettant d’adresser un certain nombre de problématiques usuellement rencontrées par le tissu économique marocain. Au travers d’un réseau d’experts (financiers, techniques, fiscaux, juridiques, etc.), le Fonds pourra offrir aux entreprises intéressées l’opportunité de recevoir un accompagnement de qualité en vue d’adresser des sujets bien identifiés (gouvernance, stratégie, organisation, conquête de nouveaux marchés, etc.) dans l’optique d’une éventuelle ouverture de capital à un fonds d’investissement.

Vous venez de signer un accord avec la Société financière internationale (SFI) pour financer des projets d'infrastructures durables au Maroc. En avez-vous déjà identifié quelques-uns ?

Dans le cadre de cet accord, les deux parties seront amenées à identifier des projets d'infrastructures à fort impact dans des secteurs stratégiques au Maroc et travailleront en étroite collaboration avec les parties prenantes pour les structurer en projets viables, respectant les meilleurs standards environnementaux, sociaux et de gouvernance pour permettre la mobilisation des capitaux privés. La structuration des projets d’infrastructures suivant des standards internationaux est un prérequis qui permettra à la SFI et au Fonds Mohammed VI de proposer des solutions de financement en fonds propres et en dette à ces projets.

Quel regard portez-vous sur l'avenir du capital-investissement avec l'arrivée de ce fonds ?

Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement représente une formidable opportunité de voir émerger des acteurs consolidés et crédibles, qui pourront rayonner à l’échelle du continent et qui seront appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la création de valeur pour les entreprises. Pour ce faire, l’industrie du capital-investissement marocain devra observer un relèvement des capacités de gestion des sociétés gestionnaires de fonds en vue de renforcer leur crédibilité auprès des investisseurs et de permettre les levées de fonds conséquentes nécessaires à l’atteinte des objectifs assignés au Fonds souverain.

Lire aussi : Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement cherche des sociétés de gestion

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