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Entretien exclusif avec Josep Borrell qui entame sa première visite au Maroc

Josep Borrell Fontelles, haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne, entame ce mercredi 4 janvier sa première visite au Maroc. À la veille de ce déplacement, M. Borrell a tenu à faire le point dans une interview exclusive accordée au «Matin» sur les différentes facettes de la coopération entre les deux parties. De la lutte contre la migration irrégulière aux enjeux sécuritaires en passant par les défis énergétiques et la politique européenne de voisinage, le haut responsable de l’UE a brossé un tableau global de la relation multidimensionnelle entre Rabat et Bruxelles et de ses implications sur la région euro-méditerranéenne et bien au delà.

Entretien exclusif avec Josep Borrell qui entame sa première visite au Maroc
Josep Borrell.

Le Matin : Lors de sa visite au Maroc en février dernier, Ursula von der Leyen, avait déclaré que le Maroc «est un pays avec lequel nous avons construit un partenariat stratégique, étroit et solide». Où réside selon vous le caractère stratégique du partenariat Maroc-UE ?

Josep Borrell : Nous avons construit avec le Maroc une relation de confiance qui remonte à plus de 50 ans et qui évolue et s’enrichit sans cesse. Notre partenariat est donc naturel et stratégique parce qu’il repose sur trois grands piliers : notre proximité géographique et notre histoire commune, un intérêt mutuel de préserver la paix et la sécurité dans notre voisinage commun et de promouvoir un espace de prospérité partagée, et un engagement à coordonner toujours plus étroitement pour relever les défis du présent et les transformer en opportunités et à explorer de nouveaux horizons pour agir ensemble. Un partenariat de cette nature est par définition une relation évolutive et non figée. Les défis actuels – géostratégiques, économiques, climatiques, sécuritaires – nous amènent à faire le point sur notre relation de manière régulière et à la revisiter continuellement. Nous sommes engagés à trouver les meilleurs moyens pour parvenir à une résilience accrue et réaliser tout le potentiel du partenariat – en bilatéral et en renforcement de l’action de nos États membres.

L'engagement de l'UE envers le Maroc toujours très fort 

Le Maroc a obtenu en 2008 un «statut avancé» dans sa relation avec l’UE. Les deux parties ont adopté un Plan d'action pour la mise en œuvre de ce statut 2013-2017 prorogé jusqu'en 2020. Que prévoit ce statut ? Qu’est ce qui a été réalisé ? Que reste-t-il à faire ?

Le statut avancé reflète le dynamisme et l’engagement de longue date du Maroc avec l’Union européenne dans l’espace euro-méditerranéen. Le Maroc s’est toujours positionné comme force de proposition dans le partenariat, contribuant à le façonner et participant activement à toutes les nouvelles initiatives. Le statut avancé et le plan d’action ont donné un élan à la mise en œuvre de réformes ambitieuses : ils ont notamment fait avancer la convergence législative et réglementaire en vue d’une intégration progressive au marché intérieur de l’UE, étendu le dialogue politique et développé la coopération bilatérale dans les domaines sécuritaire et judiciaire, et élargi le dialogue à de nombreux acteurs comme le Parlement et la société civile. Le statut avancé s’est traduit par un rapprochement et des avancées importantes dans de nombreux domaines et a permis de mobiliser une coopération financière (dans les domaines de la justice et de la gouvernance, de l’agriculture, de l’énergie, de la santé et de l’éducation) de plus de 1,4 milliard d’euros. Nous continuons de progresser dans de nombreux domaines et l’ambition commune est de renforcer toujours plus la relation. L'engagement de l’Union européenne reste très fort et c’est tout l’objectif de ma venue au Maroc que de le confirmer.

L'UE prévoit une enveloppe de 500 millions d’euros pour l'aide à la migration dans et depuis le pays

Concernant la question de la migration irrégulière, compte tenu de l’émergence de nouveaux modes opératoires extrêmement violents adoptés par les réseaux criminels, le Maroc et l’UE ont lancé en juillet dernier un partenariat rénové en matière de migration et de lutte contre les réseaux de trafic de personnes. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Doit-on s’attendre à un appui logistique et financier plus fort de l’Union au Royaume pour soutenir ses efforts de lutte dans ce domaine ?

Oui. Le Maroc est un partenaire clé de l’Union dans la gestion et la gouvernance de la migration, qui aborde la question migratoire à la fois comme un pays d’origine, de transit et de destination. La migration est une responsabilité partagée. Il ne s’agit pas ici de contester le fait migratoire, qui est indissociable de l’aventure humaine, mais de l’organiser de manière à en tirer tout le potentiel pour nos sociétés et assurer le respect des droits de l’Homme. Ça commence par ne pas le laisser entre les mains des réseaux criminels qui exploitent éhontément la misère humaine. Notre priorité est d’assurer que toute migration soit bien gérée. Ceci suppose une étroite coopération avec nos partenaires, y compris bien sûr le Maroc. Pour la période 2021-2027, nous prévoyons une enveloppe de 500 millions d’euros pour l'aide à la migration dans et depuis le pays. Suite aux événements tragiques de l’année passée, notre coopération s’est encore intensifiée, notamment avec le lancement d’un Partenariat opérationnel de lutte contre le trafic de migrants en juillet passé. Mais il ne s’agit pas seulement de contrôle des frontières. Il s'agit aussi d'une bonne coopération avec le Maroc sur la question des migrants marocains en situation irrégulière en Europe. Enfin, notre ambition est aussi d’accompagner les efforts du Maroc pour la protection des migrants vulnérables présents au Maroc, et par ailleurs de promouvoir une migration légale à travers notre Partenariat des talents, permettant aux jeunes Marocains de vivre une expérience migratoire en Europe sans pour autant contribuer à la fuite des cerveaux.

La coopération sécuritaire, une priorité pour le Maroc et l'UE 

S’agissant des défis sécuritaires et de la lutte contre le terrorisme, comment se porte la coopération entre les deux parties ?

Dans le contexte géopolitique actuel, l’Union européenne et le Maroc sont de plus en plus confrontés à des défis communs dans le domaine de la sécurité – des défis qui sont souvent régionaux, voire globaux, et, par conséquent, nécessitent des solutions au-delà d’un cadre strictement national. De nombreuses activités transnationales criminelles trouvent leur origine de part et d’autre de la mer Méditerranée. En outre, de nouvelles menaces ont surgi avec la détérioration de la situation sécuritaire dans le Sahel. C’est dans ce périmètre géostratégique que l’Union européenne et le Maroc peuvent jouer un rôle majeur ensemble. Des échanges ont lieu régulièrement dans un cadre multilatéral, comme c’est le cas au sein du Forum mondial de lutte contre le terrorisme, dont le Maroc et l’UE assurent actuellement la co-présidence. Des coopérations ont par ailleurs commencé à se nouer, fondées sur les échanges d’expériences, dans un domaine où l’expertise du Maroc est largement reconnue. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un domaine où nous pouvons faire encore plus ensemble. Je viens au Maroc pour réfléchir avec les autorités marocaines sur les moyens d’approfondir notre partenariat dans ce domaine.

Outre les volets sécuritaire et migratoire, l’UE fait face à des défis inédits, notamment en matière de sécurité énergétique. La guerre en Ukraine a montré à quel point l’Europe était dépendante du gaz russe. Dès lors, peut-on s’attendre à ce que l’UE soutienne des projets alternatifs, à l’image du gazoduc Maroc-Nigeria ?

Effectivement, face à la nouvelle réalité géopolitique créée par l’agression injustifiable de la Russie contre l’Ukraine, l’UE a fait son choix. Nous avons décidé un embargo sur le charbon russe depuis août dernier et sur le pétrole russe depuis décembre, accompagné d’un plafonnement des prix des exportations pétrolières russes vers d’autres pays, entraînant une diminution significative des revenues de la Russie provenant des ventes de combustibles fossiles. À court terme, l’UE est en train de remplacer le gaz naturel russe par d’autres sources afin de subvenir à ses besoins énergétiques immédiats. Nous avons rempli nos stocks pour cet hiver et avons réduit considérablement notre consommation de gaz et d’électricité. Les imports de gaz russe ont été réduites de 55% au début de 2022 à presque zéro et le pétrole de 40% à zéro. Toutefois, à moyen terme, notre détermination reste sur les énergies renouvelables afin de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, de limiter fortement leur utilisation et d’acquérir plus d’autonomie en matière énergétique, notamment en favorisant la transition verte et une utilisation plus efficace de l’énergie. Ce choix s’inscrit dans l’engagement déjà pris dans le cadre du «Pacte vert» européen – la stratégie de croissance de l'Europe fondée sur la neutralité climatique et l'utilisation efficace des ressources. Concrètement, nous allons donner une priorité claire aux investissements dans les énergies renouvelables et soutenir des projets viables, à réaliser conjointement avec le secteur privé et qui s’inscrivent dans une perspective de transition énergétique durable.

La coopération écologique se structure 

L’UE et le Maroc ont lancé il y a quelques mois le premier Partenariat vert sur l’énergie, le climat et l’environnement dans la perspective de la COP 27. En quoi ce partenariat est-il important pour les deux parties ?

Il faut d’abord rappeler que le partenariat entre l’Union européenne et le Maroc dans le domaine de l’énergie, du climat et de l’environnement ne date pas d’aujourd’hui. L’UE accompagne le développement des énergies renouvelables au Maroc depuis l’origine. Le Partenariat vert, conclu entre l’Union européenne et le Maroc en octobre 2022, vient donc comme une suite naturelle pour élargir et mieux structurer notre collaboration, dans un domaine où le Maroc est très engagé et a un potentiel énorme. Et c’est à ce titre que ce partenariat est le premier du genre que l’UE a conclu avec un pays du voisinage méridional.

Sur la base d’objectifs définis conjointement, le Partenariat vise à intensifier une coopération qui permettra au Maroc et à l’UE de progresser dans leur transition verte, en devenant des économies à faible intensité de carbone, et en créant des emplois qualifiés et respectueux de l’environnement. Le Partenariat entend également promouvoir les investissements durables et une meilleure intégration des chaînes de valeur. À travers le partenariat, nous voulons aussi nous donner les moyens de construire des ponts entre l’Europe et l’Afrique, en joignant nos forces à celles d’autres pays et acteurs internationaux pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. La position géostratégique du Maroc et son large éventail de partenaires en Afrique et au Moyen-Orient peuvent contribuer à étendre les avantages du partenariat au-delà de nos frontières communes. L’heure est maintenant à la concrétisation.

La Politique européenne de voisinage a évolué 

En novembre 2020, lors de la réunion ministérielle relative à la révision de la Politique européenne de voisinage (PEV), Nasser Bourita a déclaré que la PEV gardait toute sa pertinence 17 ans après son lancement, mais qu'il était temps pour elle aussi d'évoluer, notamment pour transcender la logique financière pure. Il a même parlé de quelques «limites à surmonter». Dans quelle mesure partagez-vous cette analyse ? Et que faut-il faire pour exploiter le plein potentiel du partenariat Maroc-UE ?

La politique de voisinage de l’Union européenne est née d’un besoin accru de l’Union et de ses voisins de s’engager dans plus de dialogue et d’échanges et de mettre en œuvre davantage de projets communs. C’est une politique dynamique, qui continue de faire ses preuves et que nous adaptons régulièrement pour répondre aux nouvelles priorités qui émergent et aux besoins des partenaires. Cela a été le cas en 2021, avec l’adoption du nouvel Agenda pour la Méditerranée, qui a renforcé la dimension méridionale de la PEV, suite à un ample processus de consultation avec nos pays partenaires, dans lequel le Maroc s’est pleinement engagé. Et nous avons alloué des fonds à travers un plan économique et d’investissement pour appuyer nos priorités politiques, capables de lever jusque 30 milliards d’euros d’investissement public et privé à travers une combinaison de dons et des garanties bancaires.

Mais comme l’a très bien dit mon ami Nasser Bourita, ce n’est pas qu’une question d’argent. Nous en avons discuté au niveau ministériel à Barcelone en novembre 2022. Plusieurs idées ont été mises sur la table comme la création de partenariats régionaux qui permettraient plus d’intégration, le renforcement de la dimension politique de notre coopération et des réponses mieux coordonnées aux nouveaux défis en matière de sécurité alimentaire et énergétique. Nous comptons sur le Maroc pour continuer à jouer un rôle de premier plan, par son implication dans les dialogues et les actions envisagées comme dans la transition verte, la gestion de la migration et la promotion des politiques d’inclusion sociale pour ne citer que quelques exemples. Je suis engagé personnellement pour redynamiser ce processus. Non seulement la PEV garde toute sa pertinence, mais elle a acquis une valeur nouvelle, adaptée à la réalité actuelle où les enjeux transcendent les frontières et la seule façon d’agir efficacement passe par la coordination.

"Link Up Africa", un projet pour l’intégration socio-économique des jeunes 

Le Maroc et l’UE ont signé, en mars dernier, le document relatif au projet «Link Up Africa», le premier de son genre dans le cadre du Partenariat entre les deux parties. Quelle est l’importance de ce projet pour la coopération triangulaire Maroc-UE-Afrique ? Que peut apporter le Maroc à cet égard ?

Le Sommet Union européenne-Union africaine de février dernier a tracé une nouvelle «vision commune pour 2030». Il a renforcé le partenariat en faveur de la prospérité, de la résilience et du développement économique, de la paix et de la sécurité, suite à la crise sanitaire sans précédent qui a affecté les sociétés et le développement économique de nos deux continents. Ce partenariat doit se traduire par des actions et des projets concrets, tant sur le plan bilatéral que multilatéral. Nous commençons déjà à en voir les premiers résultats, notamment dans le domaine des infrastructures et du numérique, comme le lancement du projet de connexion sous-marine à fibre optique qui permettra de relier les centres de recherche de l’UE et de l’Afrique du Nord. Notre objectif commun pour les prochaines années est d‘identifier des formules de coopération associant l’Union européenne, le Maroc et d’autres partenaires de la région euro-méditerranéenne et du continent africain dans son ensemble, afin de servir nos intérêts stratégiques partagés et de contribuer à la paix et la stabilité de nos deux continents.

Le projet «Link up Africa», signé en mars dernier entre l’Union européenne et le Maroc, en partenariat avec la coopération belge, est effectivement le premier du genre dans le cadre de notre Partenariat et revêt donc une importance particulière. Il vise à élargir l’accès des jeunes à la formation et l’emploi sur le continent africain, en se fondant sur les «centres d’excellence marocains» pour le volet formation et l’appui à l’entrepreneuriat pour les étudiants africains au Maroc. Il montre que le Maroc peut apporter une contribution essentielle à ce type de projets et à d’autres initiatives à définir avec nos partenaires respectifs, en apportant son expertise dans de nombreux domaines.

L’intégration maghrébine est un projet à l’arrêt depuis des décennies en raison de la question du Sahara et des divergences entre Rabat et Alger. Dans quelle mesure cette situation impacte les efforts de coopération entre l’UE et le voisinage du Sud ? Et quel rôle peut jouer Bruxelles pour parvenir à une solution à la question du Sahara ?

La paix et la stabilité dans la Méditerranée sont au cœur du partenariat euro-méditerranéen depuis sa création. Malgré les efforts, force est de constater que des conflits persistent et de nouveaux sont venus s’ajouter, ayant un impact fort sur le développement et la prospérité des partenaires, y compris sur les projets d’intégration régionale. L’UE a une vocation à travailler pour la paix, encore plus dans notre voisinage. Nous continuerons à soutenir tous les efforts qui feront de notre espace partagé une zone de paix et prospérité.

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Des économies très largement intégrées

L’UE est le premier partenaire commercial du Maroc et le Royaume est le premier partenaire commercial de l’UE parmi les pays de son voisinage Sud. Grâce à la zone de libre-échange créée par notre accord d’association, les exportations des deux parties ont triplé en 20 ans. Le commerce de biens s’élevait à 43 milliards d’euros en 2021, tandis que le stock d’investissements directs européen au Maroc s’élevait à 18 milliards d’euros, les pays de l’UE constituant la première source de tels investissements étrangers pour l’économie marocaine. Et il reste encore beaucoup de potentiel à exploiter dans la relation économique et commerciale.


 

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